L'interview de François Hollande ou l'art du contre-feu raté

© FREDERICK FLORIN / AFP

“Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence" écrivait Euripide. Que s'est-il passé dans la tête de François Hollande pour se livrer ainsi aux deux journalistes du Monde dans le livre intitulé "Un président ne devrait pas dire ça" pendant plusieurs années ? Quitte à se laisser aller, j'aurais préféré qu'il se livre à des confidences sur le canapé de Karine Le Marchand dans l'émission Ambition Intime. C'est vous dire. Plusieurs bémols et non des moindres à mes propos : pour l'instant, personne n'a véritablement lu cet ouvrage. Nous n'avons que les "bonnes feuilles". Et par "bonnes feuilles" il faut comprendre les attaques au vitriol qui circuleront immanquablement de tweets en posts Facebook. Qui plus est, je défie quiconque de refuser une interview de la part du chef de l'Etat. A l'heure des fils d'actualité, un président ne peut rester enfermé dans sa tour d'ivoire. Mais en termes de communication, pas de doute, le mal est fait. Et ce n'est pas le contre-feu tenté par le Chef de l'Etat peut changer la donne.

Car oui, il s'agit bien de cela : un contre-feu, soit l'ouverture d'un nouveau front médiatique pour tenter de faire diversion. Une "méthode de communication visant à mettre en avant un sujet d'actualité dans le but d'éviter qu'on ne parle d'autres problèmes plus embarrassants". Si vous souhaitez enrichir la définition wikipedia d'un exemple, libre à vous, car il est manquant. En publiant une très longue interview à destination des sympathisants de gauche dans l'Obs pour défendre son bilan, le président et son staff espéraient détourner l'attention médiatique de la sortie du livre, dont la date était connue depuis longtemps.

Que Jean-Christophe Cambadélis déplore ce jour la cannibalisation de cette interview fleuve par la sortie du livre prête à sourire. Décidément, l'histoire est sans cesse réécrite par les hommes selon leurs intérêts. Il s'agissait bien d'une tentative de vampirisation de l'attention médiatique qui a échoué. Et doublement. Les tweets de Valérie Trierweiler révélant ce qui semble être un sms envoyé par François Hollande en 2005, dans lequel il se moque des sans-dents, s'ajoutent à ce fiasco. Nous avions déjà évoqué dans un précédent article la puissance dévastatrice de l'expression "sans-dents". Elle fait référence dans notre imaginaire collectif à un mythe. De tout temps, les "sans" sont un paradigme dans l'histoire et la littérature française. Julien Longhi, professeur des universités en sciences du langage à l’université de Cergy-Pontoise, conseille de lire ou relire sur le sujet Jacques Guilhaumou et "La parole des sans". Les "sans-culottes", "les sans-abris", les "sans-papiers"... Les "sans" résonnent comme une catégorie emblématique, capable tout à la fois d'évoquer la lutte sociale et le rapport conflictuel au pouvoir, dans lequel -précisément- devrait s'incarner le socialisme. Et c'est bien pour cela que l'expression est désastreuse.

La polémique repart donc de plus belle avec son ex compagne, mais aussi Julie Gayet et même les footballeurs de l'équipe de France à qui il est demandé de commenter les propos critiques du président... De nouveaux feux ardents à éteindre. Un méta-risque d'opinion. Alors certes il vaut toujours mieux raconter sa propre histoire que laisser à d'autres le soin de le faire. Mais pourquoi le faire aujourd'hui alors que ses adversaires surfent allègrement sur l'image de premier "bavard" de France qui lui est désormais accolée. A l'aube de la fin du quinquennat, pas de doute, le vrai problème de François Hollande en matière de communication, c'est d'abord et avant tout la maîtrise du temps.

Anne-Claire Ruel

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