Le regard est un peu hagard, voire suspendu. Dans le bureau ovale, Emmanuel Macron encaisse le coup porté à bout portant par Donald Trump qui vient sans ambages de fustiger l'accord iranien sous le crépitement des photographes. Plus de deux heures de discussion plus tard à l'abri des caméras, les deux hommes ressortent et font face à leur pupitre respectifs. Coup de théâtre, ils semblent en apparence d'accord sur un possible compromis. Macron aurait-il un plan B, lui qui 48 heures auparavant devant Fox News en écartait résolument l'hypothèse ? Mais les spectateurs de la pièce qui se joue sous nos yeux ne sont pas dupes. Il s'agit bel et bien d'un camouflet pour le Président français dissimulé, pour la circonstance, par des signes d'amitié ostentatoires. Que s'est-il passé ? Une pièce en trois actes qui démontre, une nouvelle fois, l'habileté de Donald Trump à faire plier ses adversaires pour garder le premier rôle. Comme si l'expérience du Tycoon submergeait soudain le jeune Prince...
Pourtant tout avait si bien commencé lors de ce premier acte. Sur le perron de la maison Blanche, les coups de canons retentissent pour annoncer le levé de rideau. Donald Trump couve Emmanuel Macron du regard lorsqu'il s'apprête à prendre la parole sur la scène américaine. L'heure est au rapprochement viril entre les deux hommes, presque des frères d'armes depuis leur raid commun en Syrie. Alors le discours du président américain est presque entièrement consacré à la célébration des deux nations, véritables soeurs jumelles du siècle des lumières. Une amitié de plus de deux cents ans qui n'a pas été démentie au fil des décennies, nonobstant de temps à autre quelques crispations. Au discours empreint d'irénisme historique consacré aux liens indéfectibles entre les deux pays, Emmanuel Macron oppose une stratégie politique, précédemment testée avec Vladimir Poutine ou lors de la sortie des États-Unis des accords de Paris : afficher publiquement les points de désaccords pour marquer son territoire et éviter les futures critiques d'un rapprochement trop manifeste entre les deux pays, tout en faisant assaut d'amabilités répétées. Les visées multilatérales d'Emmanuel Macron, bercé par l'idéal wilsonien d'un concert des nations harmonisé par un droit transcendant les égoïsmes nationaux, laissent de marbre l'homme de la Maison-Blanche. À ses yeux, la scène internationale relève quelque part du far-west de l'Etat de nature. Tout l'enjeu pour le président français consiste à prouver à ses concitoyens que cette improbable camaraderie nouée depuis le fameux défilé du 14 juillet leur est bénéfique. Il faut garantir le retour sur investissement. Emmanuel Macron fait le pari de l'amitié affichée avec son homologue controversé pour forcer son leadership européen. Il est celui qui domestiquera l'imprévisible Trump. Là où François Hollande avait été lâché par Barack Obama en Syrie, l'amitié franco-américaine a permis une offensive commune. Qu'importe que celle-ci se soit effectuée en dehors de tout mandat de l'ONU. Le but est de démontrer que lorsque l'on parle de ligne rouge, la formule n'est pas vaine. Voilà le message. Mieux, Donald Trump indique ne pas vouloir se retirer immédiatement du territoire. Victoire. A ce jeu, Emmanuel Macron semble vouloir être "contre, tout contre Trump" comme Sacha Guitry avec les femmes. Une amitié sincère, certes, mais sans oublier d'affirmer avec determination ses convictions, à commencer par le multilatéralisme, quand bien même le raid lancé contre Bachar n'en soit pas la meilleure affirmation.
