La com' est morte, vive la politique

Le président de la République lors de son allocution télévisée, mardi 16 octobre. (ALEXANDRE MARCHI / MAXPPP)

Jean-Luc Mélenchon a-t-il fait une erreur de communication lors de sa perquisition ? Emmanuel Macron a-t-il réussi son allocution télévisée ? François Rufin ne fait-il que de la com' lorsqu'il évoque le sort réservé aux enfants handicapés et leurs accompagnants ? Ces questions, la cohorte bavarde des commentateurs dont je fais partie, nous nous les posons à longueur d'articles ou d'interventions médiatiques, cherchant à décrypter les moindres attitudes et postures, en nous interrogeant sur l'impact qu'elles auront ou non sur la sacro-sainte "opinion publique". Que disons-nous sur le fond ? Absolument rien. Où est la politique ? Parfaitement nulle part. 

Le monde politique dans lequel nous évoluons est un champ de ruines ravagé par l'individualisme et le culte du marché qui court bientôt à sa perte écologique, mais personne ne veut se l'avouer. Surtout pas nous qui le commentons. Les fractures sociales sont béantes, le rejet des médias et des institutions à son acmé, la violence sociale immense. Partout en Europe et plus largement dans le monde, les sociétés basculent dans l'extrémisme. Mais nous détournons le regard en poussant des cris courroucés. À mettre ainsi en avant la communication, en occultant la politique, nous laissons penser qu’elle n’est qu’une affaire de postures cathodiques. À commenter l'écume médiatique, sur laquelle tout et son contraire a déjà été dit, nous en oublions l'essentiel : la quête de sens, de transcendance, un projet collectif, un supplément d'âme... La communication politique est, d'abord et avant tout, de la politique. Ce qui implique de confronter des idées, révéler des aspérités, défendre des points de vue tranchés, pointer un horizon politique, faire société, inverser les systèmes de domination, reprendre en main son destin. 

Les populistes européens l'ont bien compris, eux qui invoquent le peuple à chacune de leurs sorties, rarement modérées. Ils prospèrent sur la peur et la misère, la déliquescence des collectifs et l'absence d'horizons de mobilisation, brandissant leurs souverainetés populaires comme oriflamme d'un feu déjà allumé. Las, déjà nous les disqualifions d'emblée tant leurs propos semblent irrationnels à nos yeux d'européens éclairés. À ceci près que nous sommes collectivement atteints de cécité. Ils font de la politique avec une pointe de communication là où les autres font de la communication, avec un soupçon de politique. À la dislocation des structures collectives, répond la colère populiste des anti-systèmes. Exit le "en même temps", tiède consensus. L'heure est au retour de la conflictualité, du rapport de force violent, à l'affrontement passionné. À l'ère du clash, difficile d'opposer un récit nuancé. Christian Salmon ne dit que cela lorsqu'il écrit en 2013 dans Mediapart que nous assistons à une "déconnexion historique entre la souveraineté de l’Etat et la représentation du pouvoir. D’un côté une bureaucratie anonyme, de l’autre des hommes politiques désarmés. D’un côté des décisions sans visage, de l’autre des visages impuissants. Résultat : l’action est perçue comme illégitime et la parole publique a perdu toute crédibilité." Et la colère gronde. L'Europe vacille. La vague monte. Elle sera bientôt un raz de marée.

Si la gauche socialiste d'Olivier Faure, de Valérie Rabault et de Boris Vallaud n'existe plus aujourd'hui, alors même qu'elle représente une partie d'un électorat qui ne se reconnaît pas dans le mélenchonnisme, ce n'est pas dû à un simple problème de communication mais bien de fond. Cette gauche ne sait plus s'adresser aux citoyens, au peuple, à son électorat de base, soit l'ensemble des classes moyennes en pleine crise de représentation, livrées à elles-mêmes, sans horizon idéologique, politique, historique. Soit tous ceux que le déclassement effraye quand bien même la situation économique leur est plus favorable. La gauche socialiste parle à l'opposition dans l'hémicycle en oubliant de s'adresser au peuple qu'elle n'associe pas. Et la politique à gauche se fait ailleurs, au niveau local, associatif. Car derrière le cliquetis régulier des touches de clavier, bruisse une révolution silencieuse. Sans visage, ni leader emblématique, elle fait pourtant tressauter les institutions en place. À force de petites actions individuelles, de pétitions en ligne et autres débats sur des plateformes participatives, les citoyens bâtissent la société de demain, loin des lourds fauteuils de l'Assemblée. Ce que l'ensemble des politiques oublient c'est que déjà leur temps est compté. Pour une partie de l'opinion publique ils n'existent déjà plus.

Qu'on ne s'y méprenne pas, l'alternative à cette colère sourde existe. L'heure de la participation politique a sonné. L'intelligence collective est en marche. Ils sont nombreux ceux qui aspirent à ce que les personnes âgées soient bien traitées dans les EHPAD, que des crèches soient en nombre suffisant à la campagne, que les centres villes ne soient pas dévitalisés, que leurs avis soient pleinement pris en compte au sein de la Cité, que la transition écologique soit pensée non pas pour les pénaliser mais pour revoir intégralement l'organisation des territoires. Une société plus juste, solidaire, qui donne tout son sens à l'Union Européenne dans l'ensemble des combats qu'elle va devoir livrer. Un vrai projet de société qui passera non pas par des coups de com' mais un débat nourri d'idées. Oui, de la politique, au sens premier... La "com'" est morte, vive la politique.

Anne-Claire Ruel

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