A Birmingham, le pasteur Terry Gensemer m'a donné rendez-vous devant l'antenne locale du Planning Familial. "Il y avait cinq cliniques qui pratiquaient l’avortement ici à la fin des années 1980. Aujourd’hui, c’est la dernière de la ville." L'organisation anti-avortement qu'il dirige, CEC for Life, a contribué à faire fermer l'avant-dernière d'entre elles, New Woman All Women.
Dans l'Alabama, Etat très conservateur niché au cœur de la "Bible Belt", le nombre d'établissements pratiquant les avortements est passé de 45 au début des années 1980 à 8 en 2008, selon les données compilées par le Guttmacher Institute, les dernières publiées officiellement. Selon mon décompte, ils ne sont plus que cinq aujourd'hui. Le nombre d'avortements, a, il est vrai, également diminué sur la même période, mais dans une proportion deux fois moindre, se traduisant par un recul dans l'accès à l'IVG. Du point de vue des opposants à l'avortement, comme Terry Gensemer, c'est un indéniable progrès.
Une cause passionnelle au cœur du débat politique
Aux Etats-Unis, la question de l'avortement divise deux camps aux vues irréconciliables. D'un côté, les "pro-choice" - 41% de la population, 62% des démocrates, selon l'institut de sondage Gallup -, qui défendent le droit des femmes à disposer librement de leur corps. De l'autre, les "pro-life" - 50% de la population, 68% des républicains - souvent croyants, qui assimilent l'avortement à un meurtre et voudraient le faire interdire. Le débat s'est particulièrement exacerbé cette année après une série de lois restrictives passées dans des Etats tenus par des républicains.
Terry Gensemer, qui se consacre à la cause pro-life, lie son engagement à une expérience quasi-mystique, vécue à la fin des années 1980. Fraîchement arrivé à Birmingham et pas encore pasteur, il se rend à une marche locale d'opposants à l'avortement à l'invitation d'autres paroissiens. "Les organisateurs nous ont dit : ‘nous allons marcher en face des cliniques, des personnes vont vous crier dessus, ne répondez pas, restez dans une attitude de prière’. C’est ce que nous avons fait. Il y avait beaucoup de volontaires venus là pour monter la garde près des cliniques. Ils criaient, se moquaient, nous crachaient dessus", affirme le prêtre. "J’ai eu l'impression, à ma mesure, de vivre une expérience similaire à celle du Christ sur le chemin de croix."
C'est à cette époque qu'il a commencé à aller prier en face des cliniques pratiquant l'avortement. Il ne s'est jamais arrêté : aujourd'hui à la tête de CEC for Life, il continue d'organiser des prières de groupe une fois par semaine à Birmingham, tout en mobilisant les ressources de l'organisation pour exercer une vigilance constante sur les établissements concernés. "Il y a différentes tactiques [pour entraver l'activité des cliniques]", explique le pasteur. "Une des choses sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui, et qui s’est avérée très efficace pour la fermeture de New Woman All Women, c’est de rechercher si des lois ou règlementations sont bafouées à l’intérieur de la clinique." Son groupe a fini par obtenir gain de cause après que deux patientes ont reçu un surdosage de médicament au cours d'une IVG : l'établissement s'est vu retirer sa licence en mai dernier. La clinique avait déposé un recours auprès des autorités, mais elle a été déboutée mardi 12 septembre.
Des procédés discutables, mais assumés par les militants "pro-life"
Décision purement sanitaire ? Pas pour les "pro-choice", qui crient au harcèlement. Car les prières silencieuses et la surveillance sanitaire sont loin d'être la seule arme déployée contre New Woman All Women et les autres cliniques. Régulièrement, des militants pro-life viennent manifester. Certains n'hésitent pas à brandir des pancartes montrant des foetus ensanglantés au passage des futures patientes.
Le procédé, désapprouvé par certains pro-life, ne choque pas Sarah Howell, 28 ans, qui travaille depuis deux ans aux coté de Terry Gensemer et milite depuis l'université au sein du mouvement pro-life. "Nous utilisons peu d’images explicites, mais nous travaillons avec des organisations qui les utilisent. Mon point de vue, c'est qu'au moment de l’Holocauste, les gens ne croyaient pas à l’extermination massive des Juifs. C’est seulement lorsque les images sont sorties qu’ils ont réalisé [l’ampleur du génocide], explique calmement la jeune femme, attablée face à moi dans un petit café prisé des étudiants du coin. Oui, c’est une image dérangeante, mais c’est ce à quoi ressemblent des fœtus expulsés par un avortement. C’est un outil éducatif important, et nous n’avons aucun problème avec leur utilisation sur un campus universitaire ou aux abords d’un lycée, si c’est autorisé."
La jeune assistante a commencé a s'intéresser au sujet pendant ses études. Il a pour elle une résonance personnelle : alors qu'elle était encore mineure, sa mère est tombée enceinte et a dû affronter ses parents, qui voulaient qu'elle avorte. "Elle a finalement fait une fausse couche", raconte Sarah Howell, mais bien plus tard, elle a raconté l'histoire à sa fille. "C’est quelque chose sur lequel mes parents étaient très ouverts."
Le soutien d'Obama au Planning familial ne passe pas
Avant de rejoindre CEC for Life, Sarah Howell travaillait pour un autre groupe pro-life, Stand True, et dans un centre d'hébergement pour mères célibataires. "Le mouvement pro-life peut prendre différentes formes, dont les centres d’aide à la grossesse, qui sont dans certains cas le front le plus important, explique la jeune assistante. Parce que bien sûr, si vous encouragez une femme à renoncer à l’avortement, il faut que vous soyez là pour l’aider."
Comme beaucoup de pro-life, Sarah Howell se bat pour sa cause avant tout. Sur le plan politique, elle ne se voit pas particulièrement comme républicaine, mais ne votera jamais pour un candidat pro-choice, et certainement pas pour Barack Obama, " le président le plus pro-avortement qu'on ait jamais eu". Les pro-life ne pardonnent pas au président démocrate le soutien crucial apporté au mouvement du Planning familial (Planned Parenthood aux Etats-Unis). Ce dernier, en difficulté après que certains Etats lui ont coupé ses financements, a reçu en début d'année plusieurs centaines de milliers de dollars de subventions fédérales destinées à lui permettre de maintenir ses activités.
"Il les soutient, et s’assure qu’ils reçoivent de l’argent venu de nos impôts !" s'insurge Sarah Howell, pour qui le président "soutient une organisation qui blesse des femmes [les pro-life accusent Planned Parenthood de dissimuler des accidents survenus au sein de ses cliniques] et tue des enfants". Si la campagne de Barack Obama accuse le parti républicain de s'être considérablement radicalisé sur cette question, pour elle, les positions extrêmes sont à chercher dans le camp opposé.
La jeune femme lève les yeux au ciel en évoquant Sandra Fluke, cette jeune étudiante en droit devenue célèbre après avoir été malmenée par un animateur ultra-conservateur et érigée par la campagne Obama comme symbole de la "guerre contre les femmes" menée par les républicains. "Les démocrates ont soutenu si ouvertement l’avortement, que le parti républicain s’oriente presque par réaction, affirme la militante. Il n’y a pas une seule personnalité démocrate pro-life qui s'est exprimée à la convention démocrate, ils sont incapables d’accepter l’autre point de vue."