Centenaire de la Grande Guerre oblige, les expositions et les événements se multiplient un peu partout en Europe pour raconter le conflit sous tous ses aspects. L'occasion pour ce blog de revenir sur une question qui parvient à concilier la mémoire et quelques fous rires : le portrait de l'ennemi, en l'occurrence allemand, dans la presse ou les déclarations de 1914 à 1918. Ignoble, forcément ignoble, cet Allemand que journaux et cartes postales se font un plaisir de tracer. Un bel élan patriotique sans doute nécessaire pour tenir, au front comme à l'arrière, mais qui se prend de temps en temps les pieds dans le tapis de l propagande la plus ridicule, sinon la plus infecte. Et parfois, le fou rire s'étrangle un peu.
D'abord, la guerre, c’est joli et éducatif
« La valeur éducative de la guerre n’a jamais fait de doutes pour quiconque est capable d’un peu d’observation réfléchie. » - Paul Bourget, L’Écho de Paris, 7 septembre 1913
« Ah Dieu ! que la guerre est jolie / Avec ses chants, ses longs loisirs.» Apollinaire, Calligrammes, l’Adieu du Cavalier
Et puis ce n’est pas bien dangereux
« Les Allemands tirent fort mal et fort bas ; quant aux obus, ils n'éclatent pas dans la proportion de 80 %. » - Le Journal, 19 août 1914
« Leur artillerie lourde est comme eux, elle n'est que bluff. Leurs projectiles ont très peu d'efficacité... et tous les éclats... vous font simplement des bleus. » - Le Matin, Lettre du front, 15 septembre 1914
« L'inefficacité des projectiles ennemis est l'objet de tous les commentaires. Les shrapnels éclatent mollement et tombent en pluie inoffensive. Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses : elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure. » - L'Intransigeant, 17 août 1914
« Nos troupes, d'ailleurs, maintenant, se rient de la mitrailleuse (...) On n'y fait plus attention. » - Le Petit Parisien, L. Montel, 11 octobre 1914
« Je tordrai les Boches avant deux mois. » - Généralissime Joffre, août 1914
«Nous romprons le front allemand quand nous voudrons.» - Général Nivelle, 13 janvier 1917
C’est même vivifiant
« Dès les premiers mois de la guerre, tout le monde a été frappé du remarquable état de santé de nos héroïques poilus. La belle mine des permissionnaires * revenant du front donnait confiance à ceux de l’arrière. » - Victor Cambon, Où allons-nous ?, 1918
« Il est bien évident que parmi les 1 100 000 hommes réunis pendant les six mois que durèrent les hostilités [de la guerre de 1870, NDLR], il en serait déjà mort beaucoup, même sans la guerre. (…) La mortalité totale est souvent plus grande durant les années de paix que durant les années de guerre. » - René Brémer, Patriote avant tout, 1914
Mais l’ennemi ne fait rien pour se rendre sympathique
« Obséquieux avec ses chefs, insolent avec ses inférieurs, l’Allemand n’a jamais les allures d’un gentleman. » - Gustave Le Bon, Premières conséquences de la Guerre, 1916
« Les Allemands dégagent une odeur fétide, ce n’est pas douteux (…). Quant à la nature de cette odeur spéciale, on s’accorde moins. Beaucoup la compare à celle de la graisse rancie. D’autres, aux émanations d’une ménagerie foraine, de la bière aigre ou du lait tourné (…) Plusieurs aviateurs affirment que, lorsqu’ils arrivent au-dessus d’une agglomération allemande, ils en sont avertis par une odeur dont leurs narines sont affectées, même s’ils survolent à une très grande hauteur. » - G. Lenôtre, Prussiens d’hier et d’aujourd’hui, 1915
« Les cadavres boches sentent plus mauvais que ceux des Français. » - Le Matin, 14 juillet 1915
« La principale particularité organique de l’Allemand actuel, c’est qu’il est impuissant à éliminer par sa fonction rénale surmenée tous les éléments uriques. Il doit donc y ajouter la sudation plantaire. Cette conception peut s’exprimer en disant que l’Allemand urine par les pieds. » - Dr E. Bérillon, Comment pourrait-on s’entendre un jour avec un peuple qui sent mauvais, Conférence à la société de médecine, 23 avril 1915
« De ce premier coup d’œil sur la race allemande, il résulte que le type général est laid et (…) donne l’impression du mal dégrossi, (…) du mal léché. Je prévois d’ici l’objection : - Mais il n’est pas rare de rencontrer en Allemagne des hommes bien faits, d’allure svelte et de tournure distinguée. Une enquête approfondie ne tarderait pas à apprendre que, dans ces cas-là, il s’agit toujours de Slaves, de Polonais, de Tchèques, de Danois, de Lorrains, d’Alsaciens… » - Dr. E. Bérillon, La Psychologie de la race allemande d’après les caractères objectifs (sic...) et spécifiques, conférence du 4 février 1917,
Du coup, on le reçoit comme il le mérite
« Le 12, un soldat allemand s’avançait vers les tranchées, tenant d’une main des cigares et de l’autre une proclamation. On ne lui laissa pas le temps de l’engager des pourparlers. Une balle bien placée mit fin à sa tentative. » Bulletin hebdomadaire officiel, 20 décembre 1915
« Tuer du Boche, battre le Boche nettoyer la tranchée à la grenade, au couteau, au revolver, cela vaut la peine de mourir. L’idéal national rayonne dans les âmes. » L’Illustration, 12 août 1916
Ou on le fait prisonnier grâce à quelques astuces simples
Légende (c’est le cas de le dire) :
« Le carabinier belge : - Je ne prends plus mon fusil. Je m’en vais avec une tartine lorsque les Allemands la voient, ils me suivent. »
Heureusement, parfois...
Glaçant de bêtise, non ? Heureusement, parfois, il y a des hommes pour se rappeler que ceux d’en face sont comme eux. Tel ce papa, à son fils qui lui réclame un casque allemand en souvenir :
« Pour le casque de Prussien cela n’est pas sûr. Ce n’est pas maintenant le moment d’aller les décoiffer. Il fait trop froid, ils pourraient attraper la grippe. Et puis mon pauvre Maurice, il faut réfléchir que les Prussiens sont comme nous. Il y a des papas qui sont à la guerre et des petits enfants comme toi qui sont avec leur maman. Vois-tu qu’un garçon prussien écrive à son père la même chose que toi et qu’il lui demande un képi de français, et si ce papa Prussien rapportait un képi de français à son petit garçon et que ce képi fut celui de ton papa ? Qu’est-ce que tu en penses ? Tu conserveras ma lettre et tu la liras plus tard quand tu seras grand. »
Soldat Martin Vaillagou, 1915.
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* Un bien joli contrepet, au passage, et flatteur pour nos élus mâles.