En 2011 est publié le livre « TV Lobotomie - la vérité scientifique sur les effets de la télévision » (Ed. Max Milo, Paris). L’auteur, Michel Desmurget, est chercheur en neurosciences et était à l’époque directeur de recherche à l’NSERM. Son ouvrage présente l’immense avantage d’analyser plus de 40 ans de recherches sur le sujet, étoffées par des milliers d’articles publiés dans des revues scientifiques pour la plupart tout à fait sérieuses.
Bon j’avoue, je n’ai pas lu le bouquin. Et encore moins les études qui y sont référencées. Néanmoins, il existe une vidéo de présentation de quelques-unes de ces recherches, vidéo animée par l’auteur lui-même :
Entrée en matière
Tout d’abord, il faut savoir que jusqu’en 2011, le temps moyen passé devant la télévision continuait à augmenter, quelle que soit la catégorie d’âge, et malgré le développement d’autres médias comme internet (en 2011 en France, le temps passé devant les écrans de télévision était estimé à 3h47 par jour).
Autre élément plus anecdotique : en 2011, lorsque l’on interroge les français sur les programmes qu’ils aiment regarder le plus à la télévision, leurs réponses les plus fréquentes sont les documentaires, les reportages, le cinéma et les programmes d’information (sondage Ifop, 2011). Et ce que les français aiment le moins regarder : les programmes de télé-réalité. Toujours d’après sondage, les chaînes que les français disent préférer regarder en 2011 : Arte, France 5 et France 3, loin devant TF1.
Paradoxalement, dans les 100 meilleures audiences de cette année 2011, n’apparait aucun documentaire. Les parts d’audience des chaines nationales en 2011 : TF1 (23,7%), France 2 (14,9%) suivit par M6 (10,8%) puis Arte, loin derrière, à 1,5% d’audience… L’être humain ne fait pas toujours ce qu’il dit (d’où la relative validité des sondages d’opinion…).
La télévision aurait donc plus pour fonction de vous divertir que de vous cultiver.
Des données édifiantes
Globalement, l’ensemble des études citées par l’auteur révèlent une mauvaise influence de la télévision sur la cognition, le langage, la sociabilité ou la santé en lien avec la sédentarité. Une exposition prolongée aux écrans de télé augmenterait les risques d’échecs scolaires, de consommation de tabac, d’alcool, d’apparition de troubles du comportement alimentaire et d’obésité. La télé aurait des effets néfastes sur la représentation de l’image du corps et encouragerait les comportements sexuels à risque. A titre d’exemple, étude révèle qu’une heure par jour de télévision à l’école primaire, c’est plus 43% de « chances » de sortir de l’école sans diplômes.
Mais là où l’exposition télévisuelle aurait le plus d’effet, c’est sur les comportements de violence et d’agressivité (les études sur le sujet sont celles qui ont été le plus répliquées). Une étude montrerait en particulier qu’une heure de programmes violents à la maternelle multiplierait par quatre la probabilité d’apparition de comportements asociaux au primaire (tricherie, indiscipline etc.).
Comment expliquer de tels résultats ?
Toutes ces données, et notamment celles concernant l’agressivité ont amené les chercheurs à s’intéresser aux processus impliqués dans les relations entre télévision et comportements : comment expliquer que la télévision puisse avoir de tels impacts ? Les chercheurs émettent quelques hypothèses, plus ou moins satisfaisantes :
- 60% des émissions contiendraient des actes de violence et un téléspectateur « moyen » verrait près de 2600 crimes et 13000 actes violents par an. Ainsi, par un phénomène d’habituation, l’exposition aux scènes de violence faciliterait le passage à l’acte : nos réponses de stress diminuent au fur et à mesure que nous sommes exposés à des images choquantes qui finissent… par ne plus nous choquer. Néanmoins, ce phénomène d’habituation n’est pas suffisant pour expliquer un passage à l’acte.
- Le fonctionnement des neurones miroirs est également cité pour tenter d’expliquer les effets de la télévision sur nos comportements : lorsque l’on saisit un objet, ou que l’on observe un individu saisir cet objet, ce sont les mêmes régions cérébrales qui s’activent dans notre cerveau. On appelle les cellules nerveuses qui constituent ces zones cérébrales les neurones miroirs. Cela suggère que l’être humain n'analyse pas l'action d'autrui uniquement avec son cortex visuel, mais aussi avec son cortex moteur, ce qui lui permet une meilleure compréhension de l’action. Chaque fois que nous voyons une autre personne agir, surtout si elle nous paraît semblable à nous, ces neurones miroirs s’activent donc dans notre cerveau de la même façon qu'ils le font dans le sien. C’est pour cela que vous avez tendance à bailler lorsque vous observez une personne qui baille, ou à faire la grimace lorsque vous voyez quelqu’un se faire mal par exemple. En neurosciences, les neurones miroirs seraient donc une piste pour nous aider à mieux comprendre les mécanismes de l’imitation.
