J'ai regardé un épisode de l'émission télé-réalité Mariés au premier regard. A un moment du show, l'une des candidates dit face caméra : "Je fais confiance à la science pour me trouver un mari…". L'émission se sert en effet du caractère soi-disant scientifique de l'expérience pour se légitimer et encourager les candidats à participer. Mais la caution scientifique de l'émission est-elle solide ?
Quelle est la caution scientifique de "Mariés au premier regard" ?
La démarche des "experts" de l'émission est la suivante : ils demandent aux candidats de répondre à différents questionnaires, comme par exemple le "Big Five" (un test d'évaluation de la personnalité bien connu des psychologues), mais aussi d'autres tests aux qualités psychométriques douteuses1. Les experts se basent ensuite sur les réponses des candidats pour déterminer un taux de compatibilité. Par exemple, si un homme et une femme ont 85% de réponses communes sur l'ensemble des tests, on leur dit qu'ils sont compatibles à 85%.
Le problème, c'est que ce taux de 85% ne prédit en rien que les deux candidats tomberont réellement amoureux l'un de l'autre, ou que leur mariage sera une réussite à long terme (d'ailleurs, le taux de réussite des couples formés dans l'émission ne dépasserait pas 20%). Aujourd'hui, il n'a en effet jamais été démontré à l'aide d'une méthodologie scientifique que des réponses communes à des questionnaires soit une garantie de réussite conjugale. En d'autres termes, il ne suffit pas que les partenaires apprécient tous les deux les animaux, la pêche ou le cinéma, qu'ils expriment facilement leurs émotions, ou qu'ils partagent les mêmes valeurs pour présumer qu'ils vont "matcher" en amour. Et vous aurez beau multiplier le nombre de questions, vous n'augmenterez pas la fiabilité de la prédiction.
En définitive, non seulement l'émission n'a pas de caution scientifique2, mais en plus, elle propage une idée fausse au sujet de la science et de l'amour. Malheureusement, c'est aussi ce que vous promettent la plupart des sites de rencontre : "dites-nous qui vous êtes, et l'on trouvera votre partenaire idéal !". Que voulez-vous, la science est un outil marketing puissant.
Existe-t-il réellement une science de l'amour ?
A l'heure actuelle, la science ne permet donc pas de savoir si deux parfaits inconnus sont faits l'un pour l'autre. Par contre, il existe des travaux scientifiques qui ont permis d'identifier certains facteurs de risque de séparation de couples déjà formés3. Les recherches les plus importantes à ce sujet sont certainement celles du Dr John Gottman. En analysant des données récoltées sur plusieurs décennies, ce chercheur a pu identifier certaines caractéristiques communes aux couples qui finissent par divorcer. Plus exactement, ce sont des caractéristiques liées à la dynamique du conflit qui seraient importantes4. Voici quelques-unes de ces caractéristiques qui mènent à la rupture :
- l'attitude défensive (remettre toute la faute sur l'autre)
- la critique du partenaire dans sa globalité (plus que son comportement)
- le repli (le refus de toute discussion)
- la difficulté à juguler son émotion, ou l'inertie émotionnelle (le conflit génère parfois tellement d'émotions qu'il rend impossible toute discussion)
Ce qui est crucial, ce n'est donc pas les caractéristiques de l'individu, mais celles de la relation : c'est la façon dont les amants vont gérer leurs interactions, particulièrement dans les moments de conflit, qui va déterminer la solidité du couple. Et c'est d'ailleurs pour cela qu'il est difficile de prédire quoi que ce soit tant que le couple n'est pas formé et qu'il n'a donc encore jamais interagit.
A l'inverse, les relations qui durent partagent aussi des caractéristiques communes. Gottman a montré que les couples qui fonctionnent "bien" ont 5 fois plus d'échanges à valeur émotionnelle positive, que d'échanges à valeur émotionnelle négative, soit un ration 1/5 (en comparaison, les couples instables ont un ratio 0,8/1). Voici quelques exemples d'échanges à valeur émotionnelle positive :
- avoir des gestes d'affection
- se faire des compliments
- montrer de l'intérêt à l'autre
- soutenir votre partenaire
- agir en pensant à l'autre et pas uniquement dans son propre intérêt
- montrer que vous êtes présent pour votre partenaire dans les moments qui comptent
Ces échanges positifs servent "d'amortisseurs" dans les moments de discordes. Car il y aura toujours des conflits dans un couple, même quand les partenaires sont parfaitement compatibles (d'ailleurs, les couples qui durent ne sont pas nécessairement ceux qui ne se disputent jamais !). Ce n'est donc pas le conflit en lui-même qui pose problème, c'est la façon dont il va être géré et qui va entraîner ou non le couple dans une spirale de négativité.
