Les « salles de shoot » : vers une augmentation du nombre d’overdoses ?

Trainspotting

En début d’année, Matignon a annoncé l’expérimentation prochaine d’une « salle de shoot » à Paris, près de la gare du Nord. En réaction à cette annonce, un vote populaire a récemment était organisé dans une brasserie du quartier pour recueillir l’opinion des habitants. Sur 296 votants, seulement 16 auraient été favorables au projet (il faut préciser que ce vote avait été organisé par des opposants…).

Les principaux objectifs du projet sont d’une part de permettre aux personnes toxicomanes précarisées la consommation de drogues dans de bonnes conditions d’hygiène, et d’autre part, d’améliorer la sécurité communautaire. Mais l’impact d’une telle mesure sur la réinsertion et la guérison des personnes toxicomanes est encore flou (voir la dernière expertise de l’INSERM à ce sujet en 2010 et le rapport de l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, datant de 2004).

Il existe pourtant une théorie1 qui pourrait nous aider à réfléchir à la question de l’impact d’une « salle de shoot » sur les effets de la drogue. Cette théorie, plutôt confidentielle, nécessite le rappel de quelques définitions pour être bien comprise :

- La tolérance est le processus qui implique une capacité plus grande à supporter les effets de la drogue, entraînant le besoin d’augmenter la dose pour obtenir les mêmes effets obtenus lors des premières prises.

- L’overdose (ou surdose) est la quantité de drogue entraînant la mort de la personne. Ce terme est inapproprié, dans la mesure où les consommations provoquant l’overdose ne sont habituellement pas excessives. À l’heure actuelle, les overdoses sont très peu prédictibles.

- Le conditionnement répondant est le processus par lequel un organisme va associer un comportement réflexe (c’est-à-dire inné) à un élément neutre de son environnement. Par exemple, si l’on projette un jet d'air sur votre visage, vous aurez le réflexe de cligner des yeux (c’est un comportement inné participant à la survie). Si maintenant, à plusieurs reprises, ce jet d’air est précédé d’un son de cloche, vous finirez par cligner des yeux au seul son de cloche, sans que l’on ai besoin de vous projeter de l’air au visage. La mise en place de ce conditionnement a une valeur adaptative et permet de favoriser notre survie.

Mais il existe un cas particulier de ce conditionnement. Ainsi, si l’on vous injecte de l’épinéphrine dans le sang, votre rythme cardiaque va s’accélérer. Si maintenant, cette injection est précédée plusieurs fois d’un son de cloche, votre rythme cardiaque finira par diminuer au seul son de cloche, sans que l’on ai besoin de vous injecter le produit. Le son de cloche a donc un effet opposé a celui que provoque l’injection d’épinéphrine, toujours dans cet objectif de favoriser votre survie.

À partir de ces définitions, on comprend mieux le mécanisme de tolérance observé chez les personnes toxicomanes : la diminution des effets néfastes de la drogue sur l’organisme est causée par les stimuli présents dans les environnements stables. Cette régulation physiologique oblige donc la personne toxicomane à augmenter les doses pour obtenir les effets obtenus lors des premières prises. Cette théorie permet également de comprendre pourquoi une dose qui n’est pas excessive peut entraîner une overdose, celle-ci étant due à un changement d’environnement dans lequel la réponse de tolérance n’aurait plus lieu. L'effet de tolérance peut alors être éteint en changeant d’environnement à chaque prise de drogue ou bien en cessant les prises dans un même environnement.

Une telle donnée questionne quant à la pertinence des « salles de shoot » pour la survie des personnes toxicomanes : si ces personnes se mettent à consommer régulièrement dans les « salles de shoot », que se passera-t-il le jour où elles se feront une injection en dehors de ces lieux ?

 

1. Pour en savoir plus sur ce modèle théorique de l’overdose :

Siegel, S., Hinson, R.E., Krank, M.D. and McCully, J. (1982). Heroin "overdose" death: contribution of drug-associated environmental cues. Science, 216, 436-437.