Pierre Brossolette aurait pu entrer au Panthéon en même temps que Jean Moulin. Mais le temps d'une commémoration est toujours celui de la politique du moment et non celle du sujet commémoré... Le journaliste paya ainsi ses origines politiques, lui qui avait pourtant décidé des les mettre de côté par patriotisme gaullien.
Moulin, Brossolette : ces deux-là ne s'aimaient guère. peut-être parce que leurs statures étaient comparables. Des quatre biographies que j'ai lues pour préparer la spéciale "panthéonisations" du 27 mai dernier, voici celle que j'ai retenue pour ce blog :
Il s’appelait Pierre Brossolette, par Gilberte Brossolette, éd. Albin Michel, 1976 ; l’Archipel, 2015
Il s’agit de la réédition du témoignage de Gilberte Brossolette, l’épouse de Pierre, rédigé en 1976.
Ce livre est bien-sûr marqué par l’admiration et l’amour ; il veut apporter le point de vue de l’intime en complément des biographies historiques. Mais l’auteure connaissait trop bien la chose publique et la politique –elle fut vice présidente du Sénat de 1946 à 1954- pour ne pas faire ressortir LA particularité de Pierre Brossolette : son caractère visionnaire.
Comme beaucoup de résistants, son moteur fut le refus de la défaite et du totalitarisme au nom de la liberté. Mais Pierre Brossolette avait, en plus, une capacité d’analyse et une liberté intellectuelle forgées par son parcours de journaliste : compréhension de l’obsolescence du régime parlementaire de la IIIème République ; affirmation du danger de Münich (ils n’étaient pas nombreux parmi les socialistes) ; conviction précoce, contre sa famille politique, de la nécessité d’un exécutif fort après guerre ; conscience de la nécessité du partage de l’information (sans lui, De Gaulle aurait-il connu en détail l’émergence des réseaux intérieurs ?). La clairvoyance et le courage.
Je recommande tout particulièrement l’annexe VII de ce livre. Une lettre d’engueulade à peine polie à De Gaulle, à qui il reproche sa tendance à « nier la critique ». Le Général n’a pas du en recevoir beaucoup, des comme ça… Ainsi, Pierre Brossolette n’avait peur de rien.
Ce témoignage n’est pas qu’une leçon de courage, mais aussi un cours d’indépendance d’esprit et de journalisme.