L'héritage Lambert... une des causes de la suspension de Jean-Marie Le Pen ?

Hubert Lambert avec sa mère (Le Pen, éditions Objectif France, 2011, p. 67.)

Existe-t-il un lien entre la suspension de Jean-Marie Le Pen et les récentes informations des journalistes du site Médiapart, à propos de son argent caché en Suisse ? Selon Marine Turchi et Karl Laske, l'ancien président du FN aurait détenu un compte caché chez HSBC, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome. Plus de deux millions d’euros auraient été déposés sur le compte de ce trust, dont 1,7 million sous forme de lingots et de pièces d'or. Jean-Marie Le Pen n'a pas réagi ; Marine Le Pen à peine plus. Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, admettait tout de même que cette affaire serait « dans les esprits » lors de la réunion du bureau exécutif, qui s'est tenue le 4 mai et a abouti à la suspension et à la suppression du titre de président d'honneur de Jean-Marie Le Pen. 

Une certitude : qu'il ait un compte en Suisse ou pas, l’ancien président du FN détient une petite fortune… L'héritage Lambert n'y est pas étranger. Celui-ci constitue certainement le premier épisode d'un film, à multiples rebondissements et toujours en cours. Une fois héritier d'Hubert Lambert, Jean-Marie Le Pen sera l’objet de diverses vérifications fiscales. Depuis fin janvier 2013, il est d'ailleurs visé par une enquête préliminaire afin d’établir la réalité de son patrimoine.

L'histoire commence au début des années 1970… lors de l’émergence du groupuscule d’extrême droite qu’est alors le Front national. Il traite d'une thématique inhérente à la marque Le Pen : l’argent.

« Sans Lambert, pas de FN. Sans Le Pen, pas de Lambert »

Ce sont quelques mots prononcés par Lorrain de Saint Affrique, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen pendant dix ans (1984-1994). Ils concernent deux hommes : l'ancien président du FN et Hubert Lambert, riche industriel français… et grand admirateur des présidents des formations d’extrême droite.

Le 27 septembre 1976, Hubert Lambert dit Saint-Julien, actionnaire de la société Lambert Frères et Cie, décède. Dans son dernier testament, ce quadragénaire fragile physiquement et psychologiquement a fait de Jean-Marie Le Pen son exécuteur testamentaire et son unique héritier. Les commentaires, les polémiques et sous-entendus consécutifs à cet héritage ne changent rien.  À l’automne 1976, Jean-Marie Le Pen devient un homme riche, très riche. De plus, l’héritage Lambert lui donne les outils et les moyens structurels pour relancer son histoire, intimement liée à celle de son parti.

Au FN, on apprécie cet homme discret, « très gentil ». On évoque également sa faiblesse de caractère. On sait également qu’il est fortuné… pour preuve : la Rolls avec chauffeur qui le dépose rue de Surène, lorsqu’il se rend au siège du FN. Cependant, on ignore sa filiation avec les ciments Lambert et, donc, sa fortune colossale.

Le Président du FN, lui, fait la connaissance d'Hubert Lambert au début des années soixante-dix. En 1973, il convie Jean-Marie Le Pen à un dîner. Hubert Lambert arrive avec une serviette en cuir. Selon Roger Mauge, l’un des hagiographes de Jean-Marie Le Pen, les deux hommes auraient tenu le dialogue suivant, en rapport avec les premières élections législatives auxquelles le FN participe (mars 1973) :

« - Il faut absolument que tu te présentes aux prochaines élections, Jean-Marie [...]. Je t’ai apporté 300 000 francs pour ta campagne électorale. Ils sont là [...].


– Tu es très généreux, Hubert. [...] Permets-moi de me servir de cet argent pour saupoudrer partout où nous présenterons une candidature. (…)

Hubert plaisante :

– Aucune importance ! Prends, et rends-moi la serviette. Elle pourra encore servir ! »

Après ce déjeuner, rapporte Roger Mauge, Jean-Marie Le Pen et Hubert Lambert se « voient plus souvent et d’une certaine manière deviennent amis » ! Car les Le Pen se montrent particulièrement attentifs à cet homme, notamment en lui rendant visite régulièrement. Jean-Marie Le Pen va jusqu’à lui attribuer des fonctions officielles au FN. Membre du Comité central et conseiller national du parti pour les questions militaires, Hubert Lambert affiche régulièrement sa présence aux réunions du parti. Il participe au comité de rédaction du journal du FN, Le National. Il y signe même quelques articles.

La gestion lepéniste de l’héritage Lambert

Aussi, en 1977, Jean-Marie Le Pen hérite non seulement d’un capital (difficile à évaluer) estimé à 30 millions de francs (plus de 4,5 millions d'euros) sous forme « d'avoirs financiers et bancaires » et de biens immobiliers dont une partie d’un hôtel particulier à Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, et d’une maison où la mère d’Hubert Lambert a été élevée.

Le président du FN fait immédiatement comprendre à son entourage politique que cet héritage est personnel et non politique. Au sein du FN, l’incompréhension domine. Les hommes du Front national sont persuadés qu’au moins une partie de la somme d’argent serait utilisée pour combler les dettes et le trou financier du parti. L’héritage Lambert est même considéré comme un gage de survie. Le FN se trouve alors dans une très mauvaise posture financière. Les loyers de la Rue de Surène sont impayés. Le téléphone est coupé. Les réunions et Bureaux politiques, faute de paiement des factures d’électricité, se tiennent à la bougie. Rien ne change. Jean-Marie Le Pen va jusqu’à partir en vacances, sur son bateau, au début de l’été 79, laissant son parti dans une situation « catastrophique ». Beaucoup considèrent alors que le FN vit ces derniers moments.

En interne, la gestion lepéniste de l’héritage Lambert suscite de l’incompréhension et de nombreuses critiques. Lui explique avoir mis une partie de cet argent au « service » du FN, par exemple pour financer un « certain nombre de choses », dont la campagne électorale de 1981 qu’il aurait assumée seul, puisqu’il n’existe aucune subvention de l’État à cette date. Ses propos semblent difficilement acceptables pour les hommes du FN. L’héritage Lambert est un sujet difficile à aborder, voire tabou. L’ancien Président du FN se montre peu disert à son sujet. Dans l’Album des 20 ans, un ouvrage interne au parti, un encadré sur ce sujet a été réécrit par Jean-Marie Le Pen ; les rédacteurs ayant rédigé une première mouture contrevenant à la version officielle. Jean-Marie Le Pen insiste sur son intimité avec l’industriel. Il en parle comme d’un « ami de jeunesse » et met en avant une « parenté par le cœur ».

L’héritage Lambert change considérablement la vie de Jean-Marie Le Pen sur les plans politique et personnel. Il lui permet de faire – comme il l’entend - de la politique. L'ancien président du FN devient propriétaire du domaine de Montretout, sise au 8 parc éponyme. Jean-Marie Le Pen y reçoit encore aujourd’hui dans son bureau, à l’étage de cette imposante bâtisse qui domine tout Paris. Cette demeure n’a pas seulement été le lieu d’habitation de la famille Le Pen et le quartier général du FN pendant de nombreuses années. C’est aussi un symbole pour l’ancien président du FN qui désire laisser son nom dans l’Histoire. Montretout est un lieu singulier : le premier propriétaire, Napoléon III, l’avait offert à son chef de cabinet, Jean-François Mocquard. Hubert Lambert le lègue à Jean-Marie Le Pen en 1976.

Il y a quelques mois, Marine Le Pen s'affranchissait de son père sur un autre domaine que celui de la politique. Elle quittait sa dépendance de Montretout où elle logeait depuis de nombreuses années pour emménager à La Celle-Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Aujourd'hui, un nouvel épisode de cette histoire s'apprête à voir le jour. Jusqu'à maintenant, Marine Le Pen était une des filles Le Pen couchée sur le testament de son père. À la différence de sa soeur aînée Marie-Caroline, elle possède quelques parts de Montretout comme son autre soeur Yann ; un aspect qui pourrait être remis en cause, après les récents propos de Jean-Marie Le Pen.