Mais voilà, l'Acte II débute, laissant place à un Donald Trump dans toute sa splendeur si apparemment éruptive mais par ailleurs tellement calculatrice. Sans qu'Emmanuel Macron s'en soit véritablement aperçu, l'homme de téléréalité a décidé subtilement de jouer à front renversé. Il s'empare subrepticement des codes de son interlocuteur pour mieux l'enjôler. Exit les discours à l'emporte-pièces, place à la force des liens historiques et la puissance évocatrice des symboles qu'affectionnent tant notre président. Après tout, les deux hommes s'ils n'emploient pas les mêmes registres partagent l'affiche dans ce théâtre de la communication mondiale. Sans compter que deux outsiders, vainqueurs improbables de leurs compétitions présidentielles, se sont forgés ainsi une légende commune. Ils ont tous deux renversés des tables de marbre. Mais deux dominants ne marchent jamais du même pas. Forcément arrive le moment où l'un en veut imposer à l'autre. Si la France est une vieille nation face aux Etats-Unis, Donald Trump chez lui n'a pu s'empêcher d'endosser le rôle du père. La représentation reprend... Dans le bureau ovale, il s'approche d'Emmanuel Macron pour épousseter quelques pellicules sur le costume sombre du chef de l'Etat français. Il accompagne son geste de quelques mots : "Nous avons une relation très particulière, en fait je vais enlever cette pellicule, il faut qu'il soit impeccable, voilà il est impeccable", a-t-il déclaré. Presque une réminiscence de la pièce de théâtre en trois actes (elle aussi) du dramaturge Henri de Montherlant, "La Ville dont le prince est un enfant" : emporté par sa passion pour l'enfant, l'abbé utilisera sa position d'autorité pour tenter de manipuler ce rival, au prétexte de protéger le cadet. Rideau.
Le troisième acte débute et avec quel fracas. Trump décidément est l'homme du "bruit et de la fureur". Tout juste assis, le Président américain qui n'a pas oublié la posture très politique d'Emmanuel Macron quelques instants auparavant sur le perron de la Maison Blanche, se jette littéralement dans une diatribe dénonciatrice de l'accord iranien. Rebondissement imprévu, le président américain souligne de manière franche et violente son opposition publique à la vision du jeune président français. Sidéré, Emmanuel Macron semble dans les cordes. Pourtant Trump fait du Trump, mais voilà, son invité ne s'attendait visiblement pas à la violence de cette réplique, ni à l'habileté manifeste de son hôte face caméra. Or si la venue du président français obéit pour ce dernier à un enjeu éminemment international, s'affirmer en tant que leader de l'Union européenne aux yeux du monde, l'objectif est essentiellement intérieur pour Donald Trump : tenter de faire oublier un temps le scandale russe, la valse de ses conseillers et éventuellement ses difficultés conjugales en replaçant sur le devant de la scène son couple. Il est certes toujours utile pour l'Amérique de montrer sa capacité au dialogue mais à l'approche des élections de midterms, le recours à une réthorique empreinte d'unilatéralisme mâtiné d'isolationnisme, laquelle n'est pas propre à Trump (George W Bush l'avait en son temps également maniée), ne constitue pas un obstacle. Bien au contraire, elle permet de conquérir le coeur et l'esprit de son électorat. La conférence qui clôture cette pièce en forme d'épilogue, montre à quel point les deux protagonistes sont d'accord... dans leur désaccord. Sans conteste, il s'agit là d'un échec pour Emmanuel Macron, réduit à son impuissance à convaincre l'ami encombrant. Pire : le risque est grand d'être perçu, à l'instar d'un Blair en son temps avec Bush, comme le "meilleur" vassal du grand frère américain. Est-ce là la vocation de la France ? Tout laisse à penser qu'il sera Impossible de s'entendre sur les bases d'un nouvel accord satisfaisant pour les deux parties, mais également les russes, avant la date fatidique du 12 mai. L'habillage ne trompe personne. Surtout pas les deux personnages de cette pièce dont les stratégies et vues politiques s'opposent en tout point. Pour le President des États-unis, son programme politique commence et s'achève avec l'Amérique, ultime Finistère de sa vision du monde, là où Emmanuel Macron voudrait embrasser la complexité de la planète.
Et le choeur dans tout cela ? Ce sont bien évidemment les médias, témoins attentifs de toutes les scènes de ces trois actes. Eux seuls détermineront ce qu'ils retiendront de cette rencontre. Cette séquence sera-t-elle tragi-comique ? Ne seront alors retenus que les détails de l'histoire, de l'époussetage de veste en passant par l'embrassade présidentielle. Ou une véritable tragédie grecque pointant le risque de capitulation d'un homme face à l'asymétrie des deux pays ? “Toutes les tragédies que l’on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l’écoulement du temps” répondrait Simone Weil. Attendons.
Arnaud Benedetti et Anne-Claire Ruel
Arnaud Benedetti est professeur-associé à la Sorbonne et co-auteur de "Communiquer, c'est vivre" avec Dominique Wolton (Cherche-midi), de "La communication" avec Priscille Rivière (Economica) et auteur de "La fin de la com'" (Les éditions du Cerf). Il vient de publier "Le coup de com' permanent" (Cerf).
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