Le magazine Slate a titré un article « Pas de génie sans un grain de folie » (phrase tirée de La Poétique d’Aristote). Il est vrai que la créativité est souvent associée aux troubles mentaux, lien illustré notamment dans les biographies d’artistes illustres : Honoré de Balzac et Virginia Woolf ont probablement présenté une psychose maniaco-dépressive (maladie nommée aujourd’hui trouble bipolaire), John Nash, génie mathématicien était atteint de schizophrénie, Paul Verlaine était alcoolique, Antonin Artaud souffrait d’hallucinations, Vincent Van Gogh aurait souffert d’accès psychotiques, etc. La folie fascine, d’autant plus qu’elle est une composante du génie créatif. Mais la créativité est aussi une composante essentielle du développement de nos civilisations. Petit tour d’horizon sur le sujet…
Ce n’est qu’à partir des années 1950 que l’étude de la créativité en psychologie va connaître un véritable essor. La plupart des chercheurs admettent une définition consensuelle du concept : la créativité est la capacité à réaliser une production qui est à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste. Parmi leurs nombreuses interrogations, les chercheurs se sont notamment penchés sur la relation pouvant exister entre la créativité et les troubles mentaux. Ainsi, dans le domaine spécifique de la créativité artistique, les données sont convergentes : les individus créatifs dans le domaine des arts sont particulièrement vulnérables aux troubles psychologiques. Ils présentent, entre autres, des taux élevés d’alcoolisme, de dépression, d’abus de drogues, d’états maniaques, d’anxiété, ou encore de troubles psychotiques. De manière plus précise, les taux de troubles mentaux seraient plus importants chez les écrivains, par rapport aux artistes dont les productions sont plus visuelles.
Mais la créativité ne s'exprime pas seulement dans le domaine de l'art. On la retrouve également dans d’autres champs aussi variés que la science, l'industrie, la politique, etc... Et lorsque l’on s’intéresse à ces autres domaines, on s’aperçoit que les données sur la créativité et les troubles mentaux sont beaucoup moins consensuelles : la créativité serait autant reliée à des mesures de psychopathologie qu’à des mesures de bien-être psychologique. Pour expliquer ces résultats contradictoires, des chercheurs font l’hypothèse que certains facteurs de créativité, comme la connaissance ou les émotions sont aussi des facteurs de vulnérabilité, sur lesquels interviendraient des facteurs environnementaux. Les troubles mentaux apparaîtraient lorsque ces facteurs de vulnérabilité en excès déborderaient le sujet, la perte de contrôle augmentant sous l’effet de facteurs environnementaux stressants. Par contre, un environnement stabilisant permettrait de canaliser les facteurs de créativité et d’élaborer une production créative. Associée aux facteurs génétiques, cette hypothèse peut ainsi expliquer la présence dans une même famille d’individus malades et hautement créatifs.
La créativité n’est donc pas uniquement associée à la maladie mentale. Les comportements créatifs représenteraient en effet une réponse alternative pour aider l’individu à faire face aux agressions extérieures. La créativité, en étant reliée à certaines caractéristiques personnelles comme la flexibilité, l'ouverture, l'autonomie, le sens de l'humour et l'enthousiasme, favoriserait ainsi la résistance aux psychopathologies.
D’un point de vue évolutionniste, la créativité peut être considérée comme un outil de survie, nécessaire à notre existence sur terre. Par exemple, l’homme préhistorique a inventé vêtements, abris, outils et armes pour subvenir à ses besoins vitaux. Sans cette capacité à inventer et à modifier la nature, l’espèce humaine n’aurait pas survécu. De même, si une culture devait être planifiée selon des règles d’uniformité trop strictes, elle pourrait entraver l’évolution : si tous les hommes se ressemblaient, ils auraient moins de chances de découvrir ou de mettre au point de nouvelles idées. Une culture qui rendrait tout le monde pareil risquerait de sombrer dans une structure uniforme dont elle ne parviendrait plus à sortir. L’évolution culturelle peut alors être pensée dans des termes analogues à l’évolution biologiques : la variété est l’une des meilleures assurance de survie. À partir d’un tel constat, on pourrait donc se demander si la folie ne permettrait pas de contribuer, dans une certaine mesure, à notre faculté d’adpatation…