« Le clan des psys » est une saga déclinée en épisodes inspirés de faits réels relatés par des patients.
Depuis trente ans que je côtoie des psys, seuls quelques-uns ont su faire preuve d'humilité et de raison. Psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes, ils sont tous idéalisés, voire idolâtrés. Pourtant, j’ai le désagréable sentiment que pour la plupart, ils n’y connaissent rien.
Je ne sais jamais si je dois leur parler de mes rêves, de mon obsession pour la mort ou de mes éjaculations précoces. Quelle est la position adéquate pour une bonne thérapie ? Vaut-il mieux être allongé ? ou bien en face à face ? Ma mère est-elle responsable de mes troubles, ou est-ce que je suis plutôt le résultat d’une loterie génétique hasardeuse qui doit se débrouiller comme il peut dans son environnement ?
Episode 2 : les rapaces
Mme. B me reçoit dans son cabinet chaque semaine avec au moins 20 minutes de retard et me fait payer les séances manquées - je dois lui reconnaître une certaine indulgence puisque les consultations annulées au moins 72h à l’avance, pour des raisons « relativement importantes », ne me sont pas facturées. Au vu des tarifs pratiqués, atrocement chers, voire indécents, la psychothérapie buissonnière est donc fortement découragée.
« Nous allons nous arrêter là M. Lichtlé… ».
C’est ainsi que Mme B. conclue systématiquement chacun de nos rendez-vous, après 17 minutes d’entretien, pas une de plus. Peu importe que je sois en train de pleurer, de raconter un secret honteux, et même si je n’ai pas décroché un seul mot de toute la séance.
« Pourquoi 17 minutes ? ». Je me pose souvent cette question.
110 euros pour 17 minutes, soit environ 388 euros de l’heure. Au rythme d’une séance par semaine, c’est 440 euros que je verse chaque mois à Mme B., si possible en liquide. Sur cette somme, la sécurité sociale ne me rembourse pas un centime.
Si je continue à payer autant depuis toutes ces années, c’est qu’une analyse, il faut que ça coûte. Je suis d’ailleurs convaincu que c’est un pré-requis à toute thérapie réussie : je vais mieux, si et seulement si j’ampute notablement mon salaire mensuel.
Et si cette théorie sur l’importance de l’argent en psychothérapie n’était qu’un mythe ? Quelle est finalement la variable qui rend ma psychothérapie efficace : est-ce la technicité et l’expertise de Mme B. ? Ou bien les stratégies de self-management que je développe chaque jour en dehors de son cabinet pour tenter d’aller mieux et ainsi faire en sorte d’en finir le plus tôt possible avec cette thérapie qui me coûte un bras ?
Sigmund Feud et Jacques Lacan auraient eux-mêmes été des rapaces…
« On a jamais vraiment réalisé à quel point les analyses de Freud coûtaient cher. (…). A partir de 1905, il est célèbre et il pratique des prix inabordables. Un peu comme Lacan qui lui aussi pratiquait des prix sidérants. (…). J’ai une anecdote qui est arrivée à un de mes amis qui était en analyse chez Lacan. Il était l’héritier d’une famille très aisée. Quand il commence son analyse chez Lacan, il n’a pas encore l’argent de l’héritage. Et au bout d’un moment, Lacan veut augmenter le rythme des séances, des séances courtes, et mon ami dit « non, je suis désolé, je ne peux pas, je n’ai pas assez d’argent ». Lacan lui répond : « Pas de problème, on va faire une ardoise. C’est-à-dire que vous allez venir chez moi 5, 6 fois par jour, c’était le mardi pour mon ami, et puis quand vous aurez votre héritage, et bien vous viendrez me le donner ». Effectivement, au bout de quelques années, les parents décèdent, mon ami se pointe chez Lacan, avec une énorme valise remplie de billets de banque, tout l’héritage, le met sur le bureau de Lacan qui ouvre la valise et commence à compter ». (Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe et historien, 2015. Propos tirés du document Les déconvertis de la psychanalyse, réalisé en 2015 par Sophie Robert).