Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, veut placer l’épineuse gestion des chiffres de la délinquance sous la houlette des spécialistes de l’Insee, dont le savoir-faire est censé mettre fin au tripatouillage des statistiques de la délinquance. Cette idée lancée par Manuel Valls lorsqu’il était lui-même à l’Intérieur, «doit permettre d’avoir enfin un outil statistique fiable», explique-t-on place Beauvau.
Ca revient chaque année quelle que soit la couleur du gouvernement: la difficile gestion politique des statistiques de la délinquance. Doit-on les divulguer ? Sous quelle forme ? Quand elles sont mauvaises, les ministres de l’Intérieur mettent en cause leur manque de fiabilité. Quand elles sont bonnes, pas un ne résiste au bonheur de les claironner à la presse. Oubliées dans ce cas, leurs imperfections et la manière très aléatoire de leur collecte. Nous, les journalistes, ne sommes pas en reste, puisque chaque année, alors que nous savons pertinemment que ces statistiques ne sont pas rigoureuses, nous les reprenons tous en chœur et les commentons allègrement. Car, dans le fond, même avec leurs imperfections, elles correspondent à une photographie fugace de l’état de notre société… une vision de la part sombre de notre société... Certes, dans les grandes lignes, certes, un peu branlante, mais le sentiment d'insécurité que ces chiffres génèrent a le pouvoir de faire tomber un ministre et même un gouvernement.
Une matière explosive !
Donc, Bernard Cazeneuve a, cet après-midi, été auditionné par la commission des lois à l’Assemblée nationale. Les députés souhaitant comprendre "de quelle manière ce gouvernement souhaitait mettre fin à des décennies de magouille", m’a expliqué un élu. Le ministre leur a donc expliqué son programme: « Il a été décidé d’inscrire le traitement des statistiques de la délinquance dans le cadre du service statistique public en créant un service statistique ministériel (SSM) de la sécurité intérieure. Composé de statisticiens de l’INSEE et placé sous l’autorité conjointe des directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationale, ce SSM est officiellement installé depuis un mois », a expliqué Bernard Cazeneuve. « L’objectif est que les données produites par le SSM, croisées avec les enquêtes annuelles conduites par l’Insee, ne soient plus sujettes à caution, pas plus que ne le sont les statistiques économiques. Le débat se portera donc sur la réalité révélée par le chiffre et non plus sur le chiffre lui-même ».
Maintenant, c'est la machine qui va compter
Aujourd’hui, les études sont menées par l’ONDRP (l’Observatoire national de la délinquance) créé sous Nicolas Sarkozy, sur proposition d’Alain Bauer. Cet Observatoire a toujours été confronté à un problème : ses analyses se font sur la base des chiffres relevés par les services de gendarmerie et de police. Or, c’est justement la façon dont cette collecte est faite qui, jusque-là, posait problème. Les services de police et de gendarmerie ayant tendance à omettre de relever des crimes et délits quand il s’agissait de faire baisser les statistiques, ou tout simplement manquaient de rigueur dans cet exercice plutôt ingrat. Dorénavant, cette collecte est gérée à l’aide d’un nouvel outil informatique et l'objectif est que les experts de l’INSEE interprètent les résultats produits par une machine et non plus des hommes. C’est un progrès.
Reste l’interprétation de ces chiffres. Jusque-là, l’OND produisait des études censées être objectives et dégagées du joug du ministère. Dorénavantc ce sera la mission des agents de l’Insee physiquement installés au ministère de l’Intérieur. « Ce n’est pas illogique, explique un spécialiste, chaque ministère a son service Insee intégré, qu’il s’agisse de Bercy ou de l’Education nationale… mais on connaît tous des statisticiens frustrés qui ont vu leurs études rester au fond d’un tiroir car le cabinet avait interdit leur diffusion ». Comme quoi on n'est, semble-t-il, pas au bout de l’éternel débat sur la vérité des chiffres de la délinquance….