Dans quelques jours, les papiers fleuriront sur l'anniversaire de l'accession au pouvoir d'Emmanuel Macron. Le nouveau locataire de l'Élysée le sait, lui qui a érigé les symboles en principe de communication. Et quoi de plus emblématiques que les célébrations annuelles. Il entend bien une nouvelle fois imposer son rythme pour surprendre son monde. Événementialiser ses prises de parole, toujours et encore, et imposer sa marque éponyme, née tout juste quelques mois avant son ascension. Mais si notre chef de l'État, auto-proclamé Jupiter, verrouille avec succès sa communication, lui parti de rien et qui lui doit toute son élection, il semble aujourd'hui bien solitaire face à l'épreuve du pouvoir. Une constante vous me direz. Le château se transforme souvent en prison pour qui l'a autrefois conquis avec envie. A ceci près que notre Roi Soleil choisissant un exécutif de ministres techniciens, se trouve aujourd'hui obligé de mettre en scène lui-même, non sans opiniâtreté, la défense de ses réformes. Ce sera le cas, ce jeudi, jour de Jupiter, dans le journal de Jean-Pierre Pernaut et dimanche, face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin. Si Louis XIV n'a jamais prononcé "L'État, c'est moi", nous serions tenté d'écrire que "La communication, c'est lui". Et lui seul. Assurément.
Maîtriser la scénographie, le texte mais aussi les décors, c'est sans doute pour Emmanuel Macron, le moyen de faire corps avec le personnage. Jamais élu auparavant, il a dû s'habituer à l'habit sans répétitions préalables, quitte à surjouer le rôle. Mais cette pièce qu'il nous donne à voir ressemble de plus en plus à un monologue tant le dialogue s'est tu. Les journalistes ont été disqualifiés dès le prologue, les ministres, sans densité politique sont de pâles figurants à l'Acte I. Reste un homme seul, qui veut imposer ses symboles. Or, depuis la nuit des temps, le roi, icône du pouvoir politique, exerce trois fonctions symboliques. Il est tout à la fois thaumaturge (guérisseur), chevalier (guerrier), chaman (prêtre). Et cela n'a pas échappé à Emmanuel Macron et son scénariste Ismaël Emelien, qui veulent imposer le terme "transformation" et son "urgence" face à une France "agonisante" comme la promesse d'un miracle à venir : la résurrection des villes et des campagnes, des banlieues et des territoires oubliés. Le retour à la verticalité du pouvoir, sa concentration et la mise en scène de sa détermination, ainsi que celle de son gouvernement à conduire les réformes esquissent le portrait d'un guerrier habité par l'autorité qui s'est construit en opposition aux rois fainéants. Les éléments de langage montrent que l'homme ne reculera pas face aux réformes dont la SNCF est l'un des totems. Non, sa main ne tremblera pas et il ne se laissera pas submerger par le doute lorsqu'il sera question de mener tambour battant les réformes. Pouvoir régalien oblige, il deviendra sans doute un guerrier au sens propre du terme si la France décidait d'intervenir en Syrie dans les heures à venir. Quant à la dimension christique de sa fonction, évidente lors de la conquête du pouvoir, les dernières polémiques autour de la notion de la laïcité, chiffon rouge agité sans doute pour détourner le regard ou divertir au sens pascalien du terme, tentent à montrer que la dimension spirituelle liée à son exercice du pouvoir ne sont pas exemptes de l'intrigue qui nous est donnée à voir.
Très ancien monde en somme tant la pièce est millénaire. "La politique, c'est de gagner quelqu'un. Et souvent on le fait au 'bouton de veste'. Vous pouvez faire une émission, un meeting, vous parlez à plein de gens donc pas à une personne en particulier, donc c'est plus dur de convaincre. On convainc quand on le fait au 'bouton de veste'. Après le meeting, quand on va au café (...) c'est là qu'on 'gagne' les gens » assure Eric Benzekri, le scénariste de la série "Baron Noir". Si le président excelle dans cet exercice de terrain qui nécessite une dose d'improvisation, le tout sous l'objectif des caméras, pour toucher une plus large audience c'est une autre affaire. Sans pouvoir d'ubiquité, lui qui est si seul, il lui faut aller à la rencontre de ses publics là où ils se trouvent pour faire mentir les études d'opinion, et démontrer qu'il sait bel et bien écouter les Français. Les catholiques lors de la conférence des évêques de France ; les retraités, les employés et les ouvriers de la France périphérique chez Jean-Pierre Pernaut ; ses opposants de gauche devant le patron de Médiapart ou de droite avec le journaliste de RMC avec lesquels le débat promet d'être rugueux et donc de valoriser les qualités de ferrailleur du chef. Sans compter les chasseurs cajolés par la présidence qui se sont imposés comme les principaux leviers d'Emmanuel Macron sur les territoires ruraux. La pièce itinérante se joue à médias fermés, à défaut de guichets. Du micro-ciblage en somme pour toucher des catégories définies de futurs électeurs. De là à considérer l'homme politique comme une marque s'adressant directement à ses "consommateurs" dans leurs médias de prédilection, il n'y a qu'un pas. Quinquennat oblige, depuis le second mandat de Jacques Chirac, les présidents sont en campagne permanente. Emmanuel Macron, couvant du regard les sondages d'opinion, dresse des arches comme un scénariste de séries ou un auteur de pièces à succès. Il a bien identifié qu'il fallait à son personnage médiatique des attributs cosmétiques tels que l'énergie ou le volontarisme. Narrateur quasi omniscient de son récit présidentiel, il va désormais être compliqué de rallier à lui les classes populaires tant le glissement opéré à droite par le président semble évident pour une partie des Français. Pour le nouvel acte qui s'ouvre, l'acteur principal de la pièce doit se renouveler pour dépasser la transgression initiale du positionnement « et de droite et de gauche » qui a fait le succès de la marque du candidat Macron en mai 2017 et définir celle de 2022. Une marque politique n’est pas statique : il lui faut sans cesse créer de la nouveauté en restant cohérente avant que le mandat ne s'achève, tout en multipliant les représentations symboliques.
Or le voilà bien seul à l'aube de sa première année d'exercice du pouvoir pour donner du sens à ses réformes de plus en plus perçues comme injustes par une partie de l'opinion. La présidence agitée de Nicolas Sarkozy avait de nombreux défauts, l'homme n'ayant pas réussi en 2012 à construire une marque suffisamment puissante qui ne soit pas celle de 2007, tout en gardant un fil conducteur et une forme de cohérence. Mais, l'ancien chef de l'État savait utiliser ses ministres comme des piliers à valeur symbolique de son champ d'action. Le tout à des fins consuméristes : à NKM la modernité, pour Guaino le gaullisme, à Guéant la droite conservatrice, pour Morano la droite populaire... A chacun son électorat, tous au service de l'Élysée. Où sont les hussards d'Emmanuel Macron ? Où sont ces responsables politiques, piliers inébranlables, délimitant le champ de ses prises de position ? Peut-il tenir la distance seul en scène ? Réponse au prochain acte. Mais, chut... la représentation reprend. Il nous reste encore les quelques scènes à venir, celle du JT de 13h et le débat Bourdin-Plenel. Pas de surprise, nous connaissons déjà quelques unes des répliques du protagoniste principal : "Je fais ce que j'ai dit que je ferais."
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