Cinq îles désertes où personne ne viendra vous déranger

Aaaaah, se faire dorer la couenne au soleil sur une île déserte, loin des plages saturées de touristes et de vendeurs de babioles. Aaah, partir à l’aventure dans l’espoir de dénicher LE rivage sur lequel la main de l’homme n'a jamais mis le pied. Bonne nouvelle, c’est jouable : contrairement aux livres imaginaires dont parlait le billet précédent, les îles de la liste suivante ont la particularité d’être tout ce qu’il y a de plus authentiques (bon, sauf une). Et si elles furent bel et bien habitées, il y a lurette que plus personne ne vous y surprendra. Plus personne de vivant, s’entend.

La plus hantée : Poveglia

C’est où ?

Tout près : à quelques centaines de mètres de la rive, dans la lagune de Venise.

C’est désert depuis quand ?

1968.

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Plein de choses moches. Et dès l’Antiquité : les Romains trouvèrent l’île particulièrement pratique en période d'épidémie pour y expédier les malades en quarantaine. A la perspective d’une mort prochaine s’ajoutait donc l’exil, toujours sympathique quand on agonise dans la douleur.

À l’époque médiévale, l’île s’avéra idéale pour accueillir les familles bannies de la cité des Doges pour une raison X ou Y, souvent politique. Des familles parfois aisées qui tentaient de se ménager un minimum de confort au point qu’à son apogée, Poveglia comptait 800 maisons, quelques vignobles et avait même fini par obtenir une série de privilèges fiscaux ou juridiques.

Reste qu’on ne change pas une équipe qui gagne : les Vénitiens reprirent la méthode romaine de la quarantaine à chaque fois ou presque qu’une épidémie traversa la région, en particulier lors de grandes pestes comme celle de 1348, qui expédia 30 à 50 % de la population européenne ad patres en cinq ans. Les malades et les mourants arrivaient alors par barques entières à Poveglia : les historiens estiment que 160 000 personnes moururent sur une île dont la surface, rongée par les eaux et divisée par deux depuis le Moyen Age, n’a jamais dû dépasser les quatre kilomètres carrés… Le doux sable de la plage sous vos pieds sera de fait largement composé de corps de pestiférés abandonnés là.

C’est déjà pas mal, hein ? Ce n’est pas fini. L’île joua quelque siècles encore son rôle de mouroir, au point de servir de morgue pour les soldats tués au cours de la seconde Guerre mondiale. Mais le plus beau, c’est qu’on y construisit en 1922 un asile psychiatrique à Poveglia : bizarrement, les malades avaient tendance à voir et à entendre des choses la nuit, dans une île réputée hantée jusqu’aux genoux… Une rumeur (non vérifiée) veut que le médecin résident y traitait les troubles de ses patients à coups de lobotomie, avant de se jeter du haut du campanile. Forcément.

La plus inquiétante : l’île des Poupées

C’est où ?

Au sud de Mexico. L’île est située au milieu d’un des innombrables canaux qui traversent Xochimilco, une région marécageuse truffée de chinampas - des sortes de petites parcelles cultivables aménagées.

C’est désert depuis quand ?

Depuis la mort du seul habitant de l’île 2001.

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Tout a commencé dans les années 50, quand un jeune mexicain, Don Julian Santana Barrera, lâcha tout pour venir vivre en ermite sur ce petit coin de terre perdu dans les canaux. Que l’histoire soit ou non exacte, le bruit court que Barrera eut l’impression de mettre le pied sur une île hantée par le souvenir d’une petite fille noyée à deux pas de l’île. Le jeune homme se mit à récupérer les poupées perdues ou abandonnées qui flottaient sur les eaux des canaux. Il récupérait celles qui venaient s’échouer ou repêchait celles qu’ils trouvaient à la surface lors de ses déplacements. En hommage à la fillette disparue, Barrera se mit à les placer un peu partout sur la chinampa, suspendues aux branches des arbres, perchées au sommet des clôtures, fixées dans les taillis ou sur les planches de sa maisonnée de bois …

Le résultat de cette manie légèrement obsessionnelle ? Une île littéralement truffée de poupées vieillies, terreuses, attachées ou clouées un peu partout et sorties toutes droites d’un film d’horreur. La preuve :

 

 

 

isla de las munecas

Eeeet trois Valium par personne, trois.

Le pire, c’est que son dévouement à la petite fille noyée n’aura pas empêché Don Julian Santana Barrera de mourir exactement de la même manière en 2001, à 80 ans et après cinq décennies passées à bâtir tout seul son étrange collection. Il reste à espérer que personne ne se mettra à accrocher des figurines de petit vieux dans toute l’île.

La plus industrielle : Hashima

C’est où ?

À une petite vingtaine de kilomètres des côtes japonaises, plus précisément de Nagasaki – oui, ce Nagasaki-là. L’île est aussi surnommée « Battleship Island » en raison de sa forme qui rappelle vaguement la silhouette d’un cuirassé.

Hashima

C’est désert depuis quand ?

1974.

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Tout commence au 19e siècle, avec la découverte sur Hashima d’un gisement minier prometteur. L’île est rapidement habitée pour rentabiliser l’exploitation : des immeubles immenses, conçus pour résister aux typhons et aux séismes, sont construits pour accueillir les ouvriers et leurs familles, à deux pas des puits. L’ensemble donne à l’île un aspect de forteresse urbaine tout droit sorti d’un film post-apocalyptique.

La production de minerai prend une telle dimension que la petite Hashima (six hectares à peine) sera brièvement la zone la plus densément peuplée du monde… C’est l’épuisement des ressources minières qui aura la peau d’une île dépourvue par ailleurs du moindre intérêt économique. Les derniers ouvriers quitteront Hashima au milieu des années 70.

Oh, et si l’île dit quelque chose aux amoureux de James Bond, c’est on ne peut plus normal : c’est là qu’a été tourné l’un des passages les plus mémorables de Skyfall (à partir de 0’48) :

La plus new-yorkaise : North Brother Island

C’est où ?

En plein Bronx. Ou plus exactement sur l’East River, entre le Bronx et Riker’s Island.

C’est désert depuis quand ?

Les années 60.

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Rien de spécial.

Non, je plaisante : l’île a une histoire récente – elle est restée déserte jusqu’en 1885 – mais dense : elle a accueilli le Riverside Hospital, établissement particulièrement joyeux puisqu’il était entre autres réservé aux malades de la variole – tout à fait le genre de lieu qu’on rêve de voir construit au beau milieu d’une des plus grandes mégapoles de la planète. Entre autres patients, l’île a accueilli une célébrité américaine, Mary « Typhoid Mary » Mallon, une cuisinière considérée comme la première porteuse saine de la fièvre typhoïde. Elle y mourut en quarantaine et de sa bonne mort en 1938, après avoir bien involontairement contaminé 51 personnes.

L’île a aussi connu un événement tragique, avec le naufrage en 1902 du General Slocum, un vapeur qui vint s’échouer sur ses rives – mille morts tout de même, noyés ou vaporisés dans l’explosion des chaudières. Après 1945, North Brother Island fut aménagée pour accueillir avec leurs familles des vétérans de la seconde guerre qu’on formait sur place pour faciliter leur retour à la vie active. Suivit un établissement réservé au traitement des jeunes drogués, fermé après une série de scandales de corruption. L’île, dont les anciens bâtiments disparaissent petit à petit sous les arbres, est interdite au public, mais pas aux oiseaux : elle héberge une bien belle colonie de Bihoreaux gris, ce qui n’est tout de même pas rien.

North brother island

Bienvenue dans le cœur du Bronx. 

La plus poétique : Avalon

C’est où ?

Personne ne sait, mais les habitants de Glastonbury, dans le Somerset, prétendent depuis plus de huit siècles être les heureux occupants de l’ancienne île du Roi Arthur. Les moines de l’abbaye y auraient découvert en 1191 un cercueil creusé dans un tronc d'arbre, contenant les ossements d'un homme placés sous une dalle de pierre et sous une croix de plomb portant l'inscription « Hic jacet sepultus inclutvs rex Arturius in insulis Avalonia » (Ici repose Arthur le renommé, en l’île d’Avalon).

C’est désert depuis quand ?

Lurette. Au 12e siècle déjà, on considère l’île comme une semi-légende.

Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Avalon (dont l’étymologie signifierait « la pommeraie », ce qui est un rien décevant pour une légende arthurienne) est une île mythique, gouvernée par la fée Morgane, demi-sœur d’Arthur et par une tripotée de magiciens et d’enchanteurs : Merlin, la fée Viviane…C’est dans cette île entourée de brumes et dont le point culminant accueille un cercle de pierres qui rappelle Stonehenge qu’Arthur, après sa dernière bataille, est censée s’être réfugié, gravement blessé. La légende veut qu’il s’y repose dans un demi-sommeil proche de la mort en attendant de revenir à la vie lorsqu’il s’agira de sauver le royaume.

Au-delà de la légende arthurienne, Avalon est un lieu mythique classique, une sorte de passage vers le pays des morts, zone heureuse et hors du temps où les héros patientent en attendant de revenir pour une nouvelle épopée. Une belle allégorie d’un monde celtique en sommeil.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu