C'était Jean-Marie Le Pen (7)

Le FN serait-il sous la menace d’un procès sur le financement de ses campagnes ? Le parquet de Paris vient de demander le renvoi en procès du parti, ainsi que de plusieurs de ses membres et proches de Marine Le Pen dans le cadre de l’enquête sur le financement de la campagne électorale de ses candidats aux législatives de 2012. Le micro-parti Jeanne et la société Riwal pourraient être à la base d’un éventuel montage financier pour s'enrichir, par le biais du remboursement par l’État de ses dépenses de campagnes.

Parmi les structures visées, Jeanne, créée en novembre 2010. Ce micro-parti fait écho historiquement à un autre : Cotelec (1988) - acronyme de cotisation électorale – inauguré une bonne vingtaine d'années plus tôt par Jean-Marie Le Pen. C’est surtout à l’approche des présidentielles que le président du FN sollicite cette structure, sachant qu’elle peut également servir pour l’ensemble de son action. Son but ? Lancer des souscriptions auprès des adhérents et sympathisants du FN pendant les campagnes de Jean-Marie Le Pen. Les deux associations ont donc, en partie, un objectif similaire, à savoir utiliser les fonds qu’elles contractent (majoritairement des prêts bancaires) pour financer les campagnes électorales du parti. Elles peuvent agir en concomitance. À plusieurs reprises, Cotelec est venue en aide au FN mariniste. Par exemple, dans le cadre de la présidentielle de 2012, l’association de Jean-Marie Le Pen apporte deux millions d’euros ; Jeanne participant à hauteur de 500 000 euros (Minute, 14 mars 2012).

Cotelec apparaît dans l’histoire à un moment précis : peu avant la mise en vigueur de la loi de financement des partis politiques (1990) qui prévoit des dotations en fonction de la représentativité du parti, mesurée d’après ses résultats électoraux. Jusqu’à cette date, le FN fonctionnait comme les autres formations politiques, à partir des dons de donateurs et des cotisations des militants et de quelques entreprises. Les statuts de Cotelec la présentent comme une « association spécialisée du Front national, chargée de recueillir des fonds ». Une modification ultérieure lui donne un objectif différent et complémentaire : « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen ».

Aussi, à partir du début des années 1990, les ressources du FN augmentent considérablement. Au moment de la scission mégrétiste (1998), certains mettent en évidence ce qu'ils considèrent comme une coupure dans l’histoire du Front national. Pour d’anciens du parti, le versement de l’argent public aurait corrompu le FN. D’une part, d’un point de vue idéologique en le rendant dépendant du pouvoir en place ; une sorte d’allégeance au « système » lui faisant perdre sa liberté politique. D’autre part, en provoquant une « crise d’appareil ». Édouard Ferrand, conseiller financier, élu conseiller régional de Bourgogne, et nommé secrétaire départemental de l’Yonne, revient sur ce tournant : le financement public des partis politiques « qui, en octroyant au FN une manne de 42 millions lourds a provoqué de profondes mutations dans notre formation politique. Autrefois, nous étions un parti de militants : l’adhérent payait ses affiches et son essence. Aujourd’hui, il y a des salariés qui se sont coupés de la base et parfois réagissent en véritables apparatchiks. Souvent, leur statut de hauts fonctionnaires en détachement (…), leur apporte une sécurité qui leur permet en termes de carrière plus qu’une fidélité inconditionnelle ».

Le FN possède alors deux structures de financement : l’une officielle, l’Association de financement du Front national (AFFN) – supervisée par Jean-Pierre Reveau, le mandataire financier mandaté lors du congrès national – et Cotelec, contrôlée par le président du FN. C’est « son domaine privé. Lui seul y a accès », rapporte l'ancien imprimeur du FN Fernand Le Rachinel. Jean-Pierre Mouchard est le premier trésorier de Cotelec. Jean-Marie Le Pen et lui ont collaboré à des projets communs. Patron des Éditions François Beauval, Jean-Pierre Mouchard possédait un « fichier de 600 000 noms, classés par catégories : PME, professions libérales, cadres, retraités, agriculteurs, etc. ». Jean-Marie Le Pen utilise ce fichier pour Cotelec et lance plus ou moins régulièrement (en fonction des échéances électorales) des appels aux dons et des emprunts ; ces derniers constituant un « acte militant, mais aussi un placement financier » – qui rapporterait des intérêts annuels – avec comme garanties, le remboursement par l’État des frais de campagne.

Franck Timmermans pointe une contradiction de taille, liée à l’apparition de cette structure : Jean-Marie Le Pen se trouve à la tête de deux partis politiques – Cotelec et le FN –, ce qui contrevient à l’article 6 des statuts du FN : « l’adhésion au Front national n’est compatible avec aucune appartenance à un autre Parti ou Mouvement Politique, quel qu’il soit ». L'ancien cadre du parti poursuit : « Jean-Marie Le Pen voulait au-delà du fichier adhérent du FN – et même de son fichier "sympathisants" – une structure indépendante du FN qui puisse gérer des fichiers également indépendants, destinés à lui apporter un maximum d’argent pour ses campagnes électorales. Cotelec fonctionne par prospection, par routage. Le Pen savait que ce n’était pas sur les finances du FN, ni en passant par le FN, qu’il aurait des facilités pour glaner des finances supplémentaires. En plus, il y avait des gens prêts à donner de l’argent au FN mais qui ne voulaient pas rentrer dans une structure politique connue. (...) Cotelec s’efforce d’acheter, de récupérer des fichiers ou d’en louer. Sa vocation principale est de se constituer un fichier qui déborde largement le cercle politique FN et qui s’adresse à des milieux non embrigadés dans la politique. (...) Cotelec pouvait prêter de l’argent au FN, sans doute avec intérêts. Il est apparu beaucoup plus intéressant d’ériger Cotelec en parti politique pour justement pouvoir prêter cet argent et le récupérer. (...) En se retrouvant président de deux partis politiques, Jean-Marie Le Pen s’est positionné dans une situation illégale où il se prêtait de l’argent à lui-même. C’était un abus manifeste. Le fonctionnement de Cotelec a bénéficié d’une opacité incontestable. S’est mis en place un fichier parallèle sans que les fédérations puissent obtenir une quote-part sur les dons ni une mise à jour des fichiers. Le FN a été ainsi privé d’un certain nombre de soutiens et de prospections possibles de par les méthodes souvent confiscatoires de son président ».

Fin 2011, Steeve Briois, mandataire financier de Jeanne, explique au site OWNI le pourquoi de la création de l'association mariniste. Elle « a réuni des fonds, notamment des prêts bancaires, à l’époque où le Front national ne pouvait pas le faire à cause des conflits financiers avec Fernand Le Rachinel ». Il confirme également le rôle de soutien financier de Jeanne, par l'intermédiaire de prêts aux candidats FN, notamment pendant les cantonales de mars 2011. Patrick Bassot, élu conseiller général du Vaucluse FN dans le canton de Carpentras Nord, rapporte que Jeanne lui a fournit le matériel de campagne clef en main : « Pour la campagne des élections cantonales, des tracts reprenant l’argumentaire national de Marine Le Pen, que j’ai validé, nous ont été fournis par l’équipe de M. Briois. J’ai fait une campagne sur mes propres fonds à minima, quelque chose comme 5 000 euros. Je n’ai pas reçu de prêt mais le Front national m’a apporté son aide par le biais de ce matériel reprenant les thèmes de campagne de la candidate ».

Contrairement à Cotelec, Jeanne ne « prospère pas grâce aux dons (qui plafonnent à 1 000 euros en 2014) » rapporte Marine Turchi (« L'argent du FN et des Le Pen. Une famille aux affaires », Pouvoirs, avril 2016). La journaliste de Mediapart poursuit : « mais grâce à un montage financier lucratif. Riwal réalise des "kits" de campagne que Jeanne revend 16 650 euros pièce aux candidats. Pour leur permettre d’acheter ce kit, coûteux, Jeanne propose aux candidats un prêt du même montant, au taux très élevé de 6,5%, mais qu’importe: les candidats déclarent ces dépenses comme frais de campagne et sont remboursés par l’État lorsqu’ils ont recueilli plus de 5 % des voix. Ce fonctionnement a fait de Jeanne la quatrième formation politique en termes de rentrées financières en 2012 (9,5 millions d’euros), la plaçant même devant le Front national. Dans les comptes de l’année 2014, l’association affiche encore 5,4 millions d’euros de recettes ». En décembre 2013, une autre structure voit le jour. Il s'agit de Promelec, destinée à « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen ». Jean-Marie Le Pen la préside. Gérald Gérin, son assistant est le trésorier et Marine Le Pen la secrétaire générale.

Le FN a été cité dans le cadre de diverses affaires, notamment celle des « Panama Papers » pendant laquelle Marine Le Pen a redit que son parti est et reste « tête haute et mains blanches », reprenant (en le modifiant) un des slogans historiques : « tête haute - mains propres ». L'histoire du Front national commence au début des années 1970. La thématique de l’argent s'y accole rapidement. L'héritage Lambert (1976) n'y est pas étranger. Celui-ci constitue certainement le premier épisode d'un film, à multiples rebondissements et toujours en cours.