Cinq livres que vous ne lirez pas pendant vos vacances

Une fois n'est pas coutume, mais ce n'est pas l'été tous les jours : ce blog évoquera exceptionnellement des sources qui, si elles ont donné lieu à bien des histoires, ne relèvent pas de l'Histoire - ou de celle de la littérature. Et si partir en vacances est souvent l’occasion de rattraper la pile de nos livres en retard, vous risquez d’avoir du mal à trouver les cinq ouvrages qui suivent pour la bonne et simple raison qu’ils n’existent pas.

Le plus scientifique : La dynamique d’un astéroïde

Auteur 

James Moriarty

Où on peut le trouver 

Dans Sherlock Holmes. A tout héros digne de ce nom s’oppose un méchant du même tonneau. La suite de livres et de séries qui ont dépoussiéré la longue histoire du Sherlock Holmes de papier ont vu ressurgir l’un des plus beaux méchants de fiction, le professeur Moriarty que le détective anglais créé par Conan Doyle décrit ainsi dans Le dernier problème :

« Il est de bonne famille et a reçu une excellente éducation. Prodigieusement doué pour les mathématiques (…) une hérédité chargée faisait de lui une sorte de monstre, avec des instincts criminels d’autant plus redoutables qu’ils étaient servis par une intelligence exceptionnelle. »

Un génie du crime doublé d’un génie des mathématiques donc, au point que Conan Doyle lui attribue un ouvrage scientifique remarquable, La Dynamique d’un astéroïde.

Ce qu’il raconte

Aucune idée, mais Sherlock Holmes lui-même admet « qu’il ne souffre d’aucune réfutation possible » - l’humour anglais… Pour la petite histoire, c’est ce livre qu’on voit Moriarty signer à Paris dans le film Sherlock Holmes : Jeu d’ombres de Guy Ritchie, sorti en 2009. Il en dédicace même un exemplaire à Holmes, qui en profite pour analyser son écriture. Et le traiter de cinglé psychopathe.

moriarty book

Le plus effrayant : le Necronomicon

Auteur

Abdul al Hazred

Où on peut le trouver 

Physiquement, nulle part, même si certains sont toujours convaincus de son existence réelle. En littérature, on le trouve chez Lovecraft, qui s’est bien amusé avec – si tant est que Lovecraft, dont on connaît le visage un peu moins souriant qu’un caveau sous la pleine lune, puisse s’amuser. Le Necronomicon est lié à la mythologie toute personnelle qu’il imagina autour des Grands Anciens – des dieux venus des étoiles et endormis après avoir ravagé la terre. Compte tenu du fait qu’ils sont dotés d’un nombre exagéré de tentacules et portent des noms qui raclent un brin la gorge (Azathoth, Yog-Sothoth, Cthulhu…), mieux vaut ne pas les réveiller.

Howard_Phillips_Lovecraft

H. P. Lovecraft, fin déconneur. 

Le Necronomicon (ou Kitab al Azif[1]) est un ouvrage qui tourne autour du mythe de ces Grands Anciens. Lovecraft l’attribue à un auteur arabe du 8e siècle, Abdul Al Hazred (avec un autre petit jeu de mot : le nom peut se lire has all read, "a tout lu"), considéré comme dément et qui connaîtra un destin tragique : en plein Damas, une chose invisible et surgie d’une autre dimension le bouffe littéralement au milieu de la foule affolée, en plein jour et au beau milieu du marché.

Livre fictif donc, mais que Lovecraft a rendu très crédible en truffant ses écrits de références à l’histoire réelle. Il indique notamment que le dernier exemplaire du Necronomicon aurait été brûlé au 17e siècle en Amérique du Nord, à Salem – où on brûla bel et bien des gens pour sorcellerie, en 1692.

Ce qu’il raconte 

Lovecraft, multiplie les mentions du Necronomicon (dans treize bouquins, quand même) donne paradoxalement très peu de détails, et pour cause : tous les exemplaires de l’ouvrage, réputé rendre fou ses lecteurs, sont censés avoir été brûlés. Le livre tient du grimoire de mage, du manuel de type « La nécromancie pour les Nuls »,  de recueil de sortilèges, de porte vers d’autres dimensions… Quelques paragraphes seulement auraient survécu, dont les deux vers les plus célèbres de Lovecraft :

« That is not dead which can eternal lie / And with strange aeons even death may die »

« N'est pas mort ce qui à jamais dort / Et au cours des siècles peut mourir même la Mort. »

Le plus plausible : Le livre II de la Poétique d’Aristote

Auteur

Ben, Aristote.

