Il souffle indéniablement un vent de fraîcheur sur Cuba. Dans les cuisines comme ailleurs. De nouveaux restaurants ne cessent de s’ouvrir dans la capitale, ainsi que dans les spots les plus touristiques de l’île. A La Havane, une génération de jeunes chefs propose une cuisine dégagée des seules traditions locales avec l’envie de recoller au peloton des nations où il fait bon manger. Tour d’horizon !
C’était il y a cinq ans, une éternité déjà quand on mesure l’immensité des progrès accomplis. A La Havane, à l’heure du déjeuner ou du dîner, il n’était pas évident de trouver une table intéressante. Difficile alors de sortir des inévitables et tutélaires haricots noirs servis avec un riz blanc, compliqué de se régaler d’un poisson grillé à point, perplexité devant l’absence quasi totale d’assaisonnements judicieux, soupirs face à l’impossibilité de trouver une viande juteuse ayant connu le temps de repos nécessaire. Et que dire des langoustes cuites jusqu’à l’irraisonnable, baignant dans des sauces indigentes…
C’était il y a cinq ans, une éternité. Je ne parle pas de la zone de Varadero, où la bulle touristique étanche (les cubains n’y avait pas accès à l’époque) produisait et produit toujours une cuisine internationale qui ne dérange et ne réjouit personne.
A La Havane, il n’y avait réellement qu’un endroit où l’on pouvait approcher l’idée d’une cuisine correctement exécutée, “La Guarida”, un de ces restaurants privés, les “Paladar”, dont Fidel Castro avait autorisé la création dans les années 90. Tous les peoples de la planète sont passés ici, y compris la reine Sofia d’Espagne en 1999. Il est vrai que le lieu est absolument magique, le restaurant a été créé dans l’appartement où le cultissime film “Fresa y chocolate” a été tourné en 1992 (sortie en 93). Il y a quinze jours, à l’occasion du 18ème festival du film français, la “Guarida” accueillait les réalisateurs Costa-Gavras, Laurent Cantet et l’ancienne ministre Frédérique Bredin, présidente du Centre National du Cinéma (CNC). Bref, c’est toujours le restaurant de référence de la vieille Havane. On y déguste de jolies lasagnes de papayes, très justement relevées d’ail et d’oignon, les textures sont parfaites. Le tartare de thon est nickel, tout comme les croquettes de malanga croustillantes et dorées à souhait, le gazpacho de melon accompagné de fraises et de crevette est également très réussi, même si les fraises et les crevettes sont trop rares dans l’assiette. En revanche le cernier, magnifique poisson proche du mérou, était malheureusement un peu trop cuit. Ce qui n’était pas le cas du filet de bœuf, juteux et saignant mais desservi par trois sauces beaucoup trop salées, dont une hérétique association de chocolat et de fromage bleu parfaitement immangeable. Le dessert “fraise et chocolat” – inévitable - est excellent.
De belles choses, de l’élégance dans les présentations, ce qui est encore rare dans les restaurants de l’île, mais aussi des imprécisions et quelques fautes de goût très voyantes n’empêcheront pas la “Guarida” de rester le lieu incontournable de la capitale.
Pourtant, il y a du mouvement dans les rues de la belle endormie. Justo, un des chefs emblématiques de Cuba, qui a fait ses classes au Ritz à Paris, organisateur des grands dîners d’Etat, également à la tête d’un restaurant sur la presqu’ile de Valadero, a ouvert récemment avec un associé, Ivan, un superbe établissement à quelques pas du musée de la Révolution, dans le cœur historique de la ville. L’endroit s’appelle tout simplement “Ivan y Justo” et c’est à mon sens la meilleure table de La Havane. Cuissons, assaisonnements, présentation, tout est juste. Magnifiques calamars farcis, splendide paella, tacos élégants sont franchement épatants. Les produits sont frais, les plats maîtrisés, sans être d’une inventivité hors de propos. Une magnifique adresse.
Et d’autres surprises nous attendent encore, comme le “El Espacios” un restaurant du quartier de Miramar, où l’on dîne de préférence sous les manguiers du jardin. Les cochons de lait tournent sur la broche, des tapas croustillantes de bananes plantins frites et condimentées de pesto, accompagnées de céviché font une mise en bouche idéale. Le chef, Henrique Suarez, est un ingénieur, reconverti en autodidacte dans la restauration. Vrai passionné, il fera cet été des stages dans des brigades en Espagne et en France. Il incarne parfaitement cette jeune génération avide d’expériences, soucieuse de progresser, de rejoindre les rangs d’une gastronomie mondiale qui les fascine, de Atala, le brésilien à Redzepi le danois.
