Interrogée sur sa préparation au débat, Marine Le Pen balaye dédaigneusement le sujet du revers de la main : elle se préparerait ce week-end. Voire lundi. Un non événement en somme. Tout juste une formalité. A peine une obligation. Evidemment, la réalité est tout autre. L'événement est historique : c'est la première fois en France que les favoris vont débattre avant le premier tour de l'élection présidentielle. L'heure n'est pas à l'improvisation, mais à la préparation de fond, quitte à réviser les techniques vieilles comme le monde du traité de Schopenhauer sur l’art oratoire. Les rivaux le savent, les "affaires" ont vampirisé la campagne. Ils sont donc attendus. Très attendus. Comment s'y préparent-ils ? Le point sur la question.
Cerner la personnalité de l'adversaire
Outre les heures de visionnage pour déceler les failles des adversaires, le candidat doit tenter de déterminer les contours d'une personnalité dans ce qu'elle a de plus intime et de multi-facettes. Les tribuns tels que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon excellent dans ce genre d'exercice. Même s'il s'agit d'une première pour la présidente du Front National, ces deux là seront sans doute plus à l'aise dans ce registre qui s'apparente plus au "catch" sur un ring télévisé qu'à un concours d'éloquence. Difficile de les contrer. Difficile aussi pour les adversaires masculins de Marine Le Pen, de s'adresser à elle avec trop de véhémence. Pour les outsiders tels que Benoît Hamon, il faudra d'ici quelques heures, proférer la devise qui tétanise, étonner et imposer ses sujets. Il devra justifier les défections dans son propre camp et prouver qu'il est apte à diriger la France et prompt à décider de la marche du monde. En un mot : présidentialiser son propos pour investir les thématiques régaliennes. François Fillon sera attaqué de toute part sur les "affaires" qui le concernent. Il sera obligé d'y répondre tout en tentant d'évoquer son programme, sa carte maîtresse auprès de son électorat. Quant à Emmanuel Macron, il a très certainement plus à perdre qu'à gagner, car il s'agit d'un vrai baptême du feu. Personne ne l'a vu débattre précédemment. Une fausse note et cet "objet de communication non identifié" à l'électorat si volatil peut décrocher de sa stratosphère et connaître le destin d'une étoile filante.
S'entourer de sparring partenaires
C'est la technique choisie par François Fillon qui s'est entouré de "doublures" en la personne de ses proches : la députée des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer jouera le rôle Marine Le Pen. Luc Chatel, porte-parole du candidat, se mettra dans la peau d'Emmanuel Macron. Quant à Serge Grouard, il deviendra, le temps d'un week-end, Jean-Luc Mélenchon. Cet entraînement avait porté ses fruits lors de la primaire. Il mise gros sur son passage lundi soir. Plus que de "simples" communicants, les candidats ont besoin de conseillers politiques, véritables sparring partners, doués de réflexes de communicants. Si un homme politique de premier plan connaît parfaitement les rouages médiatiques, placé dans le cadre d'une élection présidentielle, il ne peut faire l'impasse de s'entraîner comme un athlète de haut niveau avant chaque débat pour tenter de maîtriser le verbe et l'adversaire. Ses partenaires se relaient alors dans un ballet sans fin pour jouer le rôle des rivaux et tenter de déstabiliser leur candidat. Ces séances sont la plupart du temps filmées et visionnées avec attention, partant du principe qu'il faut toujours changer d'erreur pour s'améliorer. L'attitude physique est savamment étudiée. Un relâchement du corps, une voix moins posée, un regard baissé et la qualité de l’intervention diminue sur le fond. Les mots et la posture physique s’appuient réciproquement.
Vulgariser le discours dans le temps imparti
Chronomètre en main, les candidats doivent s'astreindre à des réponses courtes et percutantes. Pas facile pour un Emmanuel Macron habitué aux réponses longues. Les impétrants auront deux minutes pour répondre aux questions, mais à partir d'une minute trente, leurs rivaux auront la possibilité de les interrompre. L'heure n'est donc pas à un débat d'experts techniques. Au contraire, le raisonnement logique doit être inversé. Il tient en deux temps : "j'affirme ; j'illustre". Le politique amorce la réponse par un fait, un chiffre clé ou une métaphore, puis donne directement la conclusion avant d'illustrer très concrètement son propos. Pour être compris de tous, mieux vaut vulgariser les informations et gagner la bataille de l'attention. Quitte à utiliser des "petites phrases" habilement lancées au cours de la discussion de manière à être reprises le lendemain en choeur par l'ensemble des médias. Encore un exercice qui n'est pas le plus simple pour l'ancien ministre de l'Economie. Le vainqueur sera celui, parmi les candidats, qui aura réussi à imposer une ou deux de ses thématiques, obligeant par là même ses concurrents à se positionner face à ses sujets. Inutile de détailler le programme. L'heure est au choix des messages à porter.
Le soir même et le lendemain, les experts de tout poil, dont je fais partie, s'interrogeront pour savoir qui a gagné ce combat cathodique. Les spéculations iront bon train. Mais là n'est pas l'important. La politique à la télévision reste avant tout de la télévision. Celui qui l'emportera sera celui qui aura véritablement réussi à "parler" aux Français. Aux abstentionnistes, bien sûr, mais également aux périphéries. Celles qui souffrent ; celles qui doutent des politiques et des médias, accusés via la désignation des participants à ce débat, de faire l'élection. La France périphérique à qui plus personne ne s'adresse et qui entend bien faire exploser sa colère dans les urnes. Quelles qu'en soient les conséquences.
Anne-Claire Ruel
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