La science des affaires conjugales au service du bien-être
Une "bonne" relation amoureuse est un facteur de bien-être physique et psychologique non seulement pour les conjoints, mais aussi pour leurs enfants. Aux Etats-Unis, près d'un million de couples divorcent chaque année (taux de divorce de 45%). Les divorcent sont donc potentiellement un problème de santé publique et on a alors tout intérêt à améliorer les relations conjugales. Nous avons vu que la science pouvait nous aider à mieux comprendre le fonctionnement d'un couple déjà établit et à identifier certains facteurs de risque et de protection. En connaissant ces facteurs, il devient alors possible de changer la trajectoire de la relation, d'éviter des divorces parfois inutiles et donc d'améliorer le bien-être des individus5.
Sources :
Deval, C. et Bernard-Curie, S. (2016). Simplifiez vos relations avec les autres. France : InterEditions.
https://www.youtube.com/watch?v=-uazFBCDvVw
https://www.youtube.com/watch?v=ib7Ain2aVR0
Renvois :
- La psychométrie, c'est la science de la mesure en psychologie. Elle permet de développer des méthodes pour évaluer des caractéristiques individuelles. Contrairement à l'évaluation objective d'une grandeur (comme par exemple une distance en sciences physiques), la mesure d'une caractéristique psychologique est plus délicate, car subjective. En conséquence, ce qu'on évalue en psychologie, c'est plus le positionnement relatif d'un individu comparativement à un échantillon de personnes présentant les mêmes caractéristiques. La création d'un test en psychologie nécessite de respecter certaines étapes pour s'assurer de sa fiabilité. Même si le "Big Five" est un test relativement fiable, les participants peuvent donner des réponses biaisées (par exemple en mentant pour répondre à certaines normes sociales). Ainsi, les scores obtenus à ce genre de test traduisent plus ce que la personne affirme être que ce qu'elle est réellement. La psychométrie permet également de tester des modèles théoriques. Dans les années 2000, un groupe de chercheurs a ainsi tenté de modéliser l'amour en créant un outil de mesure composé de 20 questions réparties en 4 dimensions : l'engagement, l'intimité, la passion érotique et la passion romantique. L'idée était de vérifier si les scores obtenus étaient corrélés à des comportements ou des attitudes en lien avec l'amour (par exemple, une corrélation entre la fidélité dans le couple et la passion romantique). En ayant plusieurs modèles, on peut les tester et voir celui qui décrit le mieux la "réalité". Ce n'est rien d'autre qu'une modélisation d'un phénomène complexe pour essayer d'y mettre un peu plus de rationalité, mais cela ne prétend pas définir l'amour dans l'absolu et n'enlève en rien son caractère "magique".
- A la rigueur, les experts pourraient utiliser les candidats comme des participants à une étude visant à confirmer ou non leur hypothèse, mais la procédure de recherche ne respecterait alors pas du tout le code éthique.
- La prédiction serait fiable à 90%.
- Le début des conversations conflictuelles serait critique : la façon dont les partenaires interagissent dans les 3 premières minutes pourraient en effet suffire pour prédire la séparation.
- Avec le mathématicien James Murray, Gottman a réussi à modéliser la dynamique de conflit d'un couple et la mettre en équation. Ils peuvent ainsi simuler n'importe quel conflit en modifiant les paramètres de l'interaction, comme par exemple la façon dont un partenaire démarre la discussion (plus ou moins positivement), l'inertie émotionnelle (le fait de ruminer des rancœurs), leur seuil de réparation (à quel point un partenaire tente de "réparer" le conflit, etc.). Le modèle permet alors d'observer une évolution plus ou moins positive de la discussion selon les paramètres que l'on modifie, et donc de prédire une issue plus ou mois favorable au conflit. On peut alors identifier des cibles thérapeutiques pertinentes et ainsi sélectionner les meilleures interventions pour aider les couples. Les thérapies issues de ces recherches auraient d'ailleurs prouvé leur efficacité (via des études en essai randomisé avec groupe contrôle).