Henrique se fournit en produit bio : « Un maraicher livre aujourd’hui six restaurants de La Havane avec ses légumes mais aussi avec des volailles et du porc, bio également.” C’est effectivement un point essentiel, pour qu’une belle cuisine se développe, il faut qu’une filière de qualité se constitue autour d’elle. C’est désormais le cas dans la région de La Havane, où tous les marchés sont exclusivement livrés par des producteurs bio. Là aussi, en l’espace de cinq années, les étals ont changé du tout au tout. On y trouve pêle-mêle des carottes, des poireaux, du céleri, des tomates, des aubergines, des poivrons, des betteraves, des pommes de terre, des patates douces, du manioc, des radis, des courges, du potiron, des oignons doux, de l’échalotes, des cives, de l’ail, des piments, du persil, du basilic, de la coriandre, du curcuma frais, du gingembre, et des fruits renversants : mangues, avocats, ananas, fraises, bananes, papayes, citrons verts, pamplemousses, oranges amers… de quoi vraiment cuisiner !
Dans les rues de la vieille Havane s’ouvre tous les mois de nouveaux emplacements. D’ici la fin mai, Ivan et justo auront inauguré leur nouvelle adresse, un restaurant spécialisé dans la cuisson au charbon où viandes et poissons seront rôties sur la braise.
Parmi ces nouveautés, citons aussi le “café de los artistas”, belle salle restaurée dans un des plus beaux environnements de la vieille Havane. Le patron est aussi le régisseur des balais classiques cubain. L’endroit est agréable, très ouvert sur la petite rue piétonne, il n’est pas rare que quelques tables y soient d’ailleurs dressées le soir, pour mieux sentir la douceur de la brise de mer. La cuisine est simple, tartare, céviché, viandes grillées, tacos, crevettes à la plancha, elle n’est pas de haut niveau mais elle est directe et sincère. Si le service était plus rapide, on pourrait franchement y passer d’excellents moments, pour peu que l’on ne soit pas dans l’idée de faire un repas gastronomique inoubliable. “El cocinero” est également très fréquentable, aisément repérable par son immense cheminée de brique. Le lieu est une ancienne usine très joliment restaurée dans un style post industriel. Si le restaurant est un peu cher, la terrasse propose une cuisine de plein air très attractive, avec notamment des assiettes de crevettes de rivière à la plancha, les fameux “z’habitant” des nos îles antillaises, des côtelettes de porc au grill, des tataki de thon, des chorizos à la parilla… Un lieu branché, très emblématique de la nouvelle Havane.
Dans les campagnes aussi, il est possible de découvrir de vrai perle, comme le “Paladar Ranchon, del matancero y clarita”. Nous sommes dans un hameau de la vallée de Vinales au pied de la chaine des Mogotes, ces très curieuses montagnes en pain de sucre, coiffées d’arbres, qui ressemblent étonnamment aux montagnes flottantes du film Avatar. Là, dans les maison du villages, en contrebas du belvédère qui offre une vue sidérante sur les Mogotes, les habitants ont commencé à faire une cuisine fort simple pour détourner un peu du flot touristique qui vient jouir du panorama. On y dévore des cochons de lait rôtis, des langoustes à la cubaine, cuites dans un peu de tomate, de vin blanc sec, de l’ail quelques piments doux et de l’origan. On a le sentiment réel de manger chez l’habitant, les poulets courent entre les chaises, de l’autre côté de la barrière, cochon et canard se baladent en liberté. Tout est simple et natif comme un bonheur retrouvé.
Adresses :
La Guarida – concordia N°418/Gervasio y escobar – Centro Habana – Tel : 866 90 47.
Yvan Y Justo – Aguacate 9, esquina a chacon – Tél : 537 863 9697.
El cocinero – calle 24, entre calle 11 et 13 – Vadedo – La Habana.
El espacios – Calle 10 N°513 – 7 ma, playa- Miramar - La Habana.
Cafe de los artistas – calle Aguilar N°22, entre calle Pena Pobre et avenida de los Misiones – Centro La Habana.