Quand François Fillon veut une Histoire trop belle pour être vraie

C’est dit : François Fillon, s’il devait s'installer à l’Élysée au printemps 2017, promet de faire « réécrire les programmes d’Histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national » afin d’amener les élèves à « retrouver la confiance dans notre patrie ». Récurrent depuis des années, le débat sur la mission de l’école en matière tourne autour d’une question majeure : est-ce aux historiens d’assurer l’attachement d’un peuple à son pays ?

C’est quoi, le « récit national » ?

L’idée de récit ou de roman national, apparue au 19e siècle, voit dans l’enseignement de l’histoire le moyen d’assurer l’attachement des Français à leur pays en valorisant la grandeur de son passé, vu comme une ligne ininterrompue partant des Gaulois pour arriver à l’époque contemporaine. Le roman national repose sur l’idée que la France existerait peu ou prou depuis deux millénaires, guide le monde par ses valeurs et ses vertus, et jouit d’un destin sans pareil au sein des grandes nations.

Ce scénario vise à entretenir un lien charnel, quasi mystique, entre les Français et leur pays, dont la trajectoire serait logique et cohérente : chrétienté, unification autour du roi, Révolution et grandeur napoléonienne, progrès industriel, colonisation porteuse d’humanisme et de civilisation, République…

Le tout s’appuie sur la mise en avant d’hommes d’État visionnaires (de Clovis à de Gaulle en passant par Charlemagne, Henri IV ou Napoléon) et de grandes figures (Bayard, Jeanne d’Arc...), l’exaltation des vertus positives (héroïsme, engagement, sacrifice…) un appel à l’émotion et au pathos et une vision systématiquement favorable, sinon complaisante, des hommes et des événements.

Incarnée au 19e siècle par un manuel resté célèbre, le Lavisse (du nom de son rédacteur), cette vision de l’histoire scolaire fait régulièrement son retour sur la scène politique et médiatique, portée auprès du grand public par des présentateurs et des vulgarisateurs comme Frank Ferrand ou Lorànt Deutsch et par quelques historiens comme Dimitri Casali. La majorité des historiens de métier et nombre d’enseignants, allergiques à ce mot de roman, s’opposent en revanche à cette perception de leur discipline et de son enseignement que résume bien l’injonction qui figurait en couverture de l’édition 1912 du Lavisse :

« Enfant (…) tu dois aimer la France parce que la nature l’a faite belle et parce que son histoire l’a faite grande ».

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Pourquoi le sujet revient sur le tapis ?

Alors que les nouveaux programmes scolaires entrent en vigueur cette rentrée, la question du rôle de l’histoire scolaire est à nouveau posée par une partie du champ politique, notamment à droite. François Fillon, comme d’autres avant lui – et gageons qu’il ne sera pas le dernier - expriment l’idée que l’enseignement de l’histoire serait aujourd’hui dévoyé, marqué par une vision négative de notre passé, par une volonté de repentance systématique qui conduirait à noircir systématiquement l’histoire de France. Vision par ailleurs plus qu'outrancière quand on la curiosité de s’intéresser à la réalité du contenu des programmes.

Inversement, le projet de l’ancien premier ministre de « réécrire les programmes d’Histoire » est présentée comme l’ultime moyen de faire partager par les Français un même récit et de les attacher à un passé glorieux – mieux : comme un rempart contre tous les maux qui touchent un pays décrit de façon dramatique comme autant perdu son identité, voire son âme.

Pourquoi ça pose problème ?

Cette conception de l’enseignement de l’histoire n’a qu’un défaut : elle relève au mieux de la fiction naïve, au pire d’un mensonge pour enfants construit par l’État dans son intérêt plutôt que dans celui des élèves et de leur capacité à développer un esprit critique. Soit l’inverse même de la mission confiée à l’école.

En proposant une suite d’images d’Épinal souvent grossières, parfois jusqu’au ridicule, le roman national relève davantage de la propagande que d’un apprentissage progressif, établi sur la base de faits avérés.

Non, nos ancêtres n’étaient pas (seulement) Gaulois. Non, les (réelles et indéniables) racines chrétiennes de la France ne sont pas les seules et ne la constituent pas entièrement. Non, Clovis n’était pas roi d’une France qui n’existait pas encore. Non, Charlemagne n’a pas inventé l’école et n’avait pas la barbe fleurie. Non, Jeanne d’Arc n’était pas une pauvre bergère. Non, la colonisation n’a pas été un moment de « partage de la culture » française, comme l’a exprimé François Fillon dans un discours proprement ahurissant.

Quelle place pour le sentiment ?

L’émotion et la fiction et les sentiments ont évidemment un rôle dans le développement du goût pour l’histoire. Le médiéviste Jacques le Goff expliquait ainsi que son goût du Moyen Age lui était venu en lisant les romans de Walter Scott. Et nous sommes nombreux  à puiser notre intérêt pour les sujets historiques dans le souvenir des séries, des films ou des livres que nous lisions enfants.

Mais grandir et s’éduquer, c’est précisément apprendre à faire la différence entre les histoires et l’Histoire. Or le roman national, comme l’indique son nom même, est une fiction et l’histoire scolaire n’est pas là pour transmettre une fiction. Au contraire : elle a pour mission d’apprendre à distinguer l’histoire du mythe. Et donc à se méfier d’un récit scénarisé pour servir une arrière-pensée politique. Il revient aux enseignants d’expliquer que l’Histoire est complexe, qu’il y a plusieurs manières de l’aborder et que rien n’y est tout noir ou tout blanc. Et que la France n’est pas un illusoire pays du Bien, à l’histoire traversée d’honneur et de dignité.

Bien entendu, on n’enseigne pas cette dernière de la même manière à un élève de primaire qu’à un lycéen de Terminale. Mais quel que soit le niveau, le but est le même : étudier des faits et apprendre petit à petit à porter un regard critique  sur ces derniers.

A l’inverse, pour reprendre les termes de l’historien Nicolas Offenstadt dans une récente tribune, transmettre « un récit national figé et glorifiant la France est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire ». La France, comme n’importe quel pays, a une histoire complexe et contrastée. Considérer que les professeurs d’histoire auraient pour mission d’enrôler une discipline scientifique entière sous une bannière qui n’a pas lieu d’être.

Et quitte à se placer sur le champ des valeurs, la France mérite une autre ambition que celle qui consiste à prendre les enfants pour des ânes et les enseignants pour les éleveurs chargés de les fournir en avoine.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu