Une intelligence parfaite avec son environnement, c’est sans doute le lien essentiel de la cuisine proposée au Café Bras, à Rodez, dans l’enceinte du musée Soulages, avec celle développée depuis des décennies à Laguiole au restaurant triplement étoilé de Michel et Sébastien Bras, comme un prolongement de l’esprit de famille.
Il y a cette phrase de Pierre Soulages qui a guidé les réflexions de Michel Bras pendant la création du Café Bras : “plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte”. Elle fonctionne comme une clé pour comprendre le cheminement d’un lieu vers son identité.
Quand le musée dédié au peintre aveyronnais est sorti de terre, il a d’emblée été question d’y associer un restaurant. Michel et Sébastien Bras se sont mis sur les rangs des candidats. Le cahier des charges demandait que ce lieu de restauration soit ouvert pendant les horaires du musée, qu’il puisse dans cette amplitude offrir une halte pour combler de petits ou de grands appétits. L’endroit ne pouvait pas être un lieu unique, mais au contraire un lieu multiple, avec le risque de voir se diluer une cohérence.
Il fallait donc trouver les idées communes à ces différents espaces, capables d’accueillir des familles à l’heure de l’en-cas du matin ou du goûter, des touristes soucieux de déjeuner sur le pouce afin de ne pas gaspiller un temps compté, et bien sûr les amoureux d’une cuisine plus élaborée.
On ne se réinvente pas, on se déploie… Le bon sens, celui d’une fidélité à ses principes fondateurs, est celui que Michel Bras a emprunté pour avancer dans l’invention du nouveau lieu. Seront donc mis en scène des produits emblématiques de cette région de montagnes, de causses et de plaines déjà méridionales - si l’on veut bien suivre la route du Nord au Sud - des produits simples et purs. Corolaire : les producteurs proches de la famille Bras seront là, avec leurs charcuteries, leurs agneaux allaitons, leurs fouaces, leurs légumes… Le style, enfin, restera le fruit d’une contemplation inépuisée des paysages, des lumières de l’Aveyron, de l’attachement indéfectible à l’âme d’un pays.
Et pour mettre en œuvre ces principes, la confiance donnée à un cuisinier venu du sérail, Christophe Chaillou, qui a longtemps travaillé aux côtés de Michel et Sébastien Bras au “Suquet,” le vaisseau amiral trois fois étoilé de Laguiole.
Restait l’espace. Comment le dessiner pour mieux l’habiter ? Il sera le prolongement du musée, Michel Bras faisant le choix de confier à l’agence d’architecture CRC, qui a conçu le projet muséal, l’aménagement des lieux de restauration. Même utilsation des matériaux bruts : acier Corten aux teintes de brou de noix cher au peintre Soulages, bois découpé en larges lattes, lumière tamisée par une mantille de tôle percée de mille et mille ouvertures, pixélisant le paysage ruthénois.
