"A la télévision, il faut que Madame Michu voie la sincérité de l’homme qui parle, la voie dans son regard. Il doit être habité par une vérité, sinon, ce n’est pas la peine de faire de la politique" explique Michel Bongrand dans un entretien accordé aux Dossiers de l’Audiovisuel. Emmanuel Macron a-t-il relu ce passage pour se préparer à son interview du jour ? Fort peu probable. Mais la "forme" de ce JT de 13h au format inédit mettant en scène le chef de l'État interrogé pendant plus d'une heure par Jean-Pierre Pernaut dans une classe de CP a tenu ses promesses cathodiques. Attaque chimique en Syrie, grève des cheminots, hausse de la CSG pour les retraités, limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires... Emmanuel Macron n'a eu de cesse d'utiliser des techniques de communication vieilles comme l'ancien monde pour évoquer ses sujets. Nous en avons répertorié cinq pour vous formulées à la manière de commandements.
L'empathie tu utiliseras
Au regard de l'intégralité de l'entretien, pas de doute, en choisissant d'intervenir ce jeudi à 13h, le locataire de l'Élysée souhaitait installer une forme de proximité avec les Français ici ciblés : employés, ouvriers et surtout les retraités de la France périphérique qui ont vu leur CSG augmenter et dont le mécontentement risque de perturber le cours des élections à venir. "20 euros par mois, c'est beaucoup", consent Emmanuel Macron sur la baisse des retraites. Et de remercier une nouvelle fois les aînés pour lesquels il dit avoir de la "considération". Il ajoute : "Je n'ai jamais pris un retraité pour un portefeuille . Pas de chance, le silence qui a suivi ne fut pas assez long pour que la punchline s'imprime dans l'esprit des Français. Mais qu'à cela ne tienne, elle a bien été entendue par les journalistes qui la reprennent en boucle dans les médias. Cette "petite phrase" n'a pour autre vocation que de colorer la tonalité des plateaux de décryptage de la séquence. Autre point, l'intervention avait pour ambition de rassurer quant à la rapidité et la nature des réformes menées, perçues comme "injustes" par une partie de la population. Serait-il le "président des riches" ? "Les riches, ils n'ont pas besoin d'un président, ils se débrouillent très bien seuls" répond le chef de l'État visiblement agacé. Étrange sortie. Avant d'atténuer :"je suis le président de tous les Français". "Je ne suis pas toute la journée enfermé à l'Elysée (...), j'entends, j'écoute"... Ces derniers verbes ont été scandés durant tout l'entretien. L'objectif ? Atténuer l'image d'un président coupé des réalités et des contestations sociales actuelles. C'est d'ailleurs l'une des règles de base en matière de communication pour gérer les objections. Si vous répondez à votre interlocuteur bille en tête sans réceptionner l'objection avant même de vous positionner par rapport à elle, vous ne serez jamais entendu. Il vous faut en priorité désamorcer la contestation en la bloquant ("j'entends"). Vous prenez ainsi la posture d'un homme ouvert, mobile, bien qu'affirmé sur son point de vue. Le tour est joué.
Le "sample" tu emploieras
Comme son nom l’indique, la technique du "disque rayé" consiste à sampler les éléments de langage de manière à les marteler au cours d'une même interview ou lors de chaque rencontre avec les médias. La pédagogie, n'est-ce pas d'abord et avant tout de la répétition ? Lorsqu'il décide d'utiliser cette technique le politique se met alors en mode "repeat". Rien de tel pour Emmanuel Macron que de marteler en boucle "qu'il fait ce qu'il a dit", montrant par là même la cohérence et la détermination dont il fait preuve depuis des mois. Sur la rapidité des réformes, il affirme : "c'est le monde qui va trop vite ! C'est pas des pincées de sel ou de poivre, la politique. (...) Je fais ce que j'ai dit, peut-être qu'on n'était plus habitué". Ces prédécesseurs apprécieront, lui qui a pourtant choisi d'esquiver la question sur les "pics" lancés par François Hollande en répondant sans le mentionner. Emmanuel Macron endosse ainsi le rôle de l'homme d'Etat constant et inébranlable. La fermeté du président a d'ailleurs été mise en exergue à plusieurs reprises notamment lorsqu'il a été question de l'évacuation de Notre-Dame-Des-Landes ("Nos concitoyens sont en droit d'attendre l'ordre", "on rétablit l'ordre républicain"), mais aussi du blocage des universités (provoqué par "des professionnels du désordre", des "agitateurs professionnels") ou bien encore de la réforme de la SNCF. "On ira jusqu'au bout" affirme-t-il, "dans le respect de chacun" ajoute-t-il comme pour accentuer la posture d'écoute souhaitée et pour réaffirmer encore et toujours la méthode gouvernementale.
