François Hollande chez Lucette en Lorraine : le coup de com' raté de l'Elysée

François Hollande chez Lucette Brochet à Vandoeuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 29 octobre 2015. (FREDERICK FLORIN / AFP)

Branle-bas de combat à l'Elysée, l'heure est la gestion de crise, si tant est qu'il existe des situations "normales" au Palais. Peu après la venue de François Hollande chez elle, Lucette Brochet lançait une bombe révélant la mise en scène minutieuse de cette rencontre aux journalistes de L'Est Républicain et de BFM TV. L'infirmière à la retraite aurait donc été "briefée", selon le terme consacré, pour éviter les sujets qui fâchent. Bille en tête l'immigration. "Le matin, la mairie a envoyé une femme de ménage. Des employés municipaux ont apporté un gros bouquet et quelques chaises. Un chien policier est venu renifler l’appartement, au cas où un terroriste aurait déposé un pain de plastic" chez Lucette, explique L'Est Républicain. La polémique enfle. Stéphane Habloy, le maire de Vandœuvre-lès-Nancy a l'initiative de cette entrevue, monte en première ligne pour défendre le "Château" : "Il n'y a eu aucun sujet tabou lors de cette visite. Lucette n'a pas reçu un coup de fil de l'Elysée mais de la directrice de cabinet du préfet. La visite d'un chef de l'Etat doit s'organiser, avec des impératifs de sécurité. L'Elysée n'y est pour rien, je le jure" assure-t-il à Vincent Michelon dans les colonnes de Metronews. Qu'on ne s'y trompe pas, la communication des chefs d'Etat, de Mitterrand à Chirac en passant pas Charles de Gaulle et Valéry Giscard d'Estaing a toujours fait l'objet d'une très grande attention. De tout temps, les conseillers de l'Elysée ont impérieusement veillé à calibrer ces échanges avec les Français. Cependant, il y a bien eu ici un faux pas de communication. 

Laisser la place à l'imprévu pour donner à voir la stature présidentielle

S’il y a une chose que les communicants détestent, c’est l’imprévu. Gardiens farouches de l’image du politique, leur rôle est précisément de sélectionner, orchestrer et trancher pour s’assurer que rien, ni personne, ne bouscule la stratégie qu’ils ont mis des mois à établir. A ceci près que lorsque la communication est trop verrouillée, finie la spontanéité. La langue se fait de bois. Les gestes deviennent millimétrés. La communication prend le pas sur la sincérité. Tout l'enjeu est donc de trouver l’équilibre parfait entre sa propre personnalité et un jeu d’acteur déconnecté du réel lorsqu'on y est confronté. Organiser un déplacement thématique, ici sur le logement, la démarche pouvait sembler simple. Encore plus lorsque la personne censée recevoir le Président de tous les Français se prénomme "Lucette", prénom populaire et suranné s'il en est. Une jolie histoire à raconter. L'enjeu ? Marier la force des images à la puissance des mots pour évoquer une thématique en lien avec le lieu investi : le logement. En ce sens, l'échange avec François Hollande aurait dû renforcer l'image d'un Président à l'écoute des Français. Il n'en a pas été ainsi et il n'en pouvait être autrement au regard de la scénographie adoptée.

Créer les conditions de l'émergence du réel dans une situation imposée

C'est tout l'enjeu des communicants et à Vandœuvre-lès-Nancy cela a été... parfaitement raté. Au banc des accusés? L'armada des officiels et la multitudes de caméras accompagnant le Président. "A la télévision, il faut que Madame Michu voie la sincérité de l’homme qui parle, la voie dans son regard. Il doit être habité par une vérité, sinon, ce n’est pas la peine de faire de la politique" explique Michel Bongrand dans un entretien accordé aux Dossiers de l’Audiovisuel. Pas de bonne communication si tout est contrôlé. Encore moins si vous vous exprimez du salon d'une retraitée devant un parterre de journalistes. Pourquoi ne pas avoir fait sortir tout le monde pour ne garder qu'une caméra ? Le mystère reste entier. Pourquoi ne pas avoir usé de la bonne vieille technique du "pool", qui consiste, lorsque l’accès est restreint, à n'autoriser qu'une seule caméra. Les médias se partagent alors les images captées. En lieu et place de ce qui devait être un dialogue spontané, nous avons eu le crépitement des flashs immortalisant les visages crispés des "officiels", vestes étriquées et cravates serrées, présents pour écouter celui qui s'apparente du coup sans le vouloir à un Monarque, prêcher la bonne parole devant une Lucette enchantée : "Merci de m'avoir reçu. Ici, on est presque mieux qu'à l'Elysée, je peux vous le dire". Presque un nouvel épisode de François Hollande en terre inconnue. Meurthe-et-Moselle, nous voilà ! Déconnexion, j'écris ton nom. Mitterrand, malin comme un singe, l'avait bien compris lui qui faisait sortir les caméras pour plus d'intimité. Itou pour Valery Giscard d'Estaing et ses dîners chez les Français. Pourtant, dans le documentaire d'Yves Jeuland la séquence est réussie. Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes : François Hollande et Bernard Cazeneuve visitent la famille endeuillée du policier Ahmed Merabet, le 11 janvier. Mais la stature présidentielle est bien là. Sobre et solennelle. L'émotion jaillit. Le naturel aussi. La caméra se fait aussi discrète que possible dans ce moment tragique pour la Nation.

Alors comment croire à la sincérité de l'homme lorsque la ficelle de communication est aussi grossière ? La technique ne doit jamais l'emporter sur le fond. "Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire" disait Nietzsche. Et c'est bien cela le problème.

Anne-Claire Ruel

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