Décidément, François Fillon a un problème avec l’histoire, ses chercheurs et ses enseignants. A rebours de la quasi-totalité de la profession, le Républicain ne cesse de marteler que la discipline serait écrite par des idéologues au service d’une vision de la société dont on a bien compris qu’elle ne cadre pas avec la sienne. Un discours inquiétant, typique d’une tendance du politique à prendre une discipline scientifique pour la boîte à outils de ses ambitions.
Mensonges infondés
Commençons par les mots et les faits, puisqu’il faut de toute évidence revenir à des choses simples – et donc les propos de François Fillon lors de son récent débat avec Alain Juppé. Voici les propos du candidat :
"Aujourd'hui, les programmes d'histoire sont rédigés par des idéologues qui veulent imposer leur vision de la société. (...) Dans la dernière instruction qui a été donnée par l'inspection générale, on enlève Clovis, Jeanne d'Arc. Même Voltaire et Rousseau ne sont plus au programme"
Des propos quasi identiques à ceux qu’il tenait déjà en août dans le Figaro :
« A cette rentrée disparaissent du programme plusieurs personnages importants français et européens : Jules César, Vercingétorix, Hugues Capet, Jeanne d'Arc, Gutenberg, Christophe Colomb, Copernic, Galilée, Richelieu, et même Voltaire et Rousseau ! »
Vraiment ?
En une phrase, François Fillon donne à la fois dans mensonge et le ridicule, prouvant surtout qu’il n’a pas lu la moindre ligne des nouveaux programmes de 2015. Clovis y figure bel et bien, en toutes lettres, aux côtés de Charlemagne et des principaux souverains de l’histoire de France. Pour aider un petit peu François Fillon, je lui fais la gentillesse de le souligner en rouge sur l’image ci-dessous – c’est en classe de CM1, auprès d’enfants de 9 ans donc, qu’on évoque Clovis, puis Charlemagne et bien d’autres.
Idem pour la dynastie des Capet, bien présents – à moins qu’un enseignant s’amuse à parler des Capétiens sans parler d’Hugues Capet.
Quant à Jeanne d’Arc, là encore, c’est une ânerie sans nom de prétendre qu'elle a disparu. Sa vie et son action figurent largement dans les documents d’accompagnement des enseignants, toujours en CM1. Mieux, elle n’a absolument pas disparu des manuels, et encore moins des instructions du Ministère. La preuve :
Pour le reste, c’est toujours aussi faux, sauf à imaginer qu’on évoque en 5e la gravure et l’imprimerie sans parler de Gutenberg – autant croire qu’on peut parler de la Joconde sans citer Léonard de Vinci. Christophe Colomb est évidemment évoqué lorsque les enseignants abordent les grandes découvertes géographiques des Européens. Copernic, Galilée et d’autres sont présents, toujours en 5e, lorsque les élèves planchent sur les bouleversements que connaît l’Europe de la Renaissance.
Concernant Voltaire et Rousseau, on peut concéder à François Fillon qu’on ne parle en effet ni de l’un ni de l’autre en primaire - probablement parce que le Contrat social ou Micromégas sont un peu rudes à avaler à 8 ans. En revanche, ils sont bel et bien évoqués en 4ème dans le chapitre consacré au 18ème siècle. Puis en Première, où les deux philosophes sont également présents dans les programmes de français.
Qu’est-ce que l’Histoire ?
Voilà pour les faits : François Fillon a tort, factuellement tort.
Sur le fond du discours maintenant : le 28 août dernier, le député regrettait déjà que « les jeunes Français ignorent des pans de leur Histoire ou, pire encore, apprennent à en avoir honte » et proposait de « revoir l’enseignement de l’Histoire à l’école primaire afin que les maîtres ne soient plus obligés d’apprendre aux enfants que le passé est source d’interrogations »
Une déclaration qui laisse, sincèrement et littéralement stupéfait. François Fillon pourrait se scandaliser que les mathématiques apprennent aux enfants à compter, ce ne serait pas plus absurde : c’est la nature même de l’histoire de considérer que le passé est source d’interrogation !
