Il aura suffi d’un trailer et d’une image montrant quatre soldats, dont une femme, pour lancer un début de polémique. Pour une part des habitués de la franchise de jeu de combat multijoueur Battlefield, permettre aux joueurs d’incarner un personnage féminin dans le nouvel opus ne serait pas réaliste sur un plan historique. Argument principal : il n’y aurait pas eu de femmes combattantes pendant la période concernée, à savoir la Seconde guerre mondiale. Problème : c’est faux.
Des femmes ont bel et bien combattu en première ligne
Certes, on peinerait à trouver une silhouette féminine parmi les GI’s qui ont débarqué sur les plages de Normandie en juin 1944 – un point régulièrement mis en avant par certains joueurs sur les réseaux sociaux pour justifier un concert de protestations légèrement sexiste sur les bords. De toute évidence furieux à l’idée qu’on puisse leur proposer d’incarner un personnage féminin dans leur FPS* de référence, les râleurs de service (militaire) assènent ce qui est à leurs yeux parole d’évangile : la deuxième guerre mondiale, c’est un monde d’hommes.
Il ne faut pas pourtant chercher bien loin pour tordre le cou à cette thèse d’une Seconde guerre mondiale uniquement menée par des êtres humains de la catégorie XY. En réalité, l’armée américaine est avec le Japon l’une des rares nations engagées à ne pas avoir envoyé de femmes au combat** : même l’Allemagne nazie, qui n’imaginait pas la femme autrement qu’au foyer, avait mis sur pied un régiment de femmes à la toute fin du conflit, au sein de la Volksturm, la milice populaire chargée d'aider la Werhmacht à protéger Berlin de l'avancée russe.
Sans même évoquer certaines figures d’exception comme l’Australienne Nancy Wake ou l’Américaine Virginia Hall, deux agentes du SOE britannique expédiées en France pour y combattre aux côtés de la Résistance, les exemples abondent. En Angleterre, 10 % des effectifs étaient féminins. En France, 20 % des maquisards étaient des maquisardes et certaines femmes comme Simone Segouin, ont participé très directement aux combats de rue de la fin du conflit, à Chartres et à Paris en l’occurrence.
En URSS, 800.000 femmes (un million à la fin du conflit) ont servi dans l’Armée rouge, sans se cantonner d’ailleurs au rôle qui leur était jusque-là classiquement attribué : infirmière, conductrices… Le cas célèbre de Lioudmila Pavlitchenko est exemplaire : si cette tireuse de précision détient un record avec 309 soldats ennemis abattus, elle n’est qu’une des 2 000 femmes engagées comme snipers dans les rangs soviétiques. Idem pour les pilotes du 122e groupe d’aviation créé en 1941 par Staline, entièrement féminin, et qui ne faisait pas particulièrement dans la dentelle. Son 588e régiment, surnommé les sorcières de la nuit par les soldats allemands, faisait dans le bombardement nocturne. Au lendemain du conflit, il était tout simplement le régiment le plus décoré de toute l’aviation soviétique.
Attention, cette femme n'est pas un personnage de jeu vidéo : Simone Segouin, résistante, Croix de Guerre, sous-lieutenant de l'armée française.
Battlefield, un jeu réaliste ? LOL.
Au-delà des réalités historiques, il y a une certaine saveur à voir une partie des joueurs se draper dans un supposé réalisme historique pour justifier leur refus de la (timide) féminisation qui touche le vaste monde du jeu vidéo. Et plus particulièrement dans Battlefield… Rappelons tout de même que le précédent opus du jeu, situé pendant la Première guerre mondiale, réussissait l’exploit de ne pas montrer le moindre soldat français dans sa version initiale, ni le moindre Russe d’ailleurs. Pas mal pour un scénario solo qui se déroulait en grande partie sur le front de l’Ouest, dans le cadre d’un conflit qui coûta la vie à 1,4 million de Poilus…
Il y a là un vieux malentendu : contrairement à d’autres jeux (tel le récent Kingdom Come : Deliverance), Battlefield n’a jamais prétendu faire dans le réalisme historique, et pour cause : l’histoire n’y est qu’un fond, un décor comme un autre. Le jeu ne prétend pas un instant plonger les joueurs dans un univers réaliste, ni même crédible. Si on peut comprendre le plaisir qu’il y a à passer d’un char d’assaut à un avion de chasse et de ressusciter toutes les 15 secondes avant de filer crapahuter entre des tranchées puis de courir sur un dirigeable en feu de 400 mètres de long, difficile d’y voir une quelconque vraisemblance. Pas plus que dans le fait de courir sans jamais s’essouffler en transportant 500 kilos d’armes et de munitions dans un paquetage de toute évidence dépourvu de fond, ou de voir son niveau de vie remonter tranquillement dès qu’on trouve un abri.
Battlefield fait un certain nombre de choix de scénarios et de gameplay qui en font beaucoup de choses, mais certainement pas une simulation militaire réaliste ou historiquement exacte.
Le parti pris est définitivement celui du jeu d’action grand public. Comme dans le Inglourious Basterds de Tarantino, la guerre n’est que le prétexte d’une action qu’on est libre ou non d’apprécier, mais qui n’a aucun objectif historique ou pédagogique. Electronic Arts l’assume plus ou moins d’ailleurs : contrairement à ce qu’a fait Ubisoft avec la licence Assassin’s Creed ou Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, le studio n’a associé aucun historien à la conception du précédent Battlefield. Résultat : des scènes de combat urbain sorties de nulle part, aucun combat dans les tranchées, aucune évocation de la longue attente à laquelle se résume le quotidien d’un combattant de 14-18…
Même combat pour le dernier-né de la licence, si on ose dire. Battleflied V s’inscrit strictement dans la même veine que ses prédécesseurs : adrénaline, action, rapidité, images à couper le souffle. La crédibilité historique ? Pas une seconde, mais ce n’est certainement la possibilité d’incarner une femme qui en est la cause.
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*First Person Shooter, ou jeu de tir à la première personne.
** Seul le Japon s'est totalement privé de recourir à des auxiliaires féminines. Les Etats-Unis, de leur côté, ont compté de nombreuses femmes dans leurs rangs, affectées dans des unités non combattantes. Et encore : en 1977, Jimmy Carter a fini par accorder le statut d’anciennes combattantes aux aviatrices du Women Airforce Service Pilots, un escadron de femmes pilotes jusque-là considérées comme des employées de la fonction publique sans statut militaire, en dépit des missions accomplies et des risques bien réels qu’elles avaient affronté.