L’état actuelle des connaissances sur l’autisme
L’autisme vu comme un trouble
Le spectre de l’autisme est une condition complexe actuellement vue comme un trouble précoce du neurodéveloppement qui dure habituellement toute la vie, et qui se manifeste par des particularités de la communication et des interactions sociales, ainsi que par des intérêts et comportements dits restreints et répétitifs incluant également des spécificités sensorielles.
Le trouble du spectre de l’autisme (ou TSA) est souvent accompagné d’autres conditions neurodéveloppementales, médicales, génétiques ou psychiatriques (aussi appelées comorbidités), comme par exemple un déficit intellectuel (présent dans environ 30% des cas d’autisme).
Les causes de l’autisme sont encore mal connues, mais l’on sait aujourd’hui que ses déterminants sont en grande partie d’origine génétique.
Pour en savoir plus sur l’état actuel des connaissances scientifiques sur l’autisme, je vous invite à regarder cette intervention de Franck Ramus, chercheur au CNRS.
Une partie dominante de la communauté scientifique, ainsi que la plupart des professionnels de santé et le grand public appréhendent donc aujourd’hui l’autisme dans une perspective « déficitaire », c’est-à-dire comme un trouble dont les signes permettant d’en faire le diagnostic doivent être corrigés et diminués. La normalisation du comportement des personnes autistes leur permettrait alors de mieux s’adapter aux standards de la société et d’interagir de façon plus adaptée avec les personnes « neurotypiques » (c’est-à-dire non autistes), ces dernières étant quant à elles considérées comme ayant une bonne santé neurologique et psychologique. A la décharge des partisans d’un autisme « pathologique », il est vrai que les troubles associés n’aident pas à imaginer l’autisme comme une condition impliquant aussi des compétences cognitives et des talents. C’est pourtant dans cette perspective que se dirige une autre partie des acteurs de la recherche et de la prise en charge qui commencent à envisager l’autisme non plus comme un trouble, mais comme l’expression d’une neurodiversité humaine…
Une autre vision de l’autisme
De plus en plus, l’autisme est donc vu comme une condition résultant d’un fonctionnement neurologique, certes atypique et dont l’expression engendre des difficultés d’adaptation au quotidien, mais qui présenterait aussi certains avantages. Il est vrai que les nombreuses biographies écrites par des adultes autistes évoquent à la fois leurs difficultés, mais aussi les aspects positifs de leur autisme.
Les compétences techniques et sociales des personnes autistes
Des compétences techniques
Bien que les forces et les difficultés relatives des personnes autistes soient spécifiques à chaque individu, il existe néanmoins de nombreux points communs. Par exemple, de nombreuses personnes autistes ont des difficultés pour gérer plusieurs tâches en même temps, comprendre les nuances sociales, filtrer les stimuli sensoriels concurrents ou planifier les tâches de leur vie quotidienne. En contrepartie, elles possèdent des compétences mémorielles, analytiques et perceptives améliorées. Par exemple : une focalisation extrême sur les détails, une sensibilité olfactive et tactile accrue, une capacité plus importante à différencier les mouvements et les sons. En pratique ces forces se manifestent par une plus grande capacité de concentration, des compétences améliorées en mathématiques, en physique-chimie, en ingénierie, en technologies de l’information ou en droit.
Des compétences sociales
Ce fonctionnement cognitif différent rend difficile pour les personnes autistes la compréhension de situations émotionnelles et sociales complexes. L’autiste a la réputation d’être désintéressé par le social et il est vrai qu’il a souvent une manière atypique d’entrer en relation avec autrui. La personne autiste ne s’isole pas parce qu’elle n’aime pas être en compagnie des autres, mais parce qu’elle ne sait pas comment interagir, que les autres ne partagent pas ses intérêts et aussi parce qu’elle est le plus souvent exclue. On pensait encore récemment que les personnes autistes avaient un défaut de théorie de l’esprit (c’est-à-dire qu’elles avaient des difficultés à identifier les pensées et états mentaux des autres, ce que l’on pourrait appeler vulgairement l’empathie). Or les études d'activation cérébrale montrent que les réponses du cerveau empathique ne sont pas absentes chez eux mais qu’elles sont plus basées sur l’utilisation des règles et de la logique. Les personnes autistes dépendent de leur fonctionnement logique pour répondre aux sollicitations émotionnelles des autres, c’est pourquoi elles donnent souvent l’impression d’un manque d’empathie ou d’amabilité. En contrepartie, cette façon de fonctionner permet le développement d’autres compétences sociales spécifiques. Ainsi, la précision et la logique de communication des personnes autistes leur permettent au contraire de créer des situations communicationnelles bien plus claires et d’éviter tous les malentendus sociaux et relationnels finalement très fréquents dans nos sociétés (les sous-entendus, les interprétations approximatives du discours, les doubles sens sont souvent à l’origine des nombreux conflits relationnels entre personnes non autistes). Autres avantages : une facilité à rester rationnel en cas de crise, une fidélité aux règles et principes sociaux, une meilleure résistance au conformisme social permettant une plus grande indépendance aux jugements erronés d'une autorité ou d’un groupe par exemple (voir ici une expérience étonnante sur les effets du conformisme social dont sont régulièrement victimes les neurotypiques).
Ainsi, bien qu'une approche logique et morale des interactions sociales ne conduise peut-être pas à créer des interactions sociales fluides et prévenantes comme le font les neurotypiques, les personnes autistes n’y perdent pas au change.
L’autisme : une condition à haute valeur adaptative ?
Certains auteurs avancent que ces avantages liés au fonctionnement autistique auraient même contribué à faire évoluer la société et qu’ils seraient donc bénéfiques à l’espèce humaine. Cette thèse évolutionniste surprenante est étayée par des données ethnographiques montrant que les compétences « autistiques » et leurs corrélats génétiques étaient présents chez certains individus de l’espèce humaine dès l’époque du paléolithique tardif, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs.
Ces sociétés fonctionnaient selon une « éthique collaborative », c’est-à-dire qu’elles permettaient l’inclusion dans leur communauté d’individus à la fois vulnérables et compétents (vulnérabilités et compétences présentes encore aujourd’hui sous la formes de signes « autistiques »). Cette ouverture sociale sur les différences individuelles aurait permis à ces individus pourtant vulnérables d’exprimer leurs qualités au sein de la communauté et ainsi de favoriser le développement d’innovations archéologiques vitales à la survie des groupes de l’époque.
Une étude anthropologique récente sur les Evènes, une ethnie d’éleveurs de rennes en Sibérie révèle par exemple que le grand-père de la famille avait une connaissance extrêmement détaillée des liens de parenté, de l’histoire médicale et du caractère de chacun des 2 600 animaux de l’élevage, connaissances vitales qui ont contribué de manière significative à leur gestion et à leur survie. Il se sentait mieux en compagnie des rennes qu’avec ses congénères, et il plantait toujours sa tente à distance raisonnable des autres, se préparant à manger tout seul.
Pour le dire plus simplement, nos ancêtres autistes auraient donc d’une certaine façon joué un rôle clef dans l’évolution de l’espèce. Leurs vulnérabilités auraient été sauvegardées depuis tout ce temps par une sorte de processus de sélection naturelle.
L'inclusion des personnes autistes dans la société
Même si l’on fait l’hypothèse que les personnes autistes auraient joué un rôle dans l’évolution de la société, le droit humain reste la seule justification suffisante pour justifier de leur inclusion. Les principes généraux et les obligations envers les personnes handicapées visées par la convention des Nations Unies s'appliquent en effet également aux personnes autistes. Ces principes comprennent notamment la non discrimination, la pleine participation aux affaires sociales, le respect de leurs différences et l’acceptation de leurs diversités.
Des efforts d’inclusion et de développement d’une approche collaborative entre personnes autistes et non autistes sont mis en oeuvre régulièrement, notamment par le biais d’organismes tels que The Autistic Self Advocacy Network (ASAN), AASPIRE, Autreach IT, The Autism Acceptance Project, Autism Network International, etc.
Récemment, « Sésame Street », l’émission éducative américaine pour enfants diffusée sur CBS News a accueilli une nouvelle marionnette : Julia. Ce personnage autiste a été créé pour expliquer l’autisme aux enfants. Pas facile, dans la mesure où les signes de l’autisme sont variables d’un enfant à l’autre. Néanmoins, l’émission ne s’en tire pas trop mal, car non seulement certains signes de l’autisme sont plutôt bien expliqués, mais il est surtout montré dans l’extrait comment interagir avec Julia pour l’inclure au mieux, c’est-à-dire avec bienveillance à l’égard de ses particularités perceptives, et en étant curieux de ses intérêts atypiques :
Pour conclure
Le nombre de personnes autistes dans le monde est en constante augmentation depuis 40 ans (nous sommes passés d’environ 1/000 dans les années 1970 à plus d’1% aujourd’hui). Bien qu’il soit difficile d’expliquer cette augmentation (meilleurs dépistages et diagnostics, augmentation d’éléments environnementaux « toxiques », etc.), nous pourrions néanmoins spéculer sur cette hypothèse : l’augmentation du nombre des cas d’autisme ne pourrait-elle pas être le résultat d’un processus d’adaptation génétique nécessaire à la survie de l’espèce ? Quoi qu'il en soit, l’autisme tend à être considéré aujourd’hui comme un variant humain plus que comme un trouble mental. Plutôt que de voir les personnes autistes comme des êtres humains à l’écart de la société, notre éthique devrait au contraire nous amener à reconnaitre, accepter et inclure leurs différences. Et c’est le niveau d’ouverture à la marginalité humaine d’une société qui va déterminer en parti le degré de handicap de l’autisme: c’est le regard de la société et sa capacité bienveillante d’inclusion qui va faire en sorte que la personne autiste va trouver sa place dans la communauté, ou pas.
Principales références :
Dachez, J. (2016). Envisager l’autisme autrement : une approche psychosociale. Thèse de doctorat : Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire. Université de Nantes. Vidéo de la soutenance consultée à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=AAGI_H6nGro
Scott Michael Robertson (2010) Neurodiversity, Quality of Life, and Autistic Adults: Shifting Research and Professional Focuses onto RealLife Challenges. Disability Studies Quarterly.
Spikins, P., Wright, B et Hodgson, D. (2016). Are there alternative adaptive strategies to human pro-sociality? The role of collaborative morality in the emergence of personality variation and autistic traits, Time and Mind, 9 (4): 289-313, DOI: 10.1080/1751696X.2016.1244949.