14 juillet : le pompiste est dans l'ascenseur

Thomas Hervé est l'un des chroniqueurs de Télématin. Il remplace régulièrement William Leymergie à la présentation, et a usé ses fonds de jeans à la Sorbonne avec votre serviteur. Cela faisait un bon moment que j'avais envie de faire un petit bout de chemin professionnel avec lui. Il a accepté sans hésiter d'interrompre ses vacances pour vous faire vivre en direct deux ravitaillements en vol à bord d’un C-135. Il a répété hier lundi 11 juillet, comme tous les reporters chargés de traiter tel ou tel avion ou hélicoptère. Il vous raconte un peu de sa journée :

Lorsque j’arrive sur la base aérienne 125 à Istres je n’en mène pas large. Je vais prendre place à bord d’un Boeing C-135 pour vous faire vivre de l’intérieur une partie du défilé des FAS (Forces aériennes stratégiques) chargée de l’emploi des armes nucléaires au sein de l’armée de l’air française. Nous allons effectuer une répétition de ravitaillement en vol d’un AWACS et de 3 Rafales, et surtout nous allons survoler Paris à moins de 300 mètres de hauteur pour être parfaitement synchronisé le 14 juillet. Le tout est planifié comme n'importe quelle mission militaire.

Pour l’instant je suis face au seul avion qui sourit quand on le sort de son hangar : le fameux c-135. Il sourit car la protection des buses de chaque côté de l’appareil forme une sorte de bouche juste au-dessous de son gros nez sympathique.

Lequel des deux sourit-il le plus ?

Lequel des deux sourit-il le plus ?

J’interroge le capitaine Jean-François (Nous ne donnons pas les noms de famille des militaire (ndlr):

En quoi la mission est-elle stratégique ?

"Imaginez deux enfants séparés par une rivière. Lequel lance son caillou le plus loin ? C’est tout l’enjeu du ravitaillement en vol qui permet de projeter des avions plus loin. Un Rafale a une autonomie de 2 à 3 heures maximum, ce qui est, la plupart du temps, insuffisant compte tenu des distances très importantes à couvrir sur la bande sahélo-saharienne par exemple. C’est pourquoi ils ont besoin du ravitailleur, qui est en fait une grosse station-service volante. Le ravitaillement peut doubler, tripler, quadrupler voir quintupler son rayon d’action. C’est ce qui rend le C-135 si stratégique.

Thomas avec le Ct Jean-François à gaucheLe ravitaillement en vol permet également de maintenir des appareils de surveillance en vol plus longtemps, pour retrouver des débris d’avion, ou pour maintenir des bombardiers en états d’alerte comme lors de la guerre froide.
Plus récemment le kit « Morphée » (Module de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation) permet au Boeing C-135 de rapatrier jusqu’à 12 personnes en réanimation, il se transforme alors en véritable hôpital volant.

Pourquoi est-elle délicate ?

En aéronautique, deux objets volants ne doivent jamais rentrer en contact. Or c’est le principe du ravitaillement en vol. Imaginez deux voitures qui doivent se toucher, pare- choc contre pare- choc à 130km/h sur une autoroute ! C’est donc une opération difficile. D’ailleurs, le capitaine Alexandre pense qu’en matière de ravitaillement en vol : « il existe deux catégories de pilotes, la première qui casse la perche et la deuxième qui casse la perche… » Bref c’est une opération plus risquée qu’il n’apparait.
Comment faire pour synchroniser les vitesses des avions ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout est manuel : le pilote du C-135 ne voit pas les appareils derrière lui ; c’est une personne appelé le boomer (Opérateur de Ravitaillement en Vol) qui se charge de guider le tuyau vers l'avion et qui synchronise l’opération. Le pilote de l’appareil qui vient chercher son kérosène doit approcher sa perche et la placer dans le panier."

Le panier qu'il faut "brancher" avec l'avion à ravitailler

Le panier qu'il faut "brancher" avec l'avion à ravitailler

Vol sur boeing C135 mr thomas hervé

À quelle altitude se produit le ravitaillement ?

"Généralement autour de 6000 m. Les appareils ne sont pas protégés contre les attaques venant du sol ou des airs. Il faut donc procéder à l'échange de kérosène dans une zone où l'on possède la suprématie aérienne. Mais attention, cette zone ne doit pas être trop éloignée du lieu d'intervention. Sinon, le ravitaillement ne sert pas à grand-chose
Comment se passe concrètement l'échange ?
Le pilote du C 135 ne voit absolument pas ce qui se passe derrière lui. A bord le boomer se charge de guider le tuyau dans la perche de l'avion. Mais le pilote de l'avion qui reçoit le kérosène doit lui aussi placer sa perche de réception dans un panier. Le tout doit absolument rester dans un espace d'un mètre cube."

Combien de litres à la seconde ? 

"Environ 1 tonne par minute  (comme lors d'un ravitaillement de formule 1). Donc pour un Rafale, il faut entre quatre et cinq minutes pour remplir ses réservoirs. Pour un AWAKS, il faut entre 15 et 25 minutes. Mais attention au transfert de poids de plus de 25 tonnes entre les deux appareils !"

Briefing

Briefing

Vol sur boeing C135 mr thomas hervé

Quelle est la mission la plus périlleuse pour un ravitailleur ?

"Nos deux ennemis sont la nuit et la mauvaise météorologie."

Quel est le record de durée de mission en vol pour les chasseurs ?

"Au cours des dernières missions française on a pu effectuer jusqu'à cinq ravitaillements par rafale. Soit des missions d'une durée de 10 heures.
Possédez-vous vos propres stocks de kérosène ?

Pourriez-vous être affecté par une grève générale dans les raffineries françaises ?

"La réponse est : confidentiel défense. J’adore ce genre de phrase, en présence de tous ces officiers, j’ai l’impression d’être 007 !"

Vue imprenable, privilège du défilé aérien

Vue imprenable, privilège du défilé aérien

A savoir :
Le premier ravitaillement en vol de l'histoire a eu lieu le 21 novembre 1921, au-dessus des côtes de la Californie : les as de l’époque ont tout simplement échangé un bidon d’essence d’un biplan à un autre en plein vol.

A savoir aussi :
Le C135 : Envergure 40m, longueur 41,6m, hauteur 12,8 m, 4 réacteurs d’une poussée de 10 tonnes chacun. Bref, un gros bébé ! Au départ, c’était un ravitailleur de bombardier pendant la guerre froide, puis c’est devenu un appareil civil : le Boeing 707. D’habitude, c’est plutôt le contraire qui se produit.

Texte : Thomas Hervé

Photos : Alain

Edition : Pascal Doucet-Bon

Publié par Pascal Doucet-Bon / Catégories : Non classé