Une nouveauté, les fake news ? Pas franchement : du moment qu’une information circule, elle peut être biaisée ou orientée pour en tirer un avantage. La preuve par trois avec une petite histoire des fausses nouvelles, de leurs modes de diffusion et de leurs objectifs.
Pandore, referme cette boîte
Tout le monde connaît l’épisode au cours duquel la malheureuse Pandore, en ouvrant le cadeau empoisonné laissé par les dieux, déverse sur le monde l’ensemble des souffrances qui nous accablent depuis. Et les Grecs n’étant jamais en retard d’une métaphore, le mensonge et la tromperie figurent déjà dans la longue liste des maux ainsi libérés, incarnés par la déesse Apaté.
Depuis, disons que ça a continué de merder. Mythologie mise à part, on a très tôt théorisé l’intérêt de répandre des fausses nouvelles : les scribes de Ramsès II, au XIIIe siècle avant J.-C., avaient déjà une fâcheuse tendance à embellir le récit des combats du Pharaon contre les Hittites, transformant la très indécise bataille de Kadesh en fable à la gloire du souverain. Au IVe siècle avant notre ère, le célèbre général chinois Sun Zu fait de la duperie l’art suprême du stratège, considérant qu’elle permet de gagner la bataille avant qu’elle n’ait commencé.
Évidemment, les moyens employés pour diffuser une rumeur ont évolué depuis les graffiti romains ou les pamphlets que les Romains déposaient régulièrement aux pieds de la statues dite de Pasquino pour insulter ou diffamer la moitié de la bonne société [1]. L’invention de l’imprimerie a donné un nouveau tour à la circulation des nouvelles diffusées par les colporteurs et relayées d’auberge en relais par les soldats, les voyageurs et les commerçants. Au 17e siècle apparaît en France le « canard », un mot qui ne désigne pas encore un journal à proprement parler mais une brochure, le plus souvent enrichie d’une gravure capable d’attirer l’œil sur une nouvelle plus ou moins farfelue : en 1780, un de ces canards annonce ainsi qu’un bateau vient tout juste de ramener d’Espagne une bête venue du Chili, dotée d’une tête de furie, d’ailes de chauve-souris, d’un corps couvert d’écailles et d’une queue de dragon [2].
La presse s’en mêle
Cela dit, ce n’est pas tant l’invention de l’imprimerie que l’élargissement du public grâce à la banalisation de l’apprentissage de la lecture qui provoque une première explosion des fausses nouvelles. Au XVIIIe siècle, Londres compte ainsi dix quotidiens, huit trihebdomadaires et neuf hebdomadaires. Au sein de leurs rédactions, les paragraph men se spécialisent dans les nouvelles d’un paragraphe, d’où leur nom : des contenus lapidaires, particulièrement utiles pour boucher in extremis les trous de composition dans le numéro du jour. Que leurs « sources » se résument le plus souvent à des ragots de tavernes et deux journaux n’empêchent pas deux de ces ancêtres des tabloïds de s’illustrer, le Morning Herald, du révérend Henry Bate et le Morning Post du révérend William Jackson, respectivement surnommés Révérend Cogneur et Docteur Vipère en raison de la méchanceté de leurs articles.
C’est au premier que revient le triste privilège d’avoir lancé en 1772 la première rumeur sur l’infidélité de Marie-Antoinette, accusée d’avoir eu une aventure avec un gigolo anglais. Entièrement inventée, la rumeur franchit la Manche et circule en France. Censure royale oblige, c’est le règne du système D : on laisse traîner dans les cafés ou sur les bancs des sortes de gazettes manuscrites, recopiées de proche en proche, comme le Gazetier cuirassé ou la Chronique scandaleuse.
Depuis, chaque nouveau média est un canal supplémentaire qui ne fait que s’ajouter aux précédents : radio, cinéma, télévision, Internet, réseaux sociaux… Même la notion de fake news n’est pas neuve. Si l’expression s’est généralisée, elle apparaît dès le XIXe siècle dans la presse anglo-saxonne et dès 1881, la loi française sur la liberté de la presse, condamnait déjà de son côté la publication et la diffusion de « fausses nouvelles ».
