C’est une question posée par les anciens du FN, des historiques, ceux qui ont quitté le parti. Ils se déclarent « stupéfaits », « effarés » par les sanctions réservées à Jean-Marie Le Pen. À aucun moment, expliquent-ils, ils n’auraient pu se douter de l’issue du Bureau exécutif du 4 mai 2014 qui a voté la suspension et la suppression du titre de président d’honneur de Jean-Marie Le Pen. Une « trahison », une « infamie » et, en même temps, selon eux, un processus prévisible commencé il y quelques années.
Parmi leurs arguments, la conduite paternelle vis-à-vis de sa fille. Marine Le Pen doit beaucoup à son père, particulièrement son ascension au FN. Elle y est entrée par la petite porte. Début janvier 1998, Jean-Marie Le Pen créé un service juridique au sein de son parti, sur la proposition de sa fille. Marine Le Pen gère cette nouvelle structure. Ce sont ses véritables premiers pas au FN, en tant qu'avocate.
Surtout, par deux fois, Jean-Marie Le Pen l’impose au sein du Comité central (CC) ; véritable « parlement » du FN qui, par vote direct des adhérents, choisit 100 candidats et, par là-même, exprime la popularité des élus. En « assassinant son père », la présidente du FN semble prête, aujourd'hui, à oublier une partie de son histoire.
Première étape. Le Congrès de Strasbourg, fin mars 1997
Le FN fête ses 25 ans et la victoire des Mégret à Vitrolles. L’ambiance est électrique. Les rivalités entre les lepénistes et mégrétistes sont exacerbées. L’accueil est d’ailleurs triomphal pour Bruno Mégret. Le Délégué général, député européen, conseiller régional PACA arrive en tête au Comité central avec 3 758 voix. Ses partisans, au sein de l’appareil, sont très bien placés. La base est acquise au numéro deux du FN. Bruno Mégret incarne plus que jamais la dédiabolisation et le gagnant en politique.
Pour la première fois, les résultats de l’élection au Comité central ne sont pas publiés immédiatement. Jean-Marie Le Pen ne propose pas, comme il le fait à chaque fois, les membres qu’il y nomme directement. La raison est simple. Marine Le Pen n’a pas été élue. La direction évoque une erreur informatique. Le président du FN assure que sa fille est victime d’un complot.
En réalité, Marine Le Pen n’a pas vraiment de raisons de figurer sur la liste. Les cadres du mouvement n’éprouvent aucune sympathie pour elle. Puis, elle n’a aucune fonction au sein du FN, aucun titre. Âgée de 29 ans, elle a commencé timidement son histoire avec le FN. Adhérente depuis 1986, elle s’est présentée aux législatives de 1993 dans le XVIIème arrondissement de Paris où elle a recueilli 11% des voix.
Les statuts du FN donnent la possibilité au président de disposer de vingt sièges supplémentaires. Jean-Marie Le Pen en attribue un à Marine Le Pen ; une attitude qui accroît les tensions entre les lepénistes et les mégrétistes.
Pour l’anecdote, et en rapport avec les déclarations récentes de la présidente du FN sur les pseudo dérapages antisémites de son père, peu de temps avant le congrès de Strasbourg, Jean-Marie Le Pen s’était fait entendre dans le cadre de la neuvième université d’été du FN (30 août 1996) en expliquant qu’il croyait à « l’inégalité des races ». Et en décembre 1997, il récidive avec le « détail » alors qu’il se trouve à Munich, en compagnie de Franz Schönhuber, ancien Waffen SS et ancien président du parti d’extrême droite allemand des Republikaner. Si Bruno Mégret affiche de plus en plus ouvertement son désaccord avec la stratégie lepéniste, Marine Le Pen, elle, ne réagit pas.
Seconde étape : le Congrès de Nice, en avril 2003
Quatre ans après la scission mégrétiste, le conflit interne s’articule entre les partisans de Marine Le Pen et ceux de Bruno Gollnisch. Au vote du CC, les anciens arrivent en tête. Bruno Gollnisch est suivi de Carl Lang et de Roger Holeindre. Marine Le Pen se retrouve à la 34ème position… et son cercle rapproché aux dernières places. Les résultats du vote sont indiscutables. De nouveau, ils s’expliquent facilement : Marine Le Pen n’a pas vraiment de légitimité au FN. Certes, elle est devenue en 1998 conseillère régionale du Pas-de-Calais sur la liste de Carl Lang, le secrétaire général du FN. Surtout, elle jouit d’une impopularité grandissante au sein du parti. La vieille garde tient à s’en débarrasser. C’est ce qu’on nomme l’opération Tout Sauf Marine, menée aussi discrètement que possible. Son initiateur, Bruno Gollnisch, a fait circulé des listes pour l’élection au CC (où le nom de Marine Le Pen ne figurait pas) auprès des secrétaires départementaux.