C’est le métier même de l’historien que d’interroger les sources, régulièrement et constamment. Recouper, comparer, confronter chercher, se remettre en cause, avancer avec prudence en cherchant un terrain ferme… L'histoire, comme la géographie, est une discipline scientifique et il n’y a pas de science sans question, ni capacité à considérer qu’une thèse n’est jamais établie qu’à titre provisoire et sous réserve que de nouvelles découvertes ne viennent la préciser, voire la contredire.
C’est tout le sens de la tribune publiée par l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), plutôt pondérée dans ses interventions publiques.
« On enseigne une histoire "vraie", c'est-à-dire celle qui s'appuie sur les sources. Pas une histoire qui relèverait de l'invention ou du roman. Si récit il doit y avoir, il ne peut être que celui qui prend en compte tous les acteurs de cette histoire, et tous ses aspects, les moments où la France est du côté du progrès comme ceux où elle vit des heures sombres. Apprendre le passé n'est pas le transformer. »
On se permettra de rappeler à François Fillon qu’il s’agit là d’un texte écrit par des professionnels de l’enseignement - ceux qui ont les élèves en face d’eux et pas de parlementaires qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de classe, mais n’en donnent pas moins des leçons à la terre entière.
Une histoire sans historiens ?
Dans le débat qui l’opposait cette semaine à Alain Juppé, François Fillon revenait sur une de ses marottes : il prévoit de faire rédiger les programmes « par des académiciens » (trois, à en croire son discours d’août sur ce thème). Et « des historiens », concédait-il dans un tweet un peu plus tard. Bonne nouvelle : c’est le cas. Chercheurs et enseignants ont toujours fait partie des comités qui élaborent les programmes - un brin logique tout de même.
Mais des académiciens ? Des spécialistes de la langue française ? Pourquoi ? Lesquels, choisis par qui et sur quelle base ? Pourquoi seraient-ils davantage en mesure de concevoir des programmes d’histoire que … les historiens ? Faudra-t-il sérieusement consulter Alain Finkielkraut, grand expert en gnagnagna, ou Jean-Loup Dabadie, homme de théâtre et chansonnier, pour savoir quand et comment évoquer le féodalisme auprès d’enfants de 10 ans ? Sont-ils de si grands experts de l’enseignement ? De la discipline historique ?
Tout cela, d’après François Fillon serait fait pour « construire notre récit national ». Une bien belle expression, on peut plus révélatrice : l’idée que l’histoire est littéralement, construite, fabriquée et scénarisée au service d’un but politique.
On pourrait suggérer autre chose : qu’il reviendrait plutôt aux politiques d’incarner et de créer cet attachement à la France, plutôt que de prendre les enseignants pour des valets tout juste bons à raconter une belle histoire collective et fantasmée – et les élèves pour des oies à gaver.
Ce cancre de Fillon
Enfin, impossible de s’en empêcher : quitte à donner des leçons d’histoire aux enseignants et aux chercheurs, encore faudrait-il se montrer soi-même irréprochable. Et le moins qu’on puisse dire est que François Fillon fait preuve de quelques lacunes en la matière, comme lorsqu’il tweete ceci en 2015 avant de supprimer son message.
Oubliant au passage que l’Allemagne nazie et sa chère Russie n’étaient pas le moins du monde en guerre en 1940, Staline ayant signé avec Hitler un pacte de non-agression. C’est en juin 1941 que l’attaque allemande – l’opération Barbarossa – fait basculer la Russie dans le conflit. Bonne nouvelle : la seconde guerre mondiale figure au programme. En primaire, au collège et au lycée.
Mais c’est peut-être ce tweet lunaire qui traduit involontairement le mieux les confusions du candidat.
Gavroche, qui n’a jamais existé que dans le cerveau de Victor Hugo, voisine avec les très réels Bonaparte et Clemenceau.
Le roman tout court au milieu du roman national. La confusion est totale.