Emmanuel Macron et les gaulois réfractaires au changement : une sortie qui ne doit peut-être rien au hasard

Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse à Helsinki (Finlande), le 30 août 2018. (LUDOVIC MARIN / AFP)

En déplacement au Danemark, coup de tonnerre : Emmanuel Macron s'est essayé en plein discours à une sortie sarcastique. Evoquant devant la communauté française au Danemark son admiration pour le modèle danois de "flexisécurité", il a admis que les différences culturelles entre Français et Danois ne permettaient pas de le répliquer à l'identique. "Il ne s'agit pas d'être naïf, ce qui est possible est lié à une culture, un peuple marqué par son histoire. Ce peuple luthérien, qui a vécu les transformations de ces dernières années, n'est pas exactement le Gaulois réfractaire au changement ! Encore que ! Mais nous avons en commun cette part d'Européen qui nous unit", a-t-il plaisanté. Avant d'ajouter : "Vous verrez la France transformée par son peuple. Les gens changent d'état d'esprit, ils sont beaucoup plus ouverts au risque", comme pour rassurer les investisseurs étrangers. Une sortie qui n'est pas sans rappeler sa petite phrase, prononcée en Roumanie, à l'été 2017 sur les Français qui "détestent les réformes".

Si l'on dit Emmanuel Macron très intelligent, ce que j'ai la faiblesse de croire, comment expliquer cette sortie sur les gaulois réfractaire au changement ? S'agit-il d'un mouvement d'emportement ou un contre-feu savamment orchestré pour faire diversion, au sens pascalien du terme ? La seconde proposition a ses avantages. Elle lui permet subrepticement de reprendre la main sur l'agenda médiatique pour ne plus le subir et occuper ainsi l'arène politique. Quitte à ce que cela soit du "buzz", par définition volatil et superficiel, qu'importe. Ses opposants, de Marine Le Pen aux équipes de Jean-Luc Mélenchon, tombent dans le panneau. D'un seul homme, il s'hérissent de ses propos, versant eux-mêmes dans la caricature. En d'autres termes, ils se disqualifient d'emblée. Quant aux soutiens du Château, ils ne tardent pas à envahir les plateaux pour atténuer et rebondir sur les propos. "Des mots peuvent être dits avec une certaine ironie. Avec un certain humour, avec parfois une volonté de gratter pour faire réagir", mais "ce n’est pas le ton global du discours", assure la ministre de la justice, Nicole Belloubet. "Moi j'adore Astérix et je crois que les Français adorent ce personnage de BD. Si on ne peut plus manier l'ironie et la plaisanterie et si chaque fois un mot employé est décortiqué, instrumentalisé, on va tous faire de la langue de bois en chêne massif", a commenté Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, avant de poursuivre avec... sa propre interprétation :"Les Gaulois réfractaires, ce sont les partis politiques qui depuis trente ans ne veulent rien changer, qui depuis quinze jours nous jouent la surviolence dans les mots, qui veulent retrouver le confortable clivage gauche-droite parce qu'ils l'ont toujours connu".

Le chef d'État excelle dans ce type de configuration polémiqueEmmanuel Macron, lui-même, prendra à nouveau la parole pour faire l'exégèse de son discours, allongeant ainsi cette séquence, dénuée de tout intérêt : "Ce n'est pas du mépris que de dire les choses et la vérité. Je l'ai toujours dit, je pense que nous sommes un pays – et moi le premier – qui n'aime pas les changements, les ajustements permanents" assure-t-il. Il ajoute : "Nous ne sommes pas un pays dont la culture est le consensus, les ajustements pas à pas, comme le sont beaucoup d'autres, a justifié Emmanuel Macron, jeudi 30 août. "Les autres disent 'C'est un pays très dur à réformer'. C'est vrai, c'est un pays qui ne réforme pas, je l'ai déjà dit, il se transforme." S'agit-il d'une certaine manière de préparer le terrain en mettant en scène l'affrontement à venir avec les syndicats pour les réformes à venir ? Nul n'ignore que le débat est plié d'avance et que tous ont intérêt de faire croire, pour les syndicalistes d'un côté, qu'ils se sont opposés au président avec fermeté, pour le président de l'autre, qu'il a réussi à faire capituler ces corps intermédiaires. Un jeu de dupes. La technique a porté ses fruits : le soir même et aujourd'hui encore, les experts médiatiques de tout poil, dont je fais partie, s'interrogent et tentent de décrypter la moindre signification de cet élan. Mais que disons-nous sur le fond ? Absolument rien. Une chambre d'échos qui détourne des sujets majeurs : la catastrophe climatique et environnementale qui nous attend, les affaires qui émaillent la présidence d'Emmanuel Macron, des réformes à venir qui promettent d'être difficiles à accepter pour les Français.

Le locataire de l'Élysée l'a compris : il est devenu bien compliqué, au quotidien, d'imposer son récit présidentiel, sans cesse percuté de plein fouet par la réalité, tant il s'oppose à celui des autres. La bataille de l'attention fait rage à l'heure des fils d'actualité Twitter et Facebook et la concurrence est à son paroxysme entre tous les acteurs. "Depuis dix ans, les événements ne s’ordonnent plus en feuilletons mais sont gouvernés par l’imprévisibilité, l’irruption, la surprise. Ils relèvent davantage d’une sismographie politique que de la technique tant prisée du storytelling (...) Si 'les fables sont l’histoire des temps grossiers', comme l’écrivait Voltaire, il arrive que la grossièreté des temps soit telle qu’ils ne s’accommodent même plus de fables ni de quelconques récits. Ils n’inspirent plus que des pulsions, des ruptures et des transgressions. Le clash/tweet qui fait du buzz se substitue au récit qui exige une certaine continuité pour dérouler les tours et détours d’une intrigue" affirme Christian Salmon, écrivain et chercheur au Centre de Recherches sur les Arts et le Langage. Finie la linéarité, "Bienvenue dans l’ère du clash." 

Anne-Claire Ruel

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