- Concernant l’impact sur le développement cognitif, certains chercheurs pensent que les stimuli émis par la télévision « casseraient » l’exploration de l’environnement par le jeune enfant et par conséquent affecteraient le développement de ses capacités attentionnelles. Ces capacités se développeraient en effet chez l’enfant en partie grâce à la découverte et aux manipulations de son environnement. Ces temps « d’expérimentation » du monde qui l’entoure augmenteraient au cours de son développement cognitif (par exemple, les temps d’exploration de jeu sont de plus en plus long et la manipulation est de plus en plus élaborée, symbolisée). Or les stimuli sonores et visuels de la télévision solliciteraient de façon anarchique l’attention de l’enfant pendant ses explorations, au point de perturber le développement de ses capacités attentionnelles. Cette hypothèse pourrait expliquer en partie pourquoi la probabilité de trouble attentionnel est multipliée par 2 chez les enfants à l’âge de trois ans, pour chaque heure de supplémentaire passée par jour devant un téléviseur. Néanmoins, cette hypothèse peut être remise en question dans la mesure où, pour des raisons adaptatives, l’enfant finit par s’habituer aux différents stimuli de son environnement, même les plus envahissants.
- L’hypothèse la plus raisonnable pour tenter de comprendre l’effet de la télévision sur les comportements pourrait être la suivante : le temps passé devant la télévision, c’est tout simplement du temps en moins pour être confronté à plus d’opportunités d’apprentissages (comme par exemple les interactions sociales qui favorisent le développement du langage). Une heure passée devant la télévision, c’est donc une heure de moins pour faire ses devoirs ou pour réviser son cours de physique-chimie. Le temps passé devant l’écran peut également influencer le temps de sommeil, etc.
Des données à relativiser
Même si l’ensemble de ces données est le fruit d’investigations scientifiques tout à fait sérieuses, il faut néanmoins rester critique et prudent quant à leurs interprétations.
Tout d’abord, ces nombreux travaux de recherche n’ont peut-être pas tous une méthodologie irréprochable. Ainsi, même si les chercheurs réussissent à mettre à jour des liens statistiques entre des phénomènes (ou corrélations), il n’est pas toujours facile d’en déduire des liens de causalité, c’est-à-dire des relations de cause à effet directes. Par exemple, ce n’est pas parce que le taux d’échec solaire augmente en même temps que le temps passé devant la télévision que l’exposition télévisuelle est une cause de l’échec scolaire. De plus, même si de tels liens de causalité sont déduits, la télévision n’est sûrement pas le seul facteur en jeu. Ainsi, concernant la violence médiatique, celle-ci n’est pas la seule cause des comportements violents. D’ailleurs, l’auteur ne s’en cache pas en affirmant que « la seule chose qu’osent affirmer les scientifiques, c’est que la télévision représente un facteur de violence significatif (…) ». Pour le dire autrement, il ne suffit pas que vous regardiez des programmes violents pour voir augmenter vos propres comportements violents. La télévision serait donc un des nombreux facteurs de risque, au même titre que le facteur socio-culturel par exemple.
Ensuite, le temps passé devant la télévision est évalué à partir des chiffres d’audience. Ce temps correspond donc à celui pendant lequel un téléviseur reste allumé dans un échantillon représentatif d’une population. Une télévision allumée quatre heures par jour ne veut peut dire que le programme est regardé quatre par jour par les personnes de cet échantillon. Elle peut tout à fait rester allumée toute une journée sans que personne ne la regarde.
Il est également difficile d’évaluer si c’est le contenu des programmes ou simplement le temps passé devant la télévision qui influence les comportements. Certainement un peu des deux.
Enfin, regarder la télévision n’aurait-il pas aussi quelques avantages ? Même si nos capacités attentionnelles diminuent et que nous sommes plus prompts à changer d’intérêts, on pourrait imaginer que cela favorise notre adaptation au monde moderne, toujours plus riche en stimuli environnementaux et en informations à traiter.
Devez-vous jeter votre téléviseur par la fenêtre ?
Bien que les preuves scientifiques s’accumulent en défaveur de la consommation de télé, il ne suffira pas forcément de vous débarrasser de vos écrans pour résoudre le problème. Car même si la télévision était amenée à disparaître, rien ne peut permettre d’affirmer que vos enfants travailleraient mieux à l’école, seraient plus diplômés ou encore qu’ils seraient moins agressifs, moins gros, en meilleure santé ou plus intelligent. La télévision risquerait en effet d’être remplacée par un divertissement alternatif différent, mais tout autant phagocytant. Vous découvrir une passion pour les échecs ne vous rendra pas moins sédentaire par exemple.
La question de fond n’est donc pas vraiment « comment faire pour éliminer ou diminuer le temps d’utilisation de la télévision », mais plutôt « comment faire pour rendre les activités d’apprentissages, et notamment les apprentissages scolaires au moins aussi motivant que les contenus télévisuels ».