C’est dans cet environnement que Christophe Chaillou délivre des bijoux de plaisirs gourmands. Reprenons le fil de la journée… A l’heure de l’en-cas, côté comptoir, on se régale d’une fouace de la maison Roux de Laguiole (2 ,50€). Une fouace parfumée de fleur d’oranger et servie légèrement “perdue”, comme l’indique la carte. La pascade, sorte de crêpe un peu épaisse, se pare d’œufs brouillés, de choux et de fritons de porc (8,30€), ou encore d’épinards et d’une râpée de vieux Rodez (5 €). Pour les appétits sérieux, quand approchent les onze heures, les tripoux et les trenels (petits paquets de tripes d’agneau) sont de sortie, comme naguère dans les cafés des villages avant que ne sonne l’heure de la messe. Les œufs aussi, dans une inspiration venue d’une recette familiale héritée de “Mémé Bras”, farcis et accompagnés d’un lit d’oignons mouillés au vin de Marcillac, comme une meurette aveyronnaise…
Plus tard, vers midi, Sébastien Bras a imaginé le MiWan, une gaufre de céréales bio, à la croûte ondulée pour être plus croustillante, où se glissent fromage de chèvre, céleri, oignons, figues confites, gingembre pour une version “veggie” (8,80€), où convolent maquereau, endives, pommes de terre et noix dans un étonnant mariage terre/mer (9,30€) ou encore un confit de canard effiloché, fouetté de chou vinaigré et d’un condiment moutarde (8,80€)… Dans l’après-midi, toujours du côté comptoir, le bourriol, mélange de seigle, de froment et de pommes de terre mouillé de petit-lait, qui dans les fermes remplaçait jadis le pain, se trouve garni d’ananas, d’un crémeux au caramel et de meringues (4,50€), ou d’une mousse au chocolat, glace olive, touche d’olive (5,50€)… Les gâteaux ne sont pas oubliés : cake carottes et noisette, pain au fruits mi confits, pommes d’automne en gelée délicate…
Enfin, au déjeuner, le restaurant propose un menu unique à 31€. Tout commence par une entrée, chaude ou froide, mise en place au retour du marché, où Christophe Chaillou et son second Thomas Degelaen vont chaque matin dès six heures. Le jour de notre visite une mousse de morue, légère et fraîche en bouche, voisinait avec des pétales de betterave et des pois chiches assaisonnés d’une vinaigrette confectionnée d’un vinaigre de bière maison. “Au café, nous servons de la bière pression, indique Christophe Chaillou. Avant d’amorcer correctement le système, quelques verres de liquide sont perdus. Michel a toujours le souci de ne laisser partir au rebus que la matière qui ne trouve aucune utilisation. Avec cette bière perdue, il a pensé faire ce vinaigre.” Un réflexe venu de ce pays de montagne qu’est l’Aubrac, où longtemps une économie de subsistance et d’autarcie a ordonné la vie paysanne.
Trois plats sont ensuite proposés au choix : « Nous donnons la priorité à des produits humbles, pour rester dans les prix du menu, par exemple nous ne servons pas de bar, ni de turbot, mais un magnifique merlu de ligne, ou du maquereau, du grondin. Les légumes, comme toujours, ont une grande place dans cette cuisine, souligne Christophe Chaillou.”
Il y a un an, quand le Café Bras a ouvert, Michel était tous les jours présent en cuisine : “Et puis un jour il n’est pas venu, et ses visites ont commencé à s’espacer, la transition s’est faite naturellement, explique Christophe.” Depuis, le jeune chef préside au destin quotidien du lieu avec une grande adresse, fort justement récompensée d’un “Bib gourmand” par le guide Michelin. Ses assiettes sont élégantes, personnelles, fortes de l’identité souhaitée par Michel Bras, mais assumées avec spontanéité et caractère. Le merlu de ligne, idéalement cuit, est présenté avec un jus acidulé corsé du parfum noir des graines de sarrasin et des saveurs sombres du safran récolté non loin de Rodez. Un plat magnifique de rigueur et de profondeur. Les ris d’agneaux, croustillants et moelleux, sont associés à un jeu de saveurs : sucré d’un jus de pommes mousseux parfumé de romarin, amertume d’une endive de pleine terre braisée. Là encore une très belle assiette, peu commune dans sa palette aromatique et gustative.
Les desserts gardent le même esprit, de simplicité et d’inventivité, délicieuse panna cotta embaumée d'un coulis d'ananas victoria, ou cette tarte au chocolat, juste prise et sa crème anglaise vanillée. Aucune sophistication mais une expression forte et 100 % excitante…
L’adresse : Café Bras (Musée Soulages) – Jardin du Foirail – 12000 Rodez - http://www.cafebras.fr/
Le Café Bras est ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 19 h. Le restaurant est ouvert pour le déjeuner (réservation conseillée) de 12 h à 14 h 30.