Suite au crash ce mardi matin de l'A320 de la compagnie allemande Germanwings transportant 150 passagers et membres de l'équipage, l'émotion est à son comble. Les personnalités présentent leurs condoléances et les politiques bouleversent leurs agendas. Déjà les premiers reporters tv sont arrivés sur place et les images tournent en boucle sur les chaînes d'information. Dès à présent la Gendarmerie Nationale intime l'ordre aux médias de ne pas s'approcher de la zone du crash. Comment la communication de crise peut-elle être gérée de manière à ce que l'image "corporate" de l'entreprise soit protégée ? Comment faire passer clairement son message alors que l'ensemble des parties prenantes concernées s'exprime sur la question.
Prendre la parole (très) rapidement
La question du timing est primordiale: intervenez trop vite et vous ne serez pas prêt; trop tard et vous laisserez de possibles rumeurs enfler. Un impératif : s'il ne faut jamais répondre à chaud, il convient de s'engager sur un délai de réponse et d'analyser, autant que faire se peut, la couverture médiatique -en temps réel- pour corriger les éventuelles informations erronées. Le service de communication de Germanwings et de Lufthansa le savent. Immédiatement, ils ont signalé avoir eu vent du crash via les médias, sur leurs comptesTwitter et Facebook pour plus de réactivité. Prestement, ils ont changé leur logo, optant pour une version en noir et blanc, symbole visible du deuil et donc signe de compassion envers les victimes. Très vite également, la compagnie aérienne allemande a mis en place un numéro vert pour les proches des victimes. Soit une procédure "classique" de gestion de crise, suivie en cela par les autorités françaises. La première conférence de presse, fixée à 15h ce jour, a été annoncée à 13h. Le temps de rassembler toutes les informations disponibles. Car elle est là la première difficulté : communiquer quand bien même que vous n'en savez pas plus que les médias. Sans omettre de vous assurer formellement que toutes les familles des victimes aient été prévenues, avant que le nom de leurs proches ne soit divulgué aux médias.
Dresser la carte d'état major des parties prenantes impliquées
Pas moins de trois nations sont concernées par ce crash : l'Espagne d'où est parti l'avion; l'Allemagne où il se rendait; la France où il s'est écrasé. De quoi compliquer les prises de parole et assurer un retentissement mondial à l'événement. Ainsi, François Hollande accueillera mercredi Angela Merkel et Mariano Rajoy sur les lieux de la catastrophe. De la même façon, trois entreprises sont directement touchées : Airbus, le fabriquant -dont l'A320 a fait précédemment la une de papiers critiques et dont l'action de bourse a d'ores et déjà dévissé-. Lufthansa, la compagnie propriétaire de la filiale qui a souhaité se lancer dans le low-cost et Germanwings, tragiquement touchée. Les enjeux économiques sont énormes. Lors de l'irruption d'une crise comme celle-ci, pas de place à la tergiversation. Il vous faut prendre en compte le plus rapidement possible l'ensemble des acteurs susceptibles d'aggraver ou d'atténuer la tempête médiatique. En bref, disposer une "carte d'état major" des organisations concernées et de leurs prises de parole.
Incarner la compagnie
En situation sensible, plongé au coeur du cyclone, vous êtes déstabilisé. Il vous faudra vous rappeler en permanence qu'un point presse n'est ni un interrogatoire, ni une relation de dominant, dominé. Votre message doit donc être calibré en amont de toute prise de parole. Le choix des mots revêt une importance capitale en temps de deuil. Vous devrez en permanence vous montrer à l'écoute, sur le pont, et en totale empathie avec les victimes. Côté Lufthansa, les premiers tweets ont été signés par le pdg de la compagnie lui-même, de manière à incarner l'entreprise. Côté Germanwings, c'est le porte-parole, Thomas Winkelmann, qui a présenté les faits à la presse : l'A320 avait subi une grosse révision «à l'été 2013». «Une visite de type C, soit une grande révision, avait eu lieu comme prévu à l'été 2013». Les entreprises concernées présentent leurs éléments d'information pour faire montre de transparence et rappeler les process mis en place précédemment. Airbus, bille en tête, dont l'image "corporate" risque de pâtir. Immédiatement, le service de communication de l'entreprise a délivré des "statements" aux médias, soit des prises de positions "officielles". Et son pdg s'est rendu sur les lieux du drame, pour incarner l'entreprise, sur-le-champ.
We regret to confirm that an A320 operated by Germanwings was involved in an accident. Statement #1: http://t.co/KrDGCcXDfa #4U9525
— Airbus (@Airbus) 24 Mars 2015
Réaliser de nombreux points presse d'information
En communication de crise, personne d'autre ne doit raconter votre propre histoire. L'objectif est de tenter de prendre la main sur les séquences de communication, tout en montrant votre volonté de tenir informée l'opinion publique. Le lieu d'où vous communiquez est symboliquement chargé de sens. Là non plus, pas de place à l'imprévu, il fait partie intégrante du message que vous souhaitez transmettre. Germanwings a ainsi organisé sa conférence de presse près de l'aéroport de Cologne, sur le "terrain". Déjà les spéculations vont bon train sur l'origine du crash, la chute ayant duré pas moins de huit minutes. Une éternité. Une des deux boîtes noires vient d'être retrouvée. Elle livrera sans doute d'autres informations qui seront transmises aux médias prochainement.
Organiser une cérémonie du souvenir avec les familles des victimes
Rapidement, les chances de retrouver des survivants ont été présentées comme quasi nulle. Dès lors plus d'espoir. L'émotion sur ce crash est d'autant plus preignante que certains passagers étaient des enfants, des élèves allemands partis en échange scolaire en Espagne. Lors d'une crise, il importe -d'abord et avant tout- de faire preuve d'empathie à l'égard des victimes et leurs proches, tout en assurant la continuité du service. D'ores et déjà un lieu de recueillement semble s'imposer, le stade Jean-Rolland de Digne. Il pourrait accueillir les familles.
Comme nous l'avons vu suite au crash des hélicoptères en Argentine, une crise est une tragédie qui se joue en cinq actes. En fonction de sa nature et de son impact sur l'opinion, "l'événement" pourra être évoqué à l'occasion d'affaires similaires. Quoi qu'il en soit, il ne disparaîtra jamais vraiment. La compagnie Germanwings jouissait d'une très bonne réputation. L'avenir nous dira si sa communication de crise et l'énorme travail de débriefing qu'elle devra effectuer en suivant, lui permettront de reconstruire son image dans les années à venir.
Anne-Claire Ruel
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