De nouveaux moyens pour de vieux objectifs
Version 2.0 de vieux phénomènes, les fake news actuelles ne sont jamais que la forme contemporaine du mensonge et de la duperie – et leurs buts sont sensiblement les mêmes qu’hier.
La première catégorie renvoie au bon vieux « calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Elle consiste à salir une célébrité ou une personnalité, que ce pour l’affaiblir ou pour vendre du papier. Pensez à Dominique Baudis, publiquement accusé en 2005 de viol, de meurtre et de torture sans aucun autre élément que les accusations du tueur en série Patrice Alègre. Marie-Antoinette, encore elle, avait en son temps fait les frais de ce type d’accusations, accusée d’adultère et d’inceste sans l’ombre d’une preuve jusqu’au jour de son procès. Tout récemment, le web a permis aux ennemis d’Hillary Clinton de répandre la rumeur selon laquelle elle aurait participé à des orgies au cours de sa campagne de 2016, à bord du jet d’un donateur. Mensonge absolu, faut-il le préciser, au même titre que cette autre intox qui associait son directeur de campagne John Podesta à un réseau pédophile qui n’a jamais existé…
Autre but classique : justifier une politique. Là encore, rien de neuf et l’affaire de la donation de Constantin témoigne d’un fait bien connu de tous les étudiants d’histoire : le faux est une industrie médiévale. Ce document, censé avoir été signé au IVe siècle par le premier empereur chrétien, faisait don au pape Sylvestre Ier d’une série de territoires italiens, dont l’actuel Vatican, ainsi que d’une série de privilèges, dont la primauté de l’église romaine sur l’église d’Orient. Pendant cinq bons siècles siècles, la papauté s’est appuyée sur ce document parfaitement faux pour justifier ses ambitions territoriales en Italie, une supercherie définitivement dévoilée par l’humaniste italien Lorenzo Valla en 1440.
Certains faux ont la vie dure, y compris les plus sordides. Au début du XXe siècle commence ainsi à circuler un faux doublé d’une des théories du complot les plus tenaces : le Protocole des Sages de Sion, prétendu compte-rendu de réunions secrètes où Juifs et Francs-maçons mettraient au point leur plan de conquête du monde. Présenté comme authentique dans un article en 1920 du Times anglais, le document devient si célèbre que Hitler le cite dans Mein Kampf pour en faire l’une des preuves d’un supposé complot juif mondial. En réalité et on ne le répétera jamais assez, tout est faux : le document a été forgé de toute pièces par la police secrète du tsar Nicolas II, l’Okhrana, afin de convaincre Nicolas II de renouer avec la politique antisémite de ses prédécesseurs. Ce qui n’empêche pas ce texte démoli de longue date par tous les scientifiques d’être toujours partagé aujourd’hui, par exemple par les suprémacistes blancs américains qui y voient toujours la « preuve » d’un contrôle du gouvernement fédéral par les Juifs.
Troisième grande catégorie de fausses nouvelles : l’intox destinée à obtenir un avantage économique ou à saboter la réputation d’une entreprise. Un exemple frappant date de 1890 et de la « Guerre des courants » qui fait alors rage entre Edison, partisan du courant continu (DC) et Westinghouse et Tesla, promoteurs du courant continu (AC). Pour attaquer ses concurrents, Edison multiplie les campagnes de dénigrement et s’appuie sur certains médias pour relayer une série d’accidents le plus souvent imaginaires causés par le courant alternatif. A l’heure du haut débit, ce genre d’opération a des équivalents frappants : le 22 novembre 2016, le groupe français de BTP Vinci a perdu 20 % de sa valeur boursière en quelques minutes après qu’un communiqué repris dans la presse économique ait annonçait le licenciement de son directeur financier et la découverte d’un trou de 3,5 milliards d’euros dans la comptabilité. Une fausse nouvelle dans toute sa splendeur, dont l’auteur n’a jamais été identifié.