Où on peut le trouver

Dieu seul le sait. Aristote l’annonce dans le livre I de la Poétique, mais on n’en a jamais retrouvé le moindre extrait. Le nom vous est familier ? Et pour cause : c’est LE fameux livre qu’on trouve au centre de l’intrigue du Nom de la Rose, d’Umberto Eco, porté à l’écran par Jean-Jacques Annaud.

Ce qu’il raconte

C’est tout le problème, on ne sait pas. Le livre I de la Poétique, le dernier ouvrage du philosophe grec, parle de toutes les formes de ce que nous appellerons l’écriture : épopée, tragédie, poésie… Le fameux tome II, lui est censé aborder la comédie mais est porté disparu depuis l'Antiquité, si tant est qu’il ait été réellement écrit par Aristote, à qui on a prêté bien des textes en s'emballant parfois un brin.

 [ALERTE SPOILER] C’est précisément ce qui a permis à Eco d’imaginer son intrigue. Dans le roman, le bibliothécaire de l’abbaye, le vieux Jorge, a retrouvé une copie du livre et découvre qu’Aristote y défend le rire. Lui estime que si l’homme rit, il finira par rire de tout – y compris de Dieu. Intolérable pour le vieil homme qui… mais la suite est dans le livre.

Le plus légendaire : le Livre rouge de la Marche de l’Ouest

Auteurs 

Bilbo et Frodo Baggins. Et un peu Sam Gamegie.

Où on peut le trouver

Quelque part en Terre du Milieu. Cherchez des portes rondes ; une rune gravée dans le bois est un plus.

Hobbiton,_New_Zealand

Bonne chance et ATTENTION UN GOBELIN.

Ce qu’il raconte

On sait que la destinée de l’Anneau Unique, décrite dans le long roman de J.R.R. Tolkien (dans les 1 300 pages, tout de même), n’est jamais qu’une infime partie de l’histoire du monde décrit dans le Silmarillon.

De même, le Seigneur des Anneaux ne serait en fait d’après Tolkien qu’une partie des souvenirs de Bilbo et de son neveu Frodo ; il réunirait leurs deux trajets « tels que les ont vus les Petites Personnes, complétés par les récits de leurs amis et l’érudition des Sages », de la découverte de l’anneau à sa destruction finale. Commencé par Bilbo après la mort du dragon Smaug, l’ouvrage est repris par Frodo à son retour du Mordor.  On voit d’ailleurs les deux Hobbits en rédiger différentes parties dans les films de Peter Jackson. Tolkien se pose donc en simple traducteur de textes anciens, retrouvés par hasard.

Cette idée – prétendre n’être que le découvreur de textes anciens – n’est d’ailleurs pas un cas unique. Mark Twain avait fait le coup avant Tolkien avec ses Extraits du Journal d’Adam et plus près de nous, Boris Vian prétendra n’être que le traducteur d’un certain Vernon O’Sullivan au moment de publier J’irai cracher sur vos tombes.

Le plus dangereux : l’In Octavo

Auteur 

Le Créateur, tout simplement.

Où on peut le trouver 

Dans la Bibliothèque de l’Université invisible d’Ankh-Morpork, sur le Disque-Monde. Se munir de bananes[2].

Ce qu’il raconte 

Des tas de choses dangereuses. Directement rédigé par le Créateur et abandonné sur place, l’In Octavo n’a rien de particulier à première vue : un simple grimoire relié plein cuir. Il ne contient pourtant rien de moins que les huit sortilèges majeurs qui servirent à créer le Disque-monde, emprisonnés dans les pages d’un livre doué d’une conscience et d’une intelligence aussi profondes que sa méchanceté. D’où le fait que le grimoire est dûment immobilisé par huit énormes chaînes et qu’il est tenu fermé par une mâchoire de métal. Pas étonnant, dans la mesure où la libération d’un seul des huit sorts pourrait mener l’univers à sa fin. Ce qui ne manque bien évidemment pas d'arriver ; la suite est contée dans le Huitième Sortilège, le deuxième livre du cycle de Terry Pratchett.

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[1] Le mot azif désignant les crissements produits la nuit par les insectes dans le désert. Excellente soirée, et surtout de beaux rêves.

[2] Pour ceux qui ne sont pas familiers du monde de Pratchett, précisons que le bibliothécaire a eu un petit accident de magie qui l’a transformé en orang-outang. Et en est ravi.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu