C'était Jean-Marie Le Pen (1)...

La crise que traverse le FN peut-elle nuire durablement au parti d’extrême droite ? Récemment, un fait nouveau pourrait traduire un durcissement. Certaines voix discordantes, jusque là peu audibles, se font entendre bruyamment. En Paca, des élus FN réclament la "démission" de Florian Philippot« Les militants de Paca sont attachés sentimentalement à Jean-Marie Le Pen depuis de nombreuses années. Même les nouveaux venus ont une admiration sans borne pour lui » affirme un des fidèles de l'ancien président du FN Jean-Louis Bouguereau, premier vice-président du groupe FN au conseil régional, suspendu du parti et convoqué en commission de discipline.

« Sentimentalement » et « admiration »... les mots sont lâchés. Pour beaucoup encore, Jean-Marie Le Pen ne reste pas que le « fondateur » du FN et son président pendant 40 ans. Ces hommes aiment se souvenir de l'homme politique, de ses premières « prestations » oratoires mais aussi de sa relation avec ses militants. Lorsqu'on les rencontre, les anciens cadres du FN reviennent régulièrement sur ces deux facettes de la personnalité de Jean-Marie Le Pen. De cette manière, ils pointent ce qui, à leur sens, fait cruellement défaut à la présidente du FN.

Le tribun de La Mutualité

Le 7 novembre 1973 – soit plus d’un an après la création du parti d’extrême droite -, se déroule la première réunion publique du FN. Un peu moins de 3000 personnes sont présentes. Affiche du premier meeting, première publication (Front national), toutes premières adhésions... l'histoire du FN pourrait débuter, en quelque sorte, à La Mutualité.

Jean-Marie Le Pen fait forte impression ce soir-là. Il s’adresse à l’ensemble des nationaux qui, pour la plupart, ont connu les guerres : « Dans ce combat, nous n’irons pas seuls, il y aura avec nous la cohorte immense et glorieuse de tous ceux qui sont tombés dans les rizières, dans les djebels et face aux poteaux d’exécution ». Ce ne sont pas que ses paroles qui impressionnent. Sa personnalité, son charisme, sa présence, sa gestuelle... Jean-Marie Le Pen parle sans notes ; son passé parlementaire lui ayant donné ses premières armes. Il donne l’image d’un homme complet, à la différence des autres représentants des partis nationalistes comme, par exemple, Pierre Sidos. Ancien leader étudiant, ancien officier parachutiste, homme politique ayant participé à l’aventure de l’Algérie française, ancien député, le président du FN affiche des expériences de vie à travers lesquelles il fédère un panel humain. Il montre également sa capacité de regrouper et de recruter une clientèle politique via son carnet d’adresses. Pour beaucoup, il a les « qualités » d'un chef de parti politique.

Militant d’Ordre nouveau et tout jeune adhérent du FN, Franck Timmermans voit et entend pour la première fois le président du Front national à la Mutualité. À ce moment, explique-t-il, il y a un comme un « déclic » . Une nouvelle étape est « franchie » . Il poursuit : « Incontestablement, le charisme de Le Pen a fait son effet, pas seulement sur moi, mais sur beaucoup, beaucoup de jeunes et moins jeunes qui ne le connaissaient pas. Il était impressionnant. (...) Je comprends alors que c’est du sérieux. Jean-Marie Le Pen représente alors quelque chose de nouveau, une perspective réelle de concrétisation des idées, d’aboutissement des efforts et des combats ».

L'époque Le Pen

Carl Lang évoque les salles pleines au début des années 1980, des « milliers de gens » devant lesquels s'exprime Jean-Marie Le Pen. Les meetings se multiplient. Les adhésions suivent. Les recettes augmentent. Il se passe un « phénomène incroyable ». Pour les frontistes de la première heure, le « talent oratoire » de Jean-Marie Le Pen reste une des raisons de l’émergence du FN. Carl Lang se souvient :

« Il nous fait des numéros à chaque fois. Le Pen fait ainsi deux meetings par jour : avant ses discours, ce sont les conférences de presse, une sorte de show devant quelques journalistes locaux puis le meeting en lui-même. C’est la grande époque du tribun Le Pen, celle de l’orateur qui donne de la consistance à l’engagement militant. L’homme a une mémoire considérable, une culture très importante et un talent émotif. Il réussit à transformer l’idée nationale et patriotique en quelque chose de concret et de vivant ; c’est une phase d’euphorie politique. Nous avons alors l’impression d’inscrire une page politique de notre pays ».

Une des autres caractéristiques du fonctionnement de Jean-Marie Le Pen a été sa relation avec les militants. Des anciens (et actuels) cadres du parti mettent en avant sa « chaleur humaine ». Et c'est quasi systématique : tous, de nouveau, soulignent le contraste sur ce point avec Marine Le Pen... qui, affirment-ils, n'a aucunement les « qualités humaines » de son père.

Marie-Christine Arnautu se dit encore « bluffée aujourd’hui de la capacité de Le Pen à se souvenir de l’histoire de chacun ». Une anecdote, rapportée par Franck Timmermans, expose l'attention que pouvait apporter l'ancien président du FN aux siens : lors d’une séance de dédicace, Jean-Marie Le Pen demande à une dame « un peu ronde » son nom. Celle-ci rougit et, après un long silence, répond : « Madame Boudin ». Le président du FN la regarde fixement et lui demande : « Comme le peintre ? » D’un « seul coup, le visage de la femme s’est illuminé », explique Franck Timmermans. C'est « sans doute la première fois que l’on associait son nom à autre chose qu’à de la charcuterie ».

Si le congrès physique que souhaite Jean-Marie Le Pen a lieu dans les prochains mois, l'ancien président du FN espère certainement jouer de ses atouts et avec son histoire. Aujourd'hui, il semblerait qu'une majorité de militants considère que la crise actuelle est en train de saboter le travail de Marine Le Pen. L’issue de l'éventuel congrès sera probablement négative pour Jean-Marie Le Pen. Mais ce type de rassemblement pourrait le réinstaller dans une posture politique qu’il était en train de perdre. Ce serait une redite du dernier 1er mai, plus officielle et organisée.

Le temps est important pour Jean-Marie Le Pen même si, ces derniers moments, il a plutôt oeuvré en sa défaveur. Cet homme ne vit que par et pour la politique. Il l'a toujours dit : l'arrêt de la politique signerait sa mort. Marine Le Pen a tenté de tuer politiquement son père. Jean-Marie Le Pen, affaibli, pourrait revenir ... pour un temps seulement.