Dans un autre ordre d’idées, la fausse nouvelle relève parfois du pieux mensonge, destiné à rassurer sa population ou à éviter une panique en mentant sur un sujet donné. Très classique en cas de conflit armé (« la première victime d’une guerre, aurait dit Kipling, c’est la vérité »), le phénomène a atteint des sommets en 14-18, quand les journaux pouvaient écrire sans sourciller que les shrapnels allemands n’étaient jamais qu’une petite pluie inoffensive dont les éclats ne faisaient que des bleus – vous trouverez cette ânerie et quelques autres ici. Plus récemment, la communication gouvernementale autour de Tchernobyl, en 1986, est restée comme un grand moment d’humour politique.
Saturer l’espace médiatique
A l’heure des réseaux sociaux, s’il est bien plus facile de répandre et de faire circuler les rumeurs les plus fantaisistes, l’effet d’une rumeur se fait paradoxalement sentir moins longtemps : la durée de vie actuelle d’un hoax est très faible et les multiples rumeurs qui surgissent dans l’actuel contexte français en sont l’illustration. Il ne faut à chaque fois que quelques heures à des médias ou à des particuliers pour démentir une fausse nouvelle comme celle du prétendu décès d’une manifestante belge à Paris.
Le problème est différent : pour les faussaires, il ne s’agit plus tant de forger des faux tenables que de saturer l’espace médiatique. On remplace la qualité par la quantité, en multipliant les informations et leur relais pour organiser une sorte de 1er avril permanent qui touche à tous les domaines et entretient une sorte de méfiance constante qui nivelle l’information par le bas, empêche toute hiérarchisation et entretient un sentiment de perte de confiance globale. A l’heure où tout est suspect d’être un mensonge, le premier qui saura comment inverser le phénomène méritera une médaille.
Bonus track : une fake news peut en cacher une autre
Pour évoquer l’impact d’une fausse nouvelle, on cite régulièrement un cas célèbre : l’adaptation radiophonique de la Guerre des Mondes, le roman de Herbert Georges Wells, en 1938. L’histoire est belle : à la veille d’Halloween, CBS fait le choix d’une narration au présent et les comédiens jouent le rôle des reporters et des témoins, comme si les événements – l’invasion de la Terre par des Martiens agressifs – se produisaient en direct. Le lendemain, de nombreux journaux décrivent des scènes de panique : affolés, des dizaines de milliers d’Américains se seraient jetés sur les routes pour fuir l’invasion extra-terrestre, causant une panique générale et des dommages nombreux. Avec le temps s’est ainsi installée la légende urbaine d’une immense hystérie collective… qui n’a jamais existé, comme l’ont régulièrement montré les chercheurs depuis les années 1980.
En fait, la presse écrite a volontairement exagéré : un peu comme les médias actuels craignent les pure players et les réseaux sociaux, les journaux redoutaient beaucoup l’influence grandissante de la radio ; un journaliste de The Editor and Publisher, en 1938, écrit ainsi : « la nation dans son ensemble fait face au danger d’informations incomplètes et mal comprises sur un média qui doit encore faire ses preuves quant à sa compétence à traiter l’information ». Un petit air familier, non ?
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[1] Détail marrant : ces « pasquinades » existent toujours aujourd’hui.
[2] C’était même pas vrai.
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Références
- Robert Darnton, La longue histoire des fake news, Le Monde, 20 février 2017 (abonnés)
- François-Bernard Huygues, Désinformation : les armes du faux, Armand Colin, 2016
- Benjamin Thierry, Rien de nouveau dans les fake news
- Catherine Bertho-Lavenir, Histoire des médias, de Diderot à Internet, Armand Colin, 2004
- Pascal Fleury, La vraie histoire des fausses nouvelles,2017 https://www.laliberte.ch/dossiers/histoire-vivante/articles/la-vraie-histoire-des-fausses-nouvelles-408071
- Jefferson Pooley et Michael Socolow, Non, « La Guerre des mondes» d'Orson Welles n'a pas paniqué les Etats-Unis