Aussi, pour expliquer ce résultat, Marine Le Pen incrimine une « crispation des apparatchiks face à quelque chose qui s’impose ». Elle affirme que les résultats ne reflètent absolument pas ce que pensent les adhérents du Front national mais sont la conséquence de cette opération montée contre elle et son entourage politique direct. Elle considère avoir été « l’objet d’une cabale », d’une campagne visant à la « déclasser ».
Jean-Marie Le Pen, lui, est furieux. Il avait pourtant pris quelques précautions la veille du vote en convoquant les quarante membres du Bureau politique pour leur faire comprendre que cette instance est « exécutive ». La réaction du président du FN est immédiate. Pour la seconde fois, il parachute sa fille au CC. Cette fois-ci, il la nomme vice-présidente du FN et l’intègre, de ce fait, au Bureau exécutif.
Jean-Marie Le Pen coopte également vingt des proches de sa fille au Bureau politique. Il rappelle que les opposants à sa « vision des choses » devront démissionner de cette instance. Au sein du FN, la désapprobation est générale. Nice expose clairement l’autoritarisme lepéniste. Le « drame » de Marine Le Pen, peut-on lire dans Rivarol, « est que les délégués qui auraient pu assurer son triomphe à l’élection du comité central sont partis avec Mégret et qu’elle a une responsabilité certaine dans ce départ ».
Le congrès de Nice représente une étape importante dans l’histoire du FN. À partir de ce moment, les derniers partisans de Jean-Marie Le Pen savent qu’ils « vont à la séparation ». Jean-Marie Le Pen considère alors que Bruno Gollnisch et Carl Lang l’ont trahi. Il les écartera progressivement. Le premier restera à jamais dans l'ombre des Le Pen. Le second quittera le parti, fin 2007, dénonçant le comportement politique de la fille Le Pen. La « démarche » de celle-ci, explique-t-il alors, « s’inscrit dans une volonté de purge politique qui a débuté après le congrès de Nice en 2003. Marine Le Pen élimine du système tous ceux qui ne lui font pas allégeance ».
De son côté, Jean-Marie Le Pen nie toute divergence au sein de son parti. Il a appuyé sa fille, explique-t-il, parce qu’il y a « beaucoup de places, beaucoup de fonctions dans la maison du seigneur ». Mais au FN, la césure générationnelle est bien une réalité. Les historiques expriment leur inquiétude sur le « cas Marine ». Elle n’est pas qu’omniprésente au FN. Elle l’est aussi dans les magazines féminins ! Ces hommes et femmes n'affichent pas seulement leurs désaccords sur son attitude et ses idées. Surtout, ils confirment vouloir pérenniser leur position, fermement tenue depuis une trentaine d’années en dépit des tentatives d’évolution : préserver un FN originel.. et donc ostracisé.
Le cercle mariniste montre déjà son désir de séduire et de fédérer plus large. Sa ligne de défense se veut strictement politique : devenu un parti de masse, le FN a gagné des électeurs, même si tous ne se reconnaissent pas dans les valeurs traditionnelles du parti. Jean-Marie Le Pen précise, lui, que sa fille a été nommée cinquième vice-présidente du FN car elle est représentative d’une catégorie d’électeurs et de militants et parce qu’elle incarne avec « talent le petit courant d’air frais dont la politique a besoin ».
Pour les anciens du FN, le Congrès de Nice signifie clairement le passage du Front national au « Front familial ». Marine Le Pen va poser de plus en plus son empreinte dans le parti. Elle agit alors envers ses opposants comme le fait Jean-Marie Le Pen : en les éliminant, un à un. Une dizaine d'années plus tard, sa stratégie perdure. Mais une de ses dernières cibles est singulière et, certainement, plus difficile à abattre : son père.