Ces quinze dernières années, l'autorité culturelle et intellectuelle de la psychanalyse en France est devenue de moins en moins évidente. Pourtant, son importance théorique et clinique reste encore largement acceptée. Une telle autorité peut sembler irrationnelle dans la mesure où la psychanalyse ne repose sur aucun fondement scientifique. Cette place prédominante dans le champ de la santé mentale peut paraître plus surprenante encore quand on sait que ce sont les agences de santé publique qui considèrent la psychanalyse comme une pseudoscience.
Alors comment une telle foi peut-elle encore se maintenir ?
Dans son livre "Vous avez dit hasard ? Entre mathématiques et psychologie", Nicolas Gauvrit emploie le terme d'inertie mentale pour évoquer cette résistance au changement. Celle-ci serait due au fait qu'il est neurologiquement coûteux pour une personne de modifier son opinion : résorber ses contradictions prend du temps et coûte de l'énergie, alors qu’ajouter une notion en accord avec notre édifice mental est un processus peu coûteux. Ainsi, par confort mental, nous avons tendance à faire le tri dans les informations de notre environnement en retenant plus volontiers toutes celles qui valident nos croyances déjà établies et en rejetant celles qui les invalident (c'est ce qui se passe par exemple lorsqu’on lit notre horoscope). C’est le fonctionnement de notre mémoire sélective qui rend plus facile d'accès tout ce qui va dans le sens de nos opinions.
Bien sur, nous savons repérer également les arguments contraires à nos croyances. Cependant, ces arguments ont beaucoup moins de poids à nos yeux et nous avons tendance à les réfuter et à prouver qu’il sont faux en construisant des contre-arguments.
Pour illustrer cette notion d'intertie mentale, l'auteur prend l'exemple de l'homéopathie. Auprès du public, l'homéopathie a une réputation de sérieux. Pourtant, elle est fondée sur un ensemble de principes non démontrés dont le plus connu est le suivant : tout produit ayant sur l'organisme un effet à forte dose aura, à faible dose et sur un malade un effet inverse. Mais les études prouvent que les produits homéopathiques n'ont absolument aucun effet (excepté l'effet placebo) : les dilutions sont telles que dans la plupart des granules vendues en pharmacie, il y a exactement 0 molécule de produit actif. La matière, composée d'atomes, n'est en effet pas divisible à l'infini, et à force de diluer un produit, on finit par n’avoir plus du tout de molécules de départ.
Malgré ces arguments avancés par les sceptiques, l'homéopathie conserve auprès du public la réputation d'un produit efficace.
Nous avons là un exemple de résistance mentale au changement qui est en partie dû au fait qu'il nous est difficile de modifier nos croyances. Cette résistance au changement nous permet de conserver une certaine stabilité mentale, et d’éviter le plus possible d’avoir cette désagréable impression de s'être trompé. Mais elle peut aussi nous maintenir dans l'erreur.
Ce n'est que devant une réfutation véritablement éclatante que nous changeons d’opinion.
Cette notion d'inertie mentale pourrait expliquer de la même façon pourquoi les théories issues des travaux de Freud gardent encore une place majoritaire dans les différents lieux de soins en France, malgré la présence de contre-arguments avancés par les agences de santé publique. Cette résistance au changement est d'autant plus flagrante lorsqu'on sait qu'en France, le titre de psychanalyste ne bénéficie d'aucun encadrement légal, contrairement à toutes les autres professions en santé mentale (en comparaison, le titre de psychologue est reconnu et protégé par l'Etat depuis 1985).
Sources :
Gauvrit, N. (2009). Vous avez dit hasard? Entre mathématiques et psychologie. Paris: Belin.
Lézé, S. (2010). L'autorité des psychanalystes. Paris: Presses Universitaires de France.