Paris, Berlin, la mémoire de la guerre, 1914-1933, par Elise Julien, ed. Presses Universitaires de Rennes
Elise Julien sera notre invité dimanche 21 février à 22h20 dans "Apocalypse-Verdun : l'édition spéciale". Elle était déjà des nôtres lors des cérémonies du 11 novembre 2014.
Agrégée d'Histoire, elle enseigne à Sciences Po Lille et a consacré sa thèse de doctorat à la mémoire de la grande guerre, à Paris et à Berlin , de 1914 à 1933. Ce livre est la version remaniée de cette thèse.
Un vainqueur exsangue, un vaincu qui ne reconnaît pas sa défaite et vit dans la misère son humiliation : comment Paris et Berlin se sont-ils souvenus ? Très différemment, évidemment. Prenons par exemple la question d'un jour de commémoration nationale. "En France, la question du 11 novembre est réglée en 1922", écrit Elise Julien. En Allemagne, c'est autrement plus compliqué. La défaite a été aussi la chute d'un régime, l'empire, et l'avènement d'un autre, la République. De quels symboles ce nouvel Etat devait-il se doter. ? A qui laisser la main ? Un ministère ? Le VDK (l'équivalent allemand du Souvenir Français) ? En fait, de débats en débats et au gré d'initiatives disparates, l'Allemagne n'a pas eu de jour commémorant la grande guerre ; et c'est toujours comme ça. Au regard du nombre de victimes et de la disette des civils, cela peut paraître incompréhensible ; Elise Julien chasse ce raisonnement anachronique pour expliquer la logique d'outre-Rhin.
Des "contenants" (en l'occurrence l'acte de commémorer) sont différents, les contenus aussi; A Paris par exemple, l'immédiat après guerre voit essentiellement émerger dans les ruines le souvenir les bombardements comme signe de la barbarie allemande, quand le berlinois, lui se rappelle surtout avoir eu faim, et craint que la famine revienne.
Elise Julien rappelle aussi la construction politique du symbole du soldat inconnu, dont le principe s'impose très vite à Paris en 1920, mais au sujet duquel la bataille s'est portée sur le lieu. Au Panthéon, jugé trop fermé et obscur, la gouvernement préféra l'Arc de Triomphe de l'Etoile, en 1921. Ainsi l'Arc de Triomphe sera le monument national de la grande guerre, loin du front. Aujourd'hui encore, le Président de la République s'y rend tous les 11 novembre alors qu'il va plus rarement à ND de Lorette ou à Verdun, par exemple. En Allemagne, la question d'un monument national se heurte à la question de son coût, malgré plusieurs projets financés par souscriptions. Les vétérans défendent l'idée d'un bois sacré en Thuringe, quand Hindenburg préfére un monument à Berlin, avant de changer d'avis. Au final, plusieurs monuments se feront concurrence, même si le bâtiment de la Nouvelle garde tiendra lieu au final, de monument national sans en avoir le statut officiel.
Autre différence : les choix artistiques (et le nombre, bien inférieur en Allemagne) des monuments locaux.
Cette lecture rappelle avec rigueur ce que je constate à chaque cérémonie depuis que je dirige les éditions spéciales : la commémoration est un art qui parle autant de l'actualité, des contraintes et du récit national au présent que d'une vision de l'Histoire. La Mémoire n'est pas l'Histoire, mais il y a une Histoire de la Mémoire.
La preuve...