Aux fondements de ta campagne tu reviendras
Si l'on considère, comme Victor Hugo que "la forme, c'est le fond qui remonte à la surface" alors pour Emmanuel Macron, il fallait impérativement se montrer déterminé à agir et rappeler le fond, son projet politique véritable fil rouge de son action de sa déclaration de candidature à son bureau de l'Élysée. Le fil rouge qu'il avait développé au cours de sa campagne et auquel a adhéré une partie des électeurs mais qu'il avait par la suite perdu de vue au gré de ses diverses interventions : la question fondamentale du travail. C'est tout l'enjeu de la communication présidentielle qui n'a de cesse de rappeler la genèse originelle de ce qui s'est noué entre le candidat et le pays à l'aube de son accession au pouvoir. « Le cœur de mon action, c’est le travail. Et que le travail paye mieux dans notre pays. » Toute ressemblance avec Nicolas Sarkozy serait totalement fortuite.
À ajuster ta communication tu penseras
"Nous devons faire cette réforme, nous irons jusqu'au bout !", répète à l'envi Emmanuel Macron au sujet de la SNCF. Cependant, il reconnaît que présenter les cheminots comme des "privilégiés" était une "erreur". Petit rappel à l'ordre à l'attention de sa ministre. "On ne fait pas avancer un pays en opposant les uns aux autres". Ajustement de la communication, j'écris ton nom. Idem, lorsqu'il a été question de la limitation à 80 km/h, le président admet que "notre sang s'est échauffé sur cette affaire" avant d'évoquer une "expérimentation à taille réelle" pendant deux ans, soit un bon moyen de désamorcer la colère en misant sur l'essoufflement de la contestation au fil du temps : "si ça ne marche pas, on continuera pas" prévient-il. Pour ce qui est des "premiers de cordée", le locataire de l'Élysée tente d'atténuer la formule en expliquant qu'il faut "qu'ils aident le pays". Quant au mantra "libérer et protéger" du candidat Macron pendant la campagne présidentielle, le président lui a ajouté le verbe "unir" pour atténuer les tensions. Le tout, repris à propos sur le compte Twitter du président pour installer le tryptique.
Les murs de la maison, c’est libérer, protéger et unir. #EMacronTF1
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 12 avril 2018
De l'humour tu useras
L'humour est par définition ce qui nous humanise, tout en dressant des passerelles vers l'autre. En ce sens, il prolonge la notion d'empathie évoquée plus haut. Et l'humour il y en a eu lorsque Jean-Pierre Pernaut a attribué, à tort, le rapport sur la rénovation et le développement économique des quartiers populaires à François Bayrou en lieu et place de Jean-Louis Borloo. "François Bayrou est mon ami" s'amuse le président avant de corriger. Un rappel utile en période de négociation de la réforme institutionnelle. L'ex-ministre de la Justice, François Bayrou, s'est justement montré très critique, ce dimanche, sur BFMTV, à l'égard d'Emmanuel Macron et de la modification des règles de scrutin incluse dans la future réforme constitutionnelle. Le président du MoDem a dénoncé un « manquement absolu » aux promesses que lui avait faites le chef de l'État avant la présidentielle, au moment de sceller leur alliance électorale.
Oups, #Pernaut a tout faux sur le rapport Borloo... Et Macron lui fait savoir. #MacronTF1 pic.twitter.com/gu2fuT62Mq
— Philippe Husson (@PhilippeHusson1) 12 avril 2018
D'ailleurs cette réforme n'a pas été évoquée durant l'entretien alors qu'il pourrait faire l'objet d'un référendum. Il n'y a jamais de hasard en matière de communication lorsqu'on s'appelle Emmanuel Macron. Le sujet fera-t-il l'objet d'une prochaine sortie ? Réponse lors de la prochaine séquence de communication.
La baisse du nombre de parlementaires (et plus largement la réforme des institutions) auront été absentes de cette #interviewJPP. Sans doute que ça ne fait pas partie des "questions que VOUS vous posez". Dommage, pour une réforme possiblement soumise à référendum.
— Frédéric Says (@FredericSays) 12 avril 2018
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