On compte 80 000 vols par jour dans le monde, soit près de 30 millions par an. En 2012, nous avons été 3 milliards à nous déplacer en avion. Ce moyen de transport est réputé pour être le plus sûr au monde, pourtant 20% des passagers ont peur en avion. Dans le pire des cas, cette crainte rend impossible pour la personne tout déplacement aérien, c'est ce que l'on appelle un comportement d'évitement. En psychothérapie, on travaille généralement sur les schémas de pensées inadaptées du patient et sur la confrontation à sa peur. Pour des raisons théoriques complexes que je ne détaille pas ici, une telle thérapie est compliquée à mettre en œuvre.
Je fais parti des 20% qui ont peur de prendre l'avion, mais je n'ai plus de comportements d'évitement. La preuve, j'écris ces lignes à bord du vol Easy Jet numéro ezy4273 en direction de Naples. J'ai réussi à dépasser ma frousse car la durée de ce voyage est inférieure à 2 heures. Néanmoins, mon mal être est toujours présent. L'Atarax fait son petit effet, mais ce n'est pas suffisant. L'alcool acheté au jeune Stewart bronzé me fait aussi un certain effet, mais ce n'est encore pas suffisant. L angoisse qui reste, il va falloir faire avec et attendre l'atterrissage prévu dans une interminable heure et 45 longues minutes.
Chaque phobique réagit à des stresseurs différents (bruits suspects ou mouvements anormaux de l appareil, turbulences, virages, ralentissements, vision du sol par le hublot, ailes tremblotantes, etc.) et chaque phobique se sert de différentes informations réduisant l'impact de ces stresseurs. Par exemple, nous avons décollé il y a 15 minutes et le personnel d'équipage commence déjà à crapahuter dans l'allée centrale : c'est un très bon signe pour moi dans la mesure où la plupart des crashs ont lieu au décollage ou à l'atterrissage.
Reste maintenant à gérer l'idée qu'une fois en l'air, j'ai n'ai aucun recours possible qui me permettrait de sortir vivant du crash. Au moindre mouvement inhabituel de l'avion, je ressens des picotements dans la poitrine associés à un danger imminent et à des pensées irrationnelles : un des réacteurs explose, l'aile droite branlante s'arrache, les lumières s'éteignent, tout le monde hurle, les masques à oxygène tombent et on amorce une descente aux enfers... C'est un scénario assez classique, mais on peut tout aussi bien imaginer l'option du détournement de l'appareil par un terroriste.
Autour de moi, tout le monde a l'air tellement décontracté et innocent. J'entends rire des marmots, des gens reussissent à lire ou à discuter de sujets qui me semblent à cet instant hyper futiles, chacun manipule ses petites affaires... Mais merde ! On dirait que je suis le seul à être conscient des enjeux dramatiques de ce voyage !? J'aurais du prendre deux Atarax. Je me contente de reboire une fiole de vodka.
On amorce maintenant la descente. Je ressens physiquement la perte d'altitude si désagréable et je n'ai surtout pas oublié que la phase d'atterrissage, tout comme le décollage, présente aussi un haut risque de crash. Ce moment est un calvaire. On est au dessus de la mer, il y aura peut être une chance de s'en sortir si l'avion réussit à planer en douceur jusqu'à la surface de l'eau. En plus, mon gilet de sauvetage est sous mon siège, j'ai vérifié au départ.
Atterrissage réussit. Le pilote est un bon et confirme mes premières impressions : en entrant dans l'avion 2 heures plus tôt j'avais bien observé sa tête dans le cockpit. Il m'avait paru suffisamment âgé pour être expérimenté et suffisamment jeune pour ne pas encore développer quelques maladies cardio–vasculaires ou troubles de l'attention.
Je suis bien vivant. Reste encore le retour.