"Le clan des psys" est une saga déclinée en plusieurs épisodes inspirés de faits réels relatés par des patients.
Depuis trente ans que je côtoie des psys, seuls quelques-uns ont su faire preuve d'humilité et de raison. Psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes, ils sont tous idéalisés, voire idolâtrés. Pourtant, j’ai le désagréable sentiment que pour la plupart, ils n’y connaissent rien.
Je ne sais jamais si je dois leur parler de mes rêves, de ma peur de la mort ou de mes éjaculations précoces. Quelle est la position adéquate pour une bonne thérapie ? Vaut-il mieux être allongé ? Ou bien en face à face ? Ma mère est-elle responsable de mes troubles, ou est-ce que je suis plutôt le résultat d’une loterie génétique hasardeuse qui doit se débrouiller comme il peut dans son environnement ?
Episode 01 : les égoïstes
Le cabinet du Dr T. est une pièce aménagée de son appartement personnel qui dégage une odeur très particulière, plutôt désagréable.
On reproche aux psys de ne pas parler assez au point de donner parfois l’impression d'être carrément absent, surtout lorsqu’ils s’endorment pendant la séance. Mais on peut aussi leur reprocher d'être trop bavard.
Le Dr T. monopolise carrément la parole. Ce n'est pas le seul psy à se comporter ainsi, mais à la différence des autres, je ne lui en tiens pas rigueur car il m’instruit. Je dois même avouer qu’il me fascine. Avec lui, j'ai le sentiment de découvrir une facette de la vie révolutionnaire, au point que ma principale motivation pour venir aux consultations n’est plus d’aller mieux, mais de me divertir.
Sa vision du monde est devenue rapidement la mienne, le Dr T. a fait de moi un affranchi. Je suis passé du statut de patient à celui de fidèle disciple, et de une à trois séances par semaine. Je viens donc chez lui pour l'écouter développer ses théories burlesques, mais très convaincantes. Néanmoins, j'ai beaucoup trop de fierté pour le laisser croire qu'il peut avoir le moindre ascendant sur moi. Je feins donc très bien la distance, voire le mépris. D’ailleurs, je lui ai déjà dit que son cabinet était une véritable puanteur.
Selon le Dr T., l'homme est un égoïste par essence car il n'est jamais question d'altruisme en matière de comportement humain. L'organisme vivant ne vise que deux objectifs fondamentaux : sa reproduction et sa survie. Pour cela, il fuit les stimulations désagréables de son environnement et s'engage dans les comportements qui lui procurent un maximum de plaisir ou de bénéfices. Si je donne une pièce d’un euro à cet artiste dans le métro qui interprète à l’accordéon l’hymne à l’amour d’Edith Piaf de façon très approximative, c'est surtout pour satisfaire mon besoin d'approbation sociale, ou bien pour éviter l'inconfort de penser que lui n'a rien alors que moi j'ai tout. Si je lui donne la pièce, c'est aussi parfois pour m'acheter une bonne place après ma mort, ou parce qu'il paraît que nos bons comportements finissent toujours par nous être rendus d’une façon ou d’une autre, façon Karma. Bref, si j’accorde à ce clochard un peu de mon attention, c’est avant tout pour m'éviter ces sensations désagréables que l'on appelle la culpabilité, le regret ou la honte, mais certainement pas parce que j’ai le coeur sur la main.
"Vos comportements sont émis avant tout dans votre propre intérêt M. Lichtlé".
Aimez les autres, et vous serez couverts de louanges. N'aimez que votre petite personne et vous deviendrez un individu peu fréquentable. Pourtant, comment ne pas respecter les êtres humains qui réussissent à s'aimer eux-mêmes, à obtenir ce Graal réservé à une poignée d'élus qui consiste à être heureux avec soi-même, peu importe le regard de l'autre. S'aimer, c'est en quelque sorte trouver l'équilibre entre les exigences de votre environnement social et vos propres besoins et désirs à satisfaire. S'aimer, c'est être libre.
Réussissez à vous donner les moyens de vos exigences dans un environnement donné, et vous deviendrez un égoïste heureux. Si vous échouez, vous n'en serez pas moins égoïste, mais vous serez en plus parasités par une brume d'angoisse et de culpabilité.