Dans ce billet, je vous propose de raconter le point de vue d'une femme victime d'une agression sexuelle. A travers cette fiction à la première personne, je m'intéresse plus particulièrement à la description des mécanismes physiologiques sous-jacents aux comportements.
Agenouillée au bord de la cuvette des toilettes, je contemple le fond de faïence rempli des particules rougeâtres et mal odorantes qui ont constitué mon dîner.
Un sauvage semble vouloir réclamer ma place en frappant violemment à la porte. Dans l’effort, je me relève, tire la chasse et, sans même prendre le temps de me rincer la bouche, je m’extirpe des cabinets puants et me retrouve nez à nez avec un type qui m’attrape la bouche et m’embrasse de tout son désir. Le gars me repousse dans les toilettes et s’y enferme avec moi. La suite, vous la connaissez, vous pouvez vous l’imaginer comme une succession d’images violentes, mais ce que vous ignorez, c’est ce qui s’est vraiment passé, ce qui s’est passé dans ma tête…
Coincée dans les chiottes avec ce mec, ma première réaction est une réponse émotionnelle due à une production d’adrénaline et de cortisol commandée par mon amygdale. L’adrénaline augmente mon rythme cardiaque et ma pression artérielle, tandis que le cortisol fournit à mon corps le glucose nécessaire pour affronter ce type qui n’est manifestement pas dégoûté par mon haleine de vomi. Mon cortex émotionnel et mon hippocampe me permettent en même temps d’obtenir des repères spatio-temporels et d’analyser le niveau de danger de la situation en fonction de toutes mes expériences passées : toutes les fois où l’on m’a suivi dans la rue, les fois où l’on m’a insulté, les fois où j’ai dû semer un connard sont autant d’apprentissages qui me servent aujourd’hui à savoir si je peux m’en sortir, et comment.
Mais cette fois, je réalise qu’aucune échappatoire n’est possible, que le mec arrivera à ses fins. Plus tard, on me demandera : « mais pourquoi tu t’es pas défendue !? ». Parce qu’à ce moment-là mes émotions prennent le dessus : mon cortex et mon hippocampe sont dans l’incapacité de me calmer, mon amygdale ne s’éteint plus et continue de commander la sécrétion d’adrénaline et de cortisol qui atteignent des niveaux de plus en plus toxiques pour mon organisme. Je suis paralysée, je n’ai plus aucun contrôle.
À cet instant, pour assurer ma survie biologique, une décharge d’endorphines et de drogues endogènes déconnecte mon amygdale et inhibe aussitôt toutes mes réponses émotionnelles. Le mec est toujours sur moi, mais maintenant je ne ressens plus aucune souffrance. Je perçois ses actions sans aucune connotation émotionnelle, ça me donne une impression d’étrangeté, comme si j’étais spectatrice de la scène.
Mon propre système de défense m’a permis d’échapper à la mort en court-circuitant les conséquences physiologiques d’un stress extrême et en me dissociant de l’indicible.
Je suis donc toujours en vie. L’organisme humain a priorisé sa survie biologique au détriment d’une mémoire traumatique. C’est le début d’une nouvelle vie, celle d’après…