Plus que quelques heures avant que ne soient égrainés les noms des nouveaux entrants au gouvernement sur le perron immaculé de l'Élysée. Déjà, les rumeurs vont bon train, circulant à la vitesse d'un tweet en "TT". Pourtant rien ne filtre. Silence radio pour créer un électrochoc à la manière d'un défibrilateur en salle d'opération. Il faut tenter, autant que possible, de faire oublier les avanies des mois écoulés durant lesquels les dernières "péripéties" (euphémisme de chirurgien) se sont accumulées jusqu'à l'apoplexie. Ce nouveau souffle parviendra-t-il à donner l'illusion que la rentrée vient seulement de commencer ? Atténuera-t-elle les effets désastreux de "l'affaire Benalla" sur l'opinion ? L'avenir nous le dira. Mais une chose est sûre, en l'absence notable de concurrents, incertains et inaudibles, la macronie semble s'attaquer... à elle-même. Atteinte d'une maladie auto-immune, elle cherche le remède.
Un comble pour Emmanuel Macron et l'ensemble de l'exécutif, qui à chaque annonce de réforme n'ont jamais manqué de convoquer la figure rhétorique de l'urgence vitale à "transformer" face à un pays agonisant. Aujourd'hui, toutes les qualités qui ont été siennes semblent se retourner implacablement contre la macronie, mettant à mal ses défenses immunitaires politiques. À commencer par l'image et la stature présidentielle. L'audace, le culot et la jeunesse du ministre de l'économie de François Hollande, connu pour ses sorties transgressives (les illettrées de Gad, travailler pour se payer un costard) et plébiscité pour sa capacité à réformer une fois parvenu au pouvoir, se retournent contre lui. Le moniteur cardiaque s'emballe. Des "Gaulois réfractaires" à "tu m'appelles monsieur le Président", du "pognon de dingue" à l'injonction paternaliste "ils feraient mieux de chercher un emploi au lieu de manifester", du fameux "traverser la rue pour trouver un emploi" à "vous n'avez pas assez cotisé si vous avez 500 euros" adressé à une retraitée... Comme l'écrit l'écrivain et chercheur Christian Salmon, "fini le storytelling, bienvenue dans l'ère du clash". Quand bien même ces sorties n'auraient d'autre objet que de faire diversion (au sens bourdieusien du terme), elles affaiblissent la présidence, dont les Français attendent plus d'empathie et écoute, sans condescendance. Ce qui fonctionnait parfaitement en tant que candidat se retourne lui. Aurait-il oublié qu'il est devenu le 7 mai le président de tous les Français ?
Et que dire de l'arrivée de la société civile au coeur de l'arène politique. Ce qui s'apparentait à un renouveau majeur plébiscité pour le vent de fraîcheur apporté devient un fardeau lourd à porter pour celui qui souhaitait paraître sous les traits d'un "CEO France" et dont la feuille de route de ses collaborateurs, à commencer par celle d'Alexandre Benalla, ne semblait pas si cadrée. Un soldat dont l'attitude inacceptable se retourne contre son propre chef qui l'a pourtant défendu, mésestimant le mal. Nicolas Hulot s'en est allé lui aussi, mettant devant le fait accompli le château. Et avec lui, l'espoir de voir naître un syncrétisme politique nous faisant entrer dans l'ère de la modernité. Sans ancrage territorial, comment mener la bataille des municipales ? Pour Gérard Collomb, le choix est fait : retour dans son fief au mépris de toute loyauté après un SAV médiatique meurtrier. Où sont les hussards d'Emmanuel Macron, ses piliers à valeur symbolique de son champ d'action ? À chacun son électorat, tous au service de l'Élysée comme du temps de la présidence agitée d'un certain Nicolas Sarkozy. Qui pour gérer la parole et défendre le chef contre les assauts répétés ? Alors certes, il dispose d'une garde rapprochée de fidèles parmi les fidèles, surnommée "la bande à Macron". Mais les profils politiques manquent, hors Élysée, pour s'interposer, prendre les coups et encaisser. Et surtout pour arrimer le château à la réalité, sonder les coeurs emballés et recenser les symptômes de cette France agacée. Ou plutôt de ces "France" multi-fracturées que le président devrait rassembler en lieu et place de diviser. C'était le rôle des corps intermédiaires. Ils ont été sèchement renvoyés.
À la faveur des circonstances, la figure d'Edouard Philippe s'impose comme un remède provisoire. Seul défenseur du président, face aux violents spasmes réguliers. Bientôt les médias s'empresseront de penser pour lui à de nouvelles ambitions. Rien de plus classique, comme le rappelle Christian Salmon : "Il suffit de penser au couple de Gaulle/Pompidou pour se souvenir que ce dualisme de l’exécutif est au cœur de la dramaturgie du pouvoir ; il met en jeu les figures de l’allégeance et de l’indépendance, de la loyauté et de la trahison, de la délégation et du duel..." Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, ces hommes d'État sont perçus comme des personnages de séries télévisées : "Les puissants n’apparaissent plus comme des souverains, mais comme des sujets de conversation (...) sur lesquels nous projetons nos désirs contradictoires. La présidence est devenue un pur objet de fantasmes, le théâtre de la souveraineté perdue". On répétera à l'envi que le premier ministre est un anti-macron, drapé des vertus que son chef n'a pas, à commencer par le sens de l'écoute acquis sur le terrain à gérer sa municipalité à la manière d'un médecin de campagne, mais aussi la sobriété face à l'arrogance ressentie du pouvoir et des velléités de son chirurgien en chef. À la fin de l'été 2017, Edouard Philippe s'était risqué face Jean-Jacques Bourdin. "Je ne suis pas un surhomme, je n'ai pas tous les chiffres en tête", a-t-il avoué après avoir buté sur la question de la revalorisation des pensions de retraite ou la baisse des cotisations sociales sur les pensions d'invalidité. C'est vrai, l'homme semble humble et mesuré. Pour autant peut-on être plus humain que la politique menée ?
Dans ce contexte, l'électorat du premier tour d'Emmanuel Macron doute, hésite. Pire, les marcheurs connaissent une montée de fièvre. L'électorat qui semble rejeter en bloc le style du chef de l'État alors que les résultats sont toujours attendus. Le traitement ne consisterait-il pas à ouvrir le débat ? À l’aune de notre agora numérique, dans un contexte d'extrême fragmentation des audiences, une conversation nourrie et continue s'impose. Les règles dévolues au dialogue et énumérées par Platon nécessitent d'être réhabilitées, jusqu'au sein même du mouvement En Marche : écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs... Du bon sens, en somme. Plus vivante, moins dogmatique et injonctive, cette nouvelle forme de dialogue implique un partage d'idées plus qu'une simple démonstration de ''com’''. Vite, les patients s'impatientent.
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