La contre-attaque anti-Obama qui fait flop

Les médias conservateurs espéraient lancer une bombe, ils en sont quittes pour un beau pétard mouillé. Mardi 2 octobre, Fox News et le site The Daily Caller ont diffusé avec force publicité une vidéo de Barack Obama présentée comme sulfureuse. Las… Loin d'être une éclatante revanche à la vidéo dite "des 47%", dont Mitt Romney paye encore les conséquences, il s'agit en réalité d'un discours daté de 2007 largement couvert par les médias à l'époque. Chronologie d'un buzz raté.

Phase n°1 : un suspense savamment orchestré

Le Drudge Report, un site d'information conservateur, a le premier fait monter la sauce. Mardi en fin d'après-midi, Matt Drudge, le fondateur, lâche sur son fil Twitter : "Une curieuse vidéo va être publiée ce soir. PAS sur MOTHER JONES [le magazine qui a publié la vidéo où Mitt Romney parle "des 47%"]. Elle suscitera la controverse, et des accusations de racisme – de la part des deux bords !"

Sur sa page d'accueil, le site affiche en majuscules : "SUR FOX NEWS CE SOIR, L'AUTRE DISCOURS SUR LA RACE D'OBAMA". Au fil des heures, les messages se font plus précis : "L'ACCENT… LA COLERE… LES ACCUSATIONS", scande le site.

Plus qu'intriguée, la presse politique américaine est en ébullition. A 24 heures du premier débat présidentiel, la révélation d'une vidéo cachée de Barack Obama pourrait faire des dégâts. Tucker Carlson, fondateur du Daily Caller, confirme la révélation imminente d'un "scoop". "La vidéo sera en ligne sur le Daily Caller à 21 heures", explique le journaliste.

Phase n°2 : une révélation en fanfare

A l'heure dite, elle fait non seulement la une du site, mais aussi celle de l'émission du célèbre présentateur conservateur de Fox News, Sean Hannity, en accord avec Carlson.

A l'écran, les images renvoient les téléspectateurs cinq ans en arrière. Nous sommes le 5 juin 2007, et Barack Obama n'en est encore qu'au tout début de la campagne pour les primaires démocrates, qui l'oppose à Hillary Clinton. Le jeune sénateur s'exprime devant de nombreux leaders religieux rassemblés à l'université de Hampton, en Virginie.

Devant cet auditoire essentiellement afro-américain (l'université est traditionnellement à majorité noire), Barack Obama accuse l'administration Bush de négliger la minorité noire et parle d'"émeutes silencieuses" pour décrire les tensions qui animent la communauté. Il évoque aussi les défaillances de l'Etat dans l'aide apportée aux victimes de Katrina, sous-entendant qu'elles ont été négligées parce qu'elles sont pauvres et noires.

Sur Fox News, Hannity et Carlson se déchaînent, pointant du doigt un discours chargé de tensions raciales, volontairement appuyées par le futur président. Ils citent notamment son "accent" africain-américain, selon eux volontairement renforcé. "Cet accent est absurde, expliquent-ils. Obama ne parle pas de cette manière."

Cerise sur le gâteau pour les promoteurs du scoop, Obama clame haut et fort son affection pour le pasteur Jeremiah Wright, son "pasteur" et "ami", qui "lui a fait rencontrer Jésus-Christ". Un homme dont Barack Obama s'est, quelques mois plus tard, sérieusement distancié après la révélation de prêches incendiaires, où Wright accusait notamment le gouvernement américain d'avoir "mis au point le virus du sida à des fins de génocide visant les personnes de couleur".

Phase n°3 : un soufflé qui retombe

Problème : tout ça n'a rien d'un scoop. Le discours, public, avait été à l'époque couvert par de nombreux médias dont, ironie savoureuse, Tucker Carlson lui-même, à l'époque présentateur d'une émission à son nom sur MSNBC. Une vidéo dénichée par Slate.com en atteste.

Politico avait même à l'époque classé ce discours, au style il est vrai beaucoup plus agressif que celui adopté d'habitude par Obama, parmi les gaffes majeures de la campagne de 2008. Tucker Carlson affirme en avoir obtenu une copie intégrale non diffusée à l'époque, mais ses arguments font pschitt : la plupart des extraits ont été diffusés d'une manière ou d'une autre.

Le verdict de la presse, résumé par le Huffington Post, est unanime : Tucker Carlson et Sean Hannity, en fait de révélations, n'ont fait que parasiter le débat politique pendant toute une soirée. Pour le tournant de l'élection, on repassera.