Trois exemples de guerre biologique qui ne datent pas d'hier

Les témoignages de médecins et de journalistes se multiplient en Syrie, laissant penser que des armes chimiques sont bel et bien employées dans la guerre civile qui ravage le pays. Au-delà des gaz utilisés, c’est désormais des armes d’un autre genre que redoutent les combattants et les instances internationales : biologiques, cette fois. Toxines, bactéries champignons, virus… Une nouvelle horreur héritée du 20ème siècle ? Pas vraiment.

1 La première attaque biologique de l’histoire date du 14ème siècle avant Jésus-Christ

C’est grâce aux courriers diplomatiques du pharaon Akhenaton qu’on a pu reconstituer cette histoire, mise en lumière par un biologiste en 2007. Le coupable ? Un bacille poétiquement baptisé Francisella tularensis, présent de longue date dans la région de Zemar, une ville phénicienne située aujourd’hui en… Syrie.  Il provoquait des épidémies mortelles pour les troupeaux et pour les hommes dont il attaque la peau et les tissus, provoquant des lésions dont je vous épargnerai les images : c’est moche.

Transporté par les tiques et les animaux qu’elles parasitent, présent dans l’eau ou la nourriture, le bacille présente une particularité redoutable : il est capable de pénétrer une peau intacte, sans avoir besoin d’une plaie d’entrée. Pire, on peut l’inhaler, en écorchant par exemple un animal abattu à la chasse ou dans les cours de ferme. Les patients infectés meurent des complications qui touchent petit à petit tous leurs organes, foie, rate, système lymphatique et respiratoire... Le taux de mortalité pouvait atteindre 10 %. Jusqu’à 50 % de la population touchée peut souffrir de complications pulmonaires lourdes.

Située à la frontière de zones d’influences variées, la région a passé son temps à être envahie par les peuples voisins : des Égyptiens, elle passe ainsi aux Hittites vers – 1350. Les soldats sont contaminés à leur tour par accident. C’est en revanche en toute conscience qu’ils vont eux-mêmes laisser un cadeau empoisonné en fuyant devant le peuple qui les chassera à leur tour, dix ans plus tard : les Arzawas : du cheptel malade. Sous leur poil épais, les lésions ne sont pas toujours faciles à détecter dans les premiers temps de la maladie…

Tout heureux de trouver dans les villages délaissés des béliers, toujours utiles pour permettre aux troupeaux de prospérer, les Arzawas ne se méfient pas. Ils ne vont pas tarder à en subir les conséquences et les Hittites retrouveront leurs terres. En se méfiant des béliers.

2 Le siège de Caffa : des cadavres dans les catapultes

2700 ans plus tard, personne n’a encore la moindre idée de ce que peut-être un bacille ou une bactérie, mais l’empirisme suffit. Depuis près de trois millénaires et dans de nombreux conflits, on infecte les puits en y abandonnant des carcasses d’animaux ou permettant aux soldats de se soulager dans les sources d’eau, on empoisonne la pointe des flèches…

Ou pire : on contamine des villes entières en y catapultant les corps putréfiés des pestiférés. C’est exactement ce qui se produit en Crimée, à Caffa, sur les bords de la Mer Noire. En 1346, le siège de ce comptoir génois encerclé par les troupes mongoles de la Horde d’Or s’éternise quand soudain, miracle - du point de vue italien en tout cas : la peste se met à ravager les troupes tatares. Assez vite, les assiégés vont constater que le miracle a malheureusement deux faces. En désespoir de cause, le commandant Mongol expédie les corps de ses propres soldats derrière les enceintes, en les plaçant dans des catapultes. En atterrissant dans la ville, les cadavres diffusent l’épidémie chez les assiégés, décimés d’autant plus vite que le confinement renforce la vitesse de contagion. On estime que 80 % de la population y resta. Le siège de Caffa prit fin faute de combattants, au sens littéral du terme.

Détail secondaire d’une guerre lointaine ? Pas franchement : les rescapés génois ne tarderont pas à relancer les routes commerciales pour se pointer la bouche en cœur sur les quais des ports de Sicile et d’Italie, avec un bacille en pleine bourre dans leurs cales. C’est le début de la Grande Peste de 1347. En dix ans, elle expédiera un gros tiers de la population européenne dans la tombe.

3 Les Delaware, battus par la variole

Peu après avoir mis le pied sur le continent américain, les Occidentaux n’ont pas tardé à constater que les maladies amenés par les marins et les soldats du Vieux Continent avaient un effet désastreux sur les populations du Nouveau Monde. La variole en particulier fit bien plus de ravages chez les peuples précolombiens que les armes à feu des premiers conquistadors et de leurs successeurs.

La variole, c’est le nom moderne de la petite vérole, célèbre pour avoir entre autres eu la peau de Louis XV. D’origine virale, elle est extrêmement contagieuse et ravage le corps des malades, dont la peau se couvre de pustules. La mort intervient dans 20 à 30 % des cas – ou 97 % dans le cas de la variole dite maligne. Ceux qui survivent sont mutilés à vie par des cratères atroces. Songez à la fin des Liaisons Dangereuses

En 1764, un officier britannique, Jeffery Amherts, reçoit des nouvelles inquiétantes de Fort Pitt, harcelé par les attaques de plusieurs tribus indiennes, les Delaware en particulier. La situation est d’autant plus complexe que la variole décime les troupes anglaises. De Londres, il expédie au commandant de l’armée de secours expédiée à la rescousse du fort une lettre où figure entre autres cette phrase : « Vous feriez bien d'essayer d'infecter les Indiens avec des couvertures, ou par toute autre méthode visant à exterminer cette race exécrable (sic). » La réponse du colonel Henri Bouquet, un Suisse, ne se fait pas attendre. « J'essaierai d'infecter ces salauds (sic) avec les couvertures qui pourraient tomber entre mes mains en faisant attention à ne pas contracter la maladie moi-même. »

Ce qui fut fait, manifestement à l’occasion d’une rencontre entre émissaires : l’épidémie se répandit chez les Indiens. La rébellion de Pontiac, du nom du chef indien à l’origine de la révolte, échoua dans les semaines qui suivirent, victime de la première attaque biologique volontaire lancée sur le continent américain.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu