Bruno Gollnisch... lepéniste pour toujours

Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen et sa fille au congrès de Tours (ALAIN JOCARD / AFP).

Dans un entretien accordé au Journal du dimanche (9 août 2015), Jean-Marie Le Pen n’y va pas par quatre chemins à propos de sa fille. À la question « Regrettez-vous d'avoir fait d'elle votre successeur à la présidence du FN ? », il répond ceci : « Ce choix s'est exercé il y a quatre ans entre deux candidats de valeur (Marine Le Pen et Bruno Gollnisch). J'ai choisi Marine Le Pen au bénéfice de l'âge et de la santé. En quatre ans, il faut bien dire la vérité, elle ne s'est pas améliorée ». Et de conclure qu’il ne soutiendra pas sa fille à la présidentielle de 2017 si elle « suit la même ligne qu'aujourd'hui, avec les mêmes procédés ».

Jean-Marie Le Pen revient donc sur sa succession, lors du Congrès de Tours, les 15-16 janvier 2011. Pour expliquer -  et justifier - son choix, il invoque des raisons qui pourraient faire sens : la santé et l'âge de Bruno Gollnisch.

Ce sont quelques réflexions à propos du conflit politico-familial que traverse le FN depuis quelques mois. Vues à travers le prisme lepéniste, elles reviennent sur la gestion autocratique et patrimoniale de Jean-Marie Le Pen pendant ses années de présidence du parti d'extrême droite (1972-2011). L'ancien président du FN supporte difficilement les relations de dépendance. Lorrain de Saint Affrique souligne son côté « affectif, d'où une ambiguité dans la relation hiérarchique avec ses collaborateurs ; tantôt chef exigeant, tantôt bon camarade, Jean-Marie Le Pen n'aime pas être dépendant des compétences d'autrui. En ce qui concerne Gollnisch, par exemple, il était impressionné par ses compétences. L'ancien président du FN savait admirer et, aussi, selon son expression "faire son miel" des talents passant à sa portée ».

Au FN, il n’y a qu’un numéro un

C’est avant tout un homme qui ne s’est, pour ainsi dire, jamais opposé au président du FN. Bruno Gollnisch a été perçu, à plusieurs reprises, comme le successeur naturel, logique.... le véritable héritier politique de Jean-Marie Le Pen. Une carrière et évolution politiques quasi-exemplaires : l'ancien professeur de langue et civilisation japonaises à Lyon III a été, entre autres, élu député aux législatives de mars 1986, secrétaire et délégué général du FN et son vice-président. Il est conseiller régional de Rhône-Alpes depuis 1986, député européen depuis 1989, membre du BP et du CC. Certes, il a eu des ennuis de santé, notamment un triple pontage coronarien quelques années auparavant. Et début 2011, Bruno Gollnisch approche les 61 ans... sachant que Jean-Marie Le Pen lui, est âgé de 82 ans.

À ce moment, Bruno Gollnisch sait qu'il n'a aucune probabilité d'accéder à la présidence du FN. Les raisons n'ont aucun rapport avec celles invoquées aujourd'hui par Jean-Marie Le Pen. La réalité tient à d’autres paramètres, liés essentiellement à la préservation de la marque Le Pen, opératoire dans sa globalité jusqu'à ces derniers mois. Depuis le début des années 2000, Jean-Marie Le Pen soutient sa fille sans réserve. Il lui prépare même sa place de future présidente du parti. Et même si Bruno Gollnisch apparaît comme l'un de ses plus fidèles et anciens soutiens, Jean-Marie Le Pen ne lui fait pas de cadeaux.

Pourtant, et à plusieurs reprises, il laisse planer le doute. Il envoie des signes à B. Gollnisch et, par ce biais, aux anciens du FN… le désignant même comme son éventuel successeur en cas de « coup dur ». Jean-Marie Le Pen dit éprouver pour lui « la plus grande estime, la plus grande sympathie, même la plus grande affection. Ce n’est pas (son) fils mais presque ». D'autres cadres du FN l'ont mis en avant pour occuper cette fonction, à commencer par Jean-Pierre Stirbois dès la fin des années 1980.

... et un patronyme

2002 signifie sa mise à l’écart médiatique avec l'omniprésence - et la découverte - de Marine Le Pen dans les médias pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle. Sa mise à mort politique survient, elle, un an après. La lutte d’influence ouverte pour la succession et la mise au jour des rivalités internes s'étale au grand jour lors du XIIème congrès du FN, en avril 2003. Ce rendez-vous politique traduit le conflit entre les partisans de Marine Le Pen et ceux de Bruno Gollnisch et exprime, on ne peut plus clairement, une désaffection générale pour la fille du président qui, à l'issu du vote pour l'élection du Comité central, se situe loin... bien loin derrière les historiques du FN, à commencer par Bruno Gollnisch.

Jean-Marie Le Pen impose sa fille et son équipe dans les instances dirigeantes du parti (cf. « Marine Le Pen est-elle amnésique ? »). Marine le Pen interprète ses résultats comme la conséquence d’une opération montée contre elle et son entourage politique direct. Par qui ? Par le cercle de Bruno Gollnisch auprès des secrétaires départementaux ; une allusion aux listes de Bruno Gollnisch qui circulaient pour l’élection du CC et qui n'incluaient pas le nom de Marine Le Pen. En « voulant nuire d’une manière aussi voyante à Marine », avance un frontiste, les proches de Bruno Gollnisch ont commis une erreur stratégique, marquant officiellement leur opposition ferme à l’entrisme de la fille Le Pen. Dans le langage frontiste, l’opération est baptisée «Tout Sauf Marine ».

À partir de ce moment, Jean-Marie Le Pen infléchit davantage sa ligne de conduite. Non seulement, le soutien qu'il porte à sa fille reste sans faille. Mais son ressentiment, vis-à-vis notamment de Bruno Gollnisch, s'accroît. Un ancien du FN explique que Jean-Marie Le Pen « en a beaucoup voulu à Bruno Gollnisch et encore plus à Carl Lang. Il considérait qu’ils l’avaient trahi. Il voulait les avoir un à un. C’est ce qu’il a fait. Il les a écartés. Dès qu’il y en avait un qui faisait une faute, il le tuait. Il n’a pas faibli ». Ce faisant, le président du FN fragilise un peu plus son parti.

Le dernier fidèle de Jean-Marie Le Pen ?

L’histoire du Front national, c’est aussi l’histoire de ses rendez-vous manqués. Bruno Gollnisch, dit Louis Aliot, est un « hésitant. Il a une vraie admiration pour Le Pen et ne s’est jamais opposé à lui ». Fin 2010, Bruno Gollnisch sait que le FN s’apprête à passer le flambeau à la fille de Jean-Marie Le Pen. Alain Jamet préside alors le comité de soutien de Marine Le Pen. Bien qu’il reconnaisse les « énormes qualités (...) surtout sur le plan intellectuel » de Bruno Gollnisch, il considère que l’universitaire lyonnais « n’a pas (celles) pour devenir président du FN ». Il n’est « pas charismatique, pas télégénique » et ne possède pas cette « façon innée qu’a Marine Le Pen de diriger ». Alain Jamet reste aujourd’hui l’un des rares amis et compagnons de route de Jean-Marie Le Pen depuis les années cinquante. Comme Bruno Gollnisch, il ne s’est jamais opposé à Jean-Marie Le Pen.

Son accession à la présidence du FN aurait signifié la promotion de la ligne dure du FN, la réunification du camp national et l’obsolescence de la marque Le Pen. Son idéologie est celle de l’extrême droite radicale traditionnelle. Bruno Gollnisch n'a cessé de critiquer la « dédiabolisation » du FN. Fervent et fidèle soutien de Jean-Marie Le Pen, il s'élève aujourd'hui bruyamment contre sa probable exclusion du FN le 20 août prochain. Il connaît bien l'ancien président du FN... et est conscient des conséquences d'une telle décision pour l'histoire du parti.

L'homme porte aujourd’hui un « regard attristé » sur la crise que traverse le FN. Il poursuit : « Humainement parlant, c’est désolant. Jean-Marie Le Pen – j’en sais quelque chose puisqu’il m’avait longtemps présenté comme son successeur - a favorisé ensuite l’ascension de Marine. Or, aujourd’hui, il semble que l’animosité envers lui augmente de façon inquiétante. Si c’est rationnel, cela signifierait alors qu’on le sacrifie au politiquement correct. Si c’était affectif, ce serait également navrant. Dans l’un ou l’autre cas c’est contraire à l’intérêt du Mouvement. (…) J’ai tenté – mais jusqu’ici en vain - d’en appeler à la "désescalade". Sur le fond, en somme, Marine Le Pen veut l’efficacité. Jean Marie Le Pen, qui est un grand témoin de l’Histoire contemporaine, veut, lui, dire sa vérité…Il suffit d’acter, et, il en est d’accord, que, n’étant plus le Président en exercice, ses propos n’engagent pas l’ensemble du Front National ». 

Bruno Gollnisch ne fait pas que s'inscrire dans la filiation du lépénisme historique. Il pourrait revêtir les habits de l'intermédiaire entre le père et la fille. Et de conclure : « Des concessions mutuelles s’imposent pour conserver les chances de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017. Une division dans nos rangs serait très néfaste au moment où nos adversaires font tout pour s’unir ».