Histoire de la résistance, 1940-1945, par Olivier Wieviorka, Perrin 2013
Connaissez-vous Etienne Achavanne ? « Le 20 juin 1940 », écrit Olivier Wieviorka, « [cet] ouvrier agricole sabota en solitaire les lignes téléphoniques qui relaient la base aérienne de Boos à la Feldkommandantur de Rouen. Arrêté (…) fusillé, il fut le premier martyr de la résistance intérieure.
Ainsi débute ce long récit. L’auteur cite immédiatement Honoré d’Estienne d’Orves, « premier agent de la France libre à tomber sous les balles de l’ennemi, puis Henri Frenay, fondateur de Combat, et Louis Rivet, « patron des services spéciaux de l’armé, [qui] préféra rester dans le cadre du régime vichyste jusqu’en 1942 » et résister de l’intérieur tout en dirigeant un service qui traquaient les gaullistes et les espions britanniques, avant de rejoindre Giraud à Alger. Le ton donné en quatre paragraphes : l’ouvrage traitera des approches distinctes, des rivalités, des ambigüités et des paradoxes d’une entité difficile à résumer : la résistance.
La résistance, combien de divisions ?
Une entité qu’il convient de quantifier ; Après être tombée dans le panneau gaulliste et communiste du « tous résistants », la mémoire collective a cultivé depuis les années 1970 l’idée d’une France au contraire massivement pétainiste et d’une poignée de résistants. L’auteur nuance : « on peut distinguer la résistance-organisation, (...) à l’évidence une toute petite minorité, et la résistance-mouvement, phénomène social beaucoup plus vaste. » Plus vaste mais tout de même minoritaire ; que ce résumé n’altère pas la pensée de l’historien. Le livre choisit en tous cas de traiter la résistance-organisation.
Olivier Wieviorka s’interroge ensuite sur les facteurs et la nature de l’engagement initial des différents types de résistants, avant de décrire au deuxième tiers de l’ouvrage la sociologie des mouvements. Car toutes les classes sociales n’ont pas contribué de la même manière, « l’aggiornamento communiste » du printemps 1941 ayant créé « une nouvelle donne ».
La résistance indifférente à la persécution antisémite ?
« La résistance ne fut guère hantée par le sauvetage des juifs », écrit l’historien. Il s’interroge sur les raisons : « primat de la lutte politique ou armée contre l’occupant ? (…) Proximité idéologique d’une part de la résistance avec le régime vichyste ? ». Une résistance antiraciste s’est bien développée, mais elle le fait d’organisations spécifiques.
De l’unification à une victoire inachevée
Les chapitres suivants sont consacrés à l’unification des mouvements, les rivalités personnelles et idéologiques, les coups bas et trahisons, de la mort de Moulin à la réussite Cahin-caha en passant par l’échec de Brossolette.
Passionnante, l’avant dernière partie du livre cherche à découvrir si la résistance a gagné sa guerre. Le constat est mitigé. Certes, le Conseil National de la Résistance a fondé la France moderne résumée en quelques plans dans nos sujets anniversaire : le vote des femmes, la sécurité sociale et l’économie mixte. Mais la résistance n’a pas su « recomposer le champ politique » et éviter « la sclérose des partis existants ». L’auteur explique même que la plupart des réformes structurelles de 1945 ont en fait puisé leur origine dans des idées des années 30, elles-mêmes prolongées par certains fonctionnaires du premier gouvernement de Vichy. Reste, évidemment, une génération d’hommes politiques aux personnalités bien trempées, mais aussi de nombreux recalés de la notoriété « dont les qualités requises dans le combat clandestin – courage, désintéressement, refus du compromis – ne prédestinaient guère aux joutes politiques. »
Au départ, cette somme, chronologique, m’a fait peur, d’autant que je n’étais pas en avance pour la préparation de notre spéciale 8 mai (rassurez-vous, tout est prêt, maintenant !). Mais l’auteur a une capacité hors du commun, dans l’économie de mots, à synthétiser pour le plus grand nombre, sans céder aux approximations du roman historique. Bref, c’est du sérieux, mais pas du chiant. Pas étonnant qu’Olivier Wieviorka sache aussi écrire pour la télévision ! Je vous rappelle qu’il est l’auteur, avec David Korn-Brzoza, du magnifique « Après Hitler », que France 2 diffuse dimanche 8 à 20h50, et dont nous parlerons dans notre émission.
Pascal Doucet-Bon