Premier tour des législatives : quels enseignements à chaud ?

Dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 22 mars 2016. (DENIS ALLARD / REA)

Un big bang vient de se produire sous nos yeux. Trop tôt. Il est bien trop tôt pour en analyser tous les tenants et aboutissants tant la déflagration politique est d'ampleur massive, mais d'ores et déjà quelques enseignements et pistes de réflexion pour la suite, à l'orée du second tour.

1/ Le premier parti de France s'appelle l'abstention et cela traduit bien la colère des Français pour l'ensemble de la "classe politique". Si la France était une commune de 100 habitants, moins de 11 auraient voté pour En marche rappelle France Info. D'après les premiers chiffres d'Ipsos, ce sont essentiellement les jeunes de 18-24 ans (63%) et les 25-34 ans (65%) qui ont boudé les urnes. Principalement des employés (61%) et des ouvriers (66%). D'autres études viendront compléter ces premiers éléments mais il est fort à parier qu'une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, déçus par les résultats de l'élection présidentielle, n'a pas pris la peine de venir glisser un bulletin dans l'urne. Face à un parti socialiste exsangue et des Républicains déboussolés et décapités, le différentiel de mobilisation a joué. Surinvestis, les électeurs d'En Marche ont bénéficié de la clairvoyance de leur leader : le positionnement central du mouvement permet d'attirer les voix de droite comme de gauche. Un trou noir dans la galaxie politique qui signe la fin des idéologies partisanes pour ériger le pragmatisme et le libéralisme au rang de nouvelle doxa.

2/ Durant cette campagne des législatives, tout comme précédemment lors de la présidentielle, aucune thématique n'a "imprimé" selon l'expression consacrée. Que ce soit la tentative d'argumentation sur la hausse de la CSG ou bien encore l'affaire Ferrand, l'opposition n'a pas réussi à faire se faire entendre au-delà de l'écume médiatique ces derniers jours. Il faut dire que depuis les primaires, l'opinion publique s'est lassée de cette course de petits chevaux sans fin marquée par les affaires en tout genre. Un marathon électoral sur fond de règlements de compte. Que penser de la désertion de Manuel Valls ? La question de l'utilité des primaires reviendra évidemment sur le tapis dans les mois à venir tant elles ont semblé vaines.

3/ Obtenir une Assemblée monochrome peut donner bien du fil à retordre pour le Président. Comme le dit ce célèbre philosophe hollywoodien du XXIème siècle qu'est Spider-Man : "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités". Emmanuel Macron ne pourra cette fois se cacher derrière l'excuse des frondeurs empêcheurs de tourner en rond si les résultats ne sont pas là. L'arrivée de nombreux novices n'est pas non plus source de repos : que ce soit du point de vue de leur positionnement que de leur parcours des polémiques pourront émerger. Quant au risque de création de sous-groupes et d'affrontement interne, faute d'opposition externe, il est bien présent. À commencer par le Modem de Bayrou qui a toujours revendiqué son indépendance. Le renouvellement est bel et bien là, mais quid du débat démocratique ? Les "candidats internet", comme ils sont déjà rebaptisés, ont été choisis par le siège du parti (pardon, "mouvement") là où étaient privilégiés précédemment l'ancrage local et les logiques partisanes façonnées au fil des ans. Dans un contexte où les Français souhaitent plus de démocratie participative. Face à cette recomposition et pour tenir les troupes, Emmanuel Macron devra s'appuyer sur un homme fort pour prendre les rênes du groupe parlementaire. François Mitterrand, malin comme un singe, avait appelé de ces voeux une majorité relative en 1988, constatant les difficultés à s'assurer du soutien des siens.

4/ Emmanuel Macron a réussi son pari fou : liquider les systèmes partisans, apprivoiser l'assemblée et restaurer les symboles et la souveraineté de l'Etat. Quoi de plus gaulliste ? Mais il ne vous aura pas échappé que les époques et les hommes se ressemblent comme le jour et la nuit. Un oxymore. La Vème République et son mode de scrutin semblent assez peu représentatifs des velléités participatives de notre société actuelle. Quant aux nouveaux députés En Marche qui feront leur entrée à l'Assemblée, leurs parcours et formations (sciences po, écoles de commerce, ENA...), laissent à penser qu'ils sont aussi représentatifs de la société civile que vous et moi. Une chose est sûre, le parti socialiste -qui réalise son plus mauvais score aux législatives depuis la création de la SFIO en 1905- est dans un état de mort clinique. En ce sens, les Français ont souhaité une nouvelle forme d'alternance. Tous les ténors et espoirs ont été balayés d'un revers de main. L'heure est au plan de licenciement massif et très certainement à la vente des locaux emblématiques de Solférino. Le parti n'a pas su se renouveler tant sur le plan des personnes que des idées pour repenser la France dans le monde. La défaite est rude. La prise de conscience, d'une violence inouïe. A l'image des années de déni qui ont précédé. 

5/ Au sein de cette Assemblée, s'ils sont tous les deux élus, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon vont être les "voix" de cette opposition relative. Sans groupe parlementaire constitué, leur pouvoir effectif sera surpondéré médiatiquement. Qu'on ne s'y trompe pas, pour les deux opposants, c'est une défaite. La France oubliée, celle des périphéries apeurées et en colère, ne sera pas représentée. Chaque jour, le fossé se creuse un peu plus avec ces oubliés de la République. Bientôt il faudra expliquer aux administrés en quoi réformer le code de travail créera concrètement de l'emploi. La logique ne saute pas aux yeux. A fortiori lorsque vous voulez mener la réforme à cadence forcée. Même si les syndicats ont perdu de leur superbe et de leur légitimité auprès de l'opinion publique, l'opposition risque de se cristalliser dans la rue. Dans ce contexte, aux médias de jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoir et réhabiliter ainsi leur profession aux yeux de l'opinion. À Emmanuel Macron de déverrouiller aussi quelque peu sa communication. Aux forces d'opposition d'essayer de se faire entendre politiquement et médiatiquement.

6/ Les prochaines élections, notamment les sénatoriales en septembre, permettront d'analyser l'ampleur de l'adhésion des Français à La République en Marche et de faire la part entre le dégagisme ambiant et la définition d'un mouvement structuré et pérenne. Mais il est fort à parier que la dynamique se confirme à court terme. Pour la suite, rien n'est moins sûr. Aucune résurrection n'est impossible. Mais pour l'heure, une seule leçon : si les candidats sont bien locaux, l'élection législative a été d'abord et avant tout une élection nationale.

L'enjeu de l'équilibre et de la séparation des pouvoirs ainsi que la question de la démocratie sociale seront assurément les thèmes de réflexion au coeur de tous les débats. Dans une semaine, l'ère des professionnels de la politique s'achèvera. Entraînant dans sa chute, celle des commentateurs politiques associés. La fin d'un monde et le début d'un autre. Les mois à venir seront déterminants pour prendre la mesure du séisme. Et envisager d'éventuelles répliques.

Anne-Claire Ruel

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