Il y a ceux qui prient devant le planning familial, ceux qui défilent à Washington, ceux qui brandissent des pancartes de fœtus ensanglantés. Ben DuPré, lui, travaille dans le calme d'un bureau climatisé à Montgomery, capitale administrative un brin assoupie de l'Alabama. Il n'en est pas moins en pointe du mouvement anti-avortement. L'avocat est à la tête de Personhood Alabama, un mouvement qui vise à faire reconnaître le fœtus comme un être humain à part entière.
Son engagement a commencé très jeune, sous l'influence d'un pasteur engagé. Ce dernier, qui dirigeait son école, leur décrivait par le menu "ce qui arrivait au fœtus lors d’un avortement". Ben DuPré se souvient "avoir été horrifié". Ce père de quatre enfants, très croyant, évoque volontiers sa famille pour éclairer son point de vue. "J’ai un fils de deux ans, et ma femme vient d’accoucher d’une petite fille. Je trouve horrible que l'idée que pendant que ma fille était dans l’utérus de sa mère, nous aurions pu légalement la tuer. Alors même que chaque nuit je pouvais la voir bouger dans le ventre de ma femme. Je trouve ça aussi terrible que si je pouvais tuer mon fils de deux ans."
Pour lui, l'avortement est un crime, quel que soit le moment ou la manière dont il intervient. "Je ne pense pas qu’il y ait de voie du milieu possible sur ce sujet."
La Cour suprême, le verrou ultime
Son cheval de bataille ? "Roe vs Wade", l'arrêt historique de la Cour suprême américaine qui régit le droit à l'avortement dans le pays depuis 1973. En vertu de cette décision, aucun Etat n'a le droit d'interdire l'interruption volontaire de grossesse. Tant que "Roe vs Wade" n'est pas renversé par une décision contraire, Mitt Romney a beau jeu de dire qu'il ne prévoit aucune législation anti-avortement : elle serait de toute façon caduque. Mais les militants du mouvement Personhood, représenté dans de nombreux Etats, pensent avoir trouvé la faille.
Toute leur action se base sur un passage du texte connu parmi les pro-life sous le nom de "collapse cause". La Cour y prend note de l'argument selon lequel "le fœtus est une 'personne' au sens du 14e amendement" de la Constitution américaine. Si cette qualité de "personne" était avérée, poursuit-elle, la défense du droit à l'avortement "s'effondrerait ['collapse', en anglais] car le droit du fœtus à la vie serait alors garanti par ce même 14e amendement".
"Nous prenons la Cour suprême à son propre mot", résume Ben DuPré en appuyant son index sur la pile de documents posée devant lui.
Meurtres d'"enfants à naître" et mères criminelles
Plusieurs textes législatifs récents vont dans le sens des anti-avortement. En 2004, une loi fédérale signée par George W. Bush a rendu possibles les poursuites pour homicide dans le cas où des violences contre la mère de l'enfant auraient entraîné ma mort de "l'enfant à naître" (par exemple, dans un accident de la route), défini comme "un membre de l'espèce humaine in utero, quel que soit son stade de développement".
L'Alabama a franchi un pas supplémentaire en 2006, en instaurant le crime de "chemical endangerment" qui punit de dix ans de prison ferme ceux qui ont entraîné la mort d'un enfant par exposition à des substances chimiques nocives. Le texte vise spécifiquement les femmes qui se droguent durant leur grossesse : depuis, plusieurs d'entre elles ont été poursuivies et écrouées.
Dans les deux cas, les pro-choice – favorables au droit à l'avortement – dénoncent un langage législatif ambigu remettant en cause de manière insidieuse les fondements du droit à l'avortement.
"Les pro-choice tuent les leurs, nous avons toutes les chances de l'emporter"
Ils ont raison. Pour Ben DuPré, ces lois ne sont qu'un premier pas. Lui et les autres membres du mouvement Personhood multiplient les requêtes auprès des Cour suprême de chaque Etat pour tenter de faire reconnaître le droit à la vie fœtus – qu'ils appellent toujours "enfant à naître" ("unborn child", en anglais). Avec pour ultime objectif de forcer la Cour suprême fédérale à reconsidérer sa position et mettre fin au droit à l'avortement par un nouvel arrêt.
"J’attends avec impatience le jour où l’Amérique dira enfin 'ça suffit, nous n’allons plus tolérer ça, tout comme nous avons cessé de tolérer l’esclavage'", explique le militant, qui parle de "diktat judiciaire" lorsqu'il évoque "Roe vs Wade". L'avocat est confiant sur l'avenir d'une cause, qui, selon lui, "ne s'éteindra jamais". "Les sondages le disent : les Etats-Unis sont de plus en plus pro-life. Et, quand on y pense, les pro-choice tuent les leurs. Les pro-life font des enfants. D’un simple point de vue statistique, nous avons toutes les chances de l'emporter."