Le fait maison, c’était mieux avant… avant la loi, bien sûr. C’est l’avis de Jean-Paul Branlard, chargé d’enseignement de droit alimentaire à Paris IV et chroniqueur gastronomique. “Tarte maison” et arrêt de la cour d’appel de Paris à l’appui, il souligne, dans son livre “La table et le droit”, les imperfections du nouveau texte qui, à ses yeux, induit une régression au regard de l’ancien corpus juridique !
Ah, les petits bonheurs d’une simple tarte aux pommes maison, croustillances beurrées de la pâte, parfum limpide et frais du fruit autorisé, évidence d’enfance, plaisir sans péché.
Attention, derrière la belle et naïve image d’Epinal, bien des turpitudes peuvent se cacher : le péché n’est jamais bien loin de la pomme, Jean-Paul Branlard nous le rappelle.
Pour commencer, qu’est-ce qu’une tarte maison interroge-t-il ? Afin de répondre avec la plus grande précision à cette question, ainsi qu’à cinquante autres qu’il nous dévoile dans son dernier livre “La table et le droit”, ce juriste et gastronome scrute les textes de loi. Alors, qu’est-ce donc qu’une tarte maison, et par la même occasion que veut bien dire cette expression : fait maison ?
Maison n’est pas raison…
Connaissiez-vous l’arrêt du 5 février 2001, de la cour d’appel de Paris, 13éme chambre, section A (comme alimentaire peut-être ?) ? Non, bien sûr. L’histoire est la suivante : une restauratrice parisienne se prévalait, sur sa carte, d’une tarte maison. Suite à une inspection de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, il apparaissait que la pâte feuilletée venait du “Monoprix” voisin, ce que ne contestait d’ailleurs nullement la restauratrice, tout le reste, assurait-elle, la crème, le montage, la cuisson, le nappage était bien réalisé dans son établissement et par ses soins.
La tarte était-elle maison si la pâte ne l’était pas ? Question tranchée le 5 février 2001 : “Les juges parisiens, souligne Jean-Paul Branlard, en parfaits gastronomes, relèvent que la pâte étant un élément essentiel de la tarte - qui lui confère sa particularité et son goût spécifique - il n’est pas possible de donner le qualificatif de maison à une tarte fabriquée avec une pâte industrielle achetée à l’extérieur.” Et notre juriste gastronome d’ajouter ce commentaire précieux : « L’avocat de la restauratrice plaidait qu’il fallait sous-entendre dans la dénomination fait maison le terme fait “comme à la maison”, or de nos jours la maîtresse de maison pressée achète sa pâte toute prête… Les juges n’ont pas prêté l’oreille à ce sous-entendu, et leur décision s’oppose à un nivellement par le bas de nos traditions culinaires.”
Maison n’est pas précision…
Mais ça c’était avant… Avant 2014 et la nouvelle loi sur le fait maison. Désormais un plat peut être fait maison s’il comporte des produits bruts ayant subi une transformation de leur état, transformation nécessaire à leur utilisation. C’est bien le cas des pâtes industrielles. Donc, aujourd’hui, une tarte maison peut être réalisée avec un fond industriel. Régression s’étouffe Jean-Paul Branlard, un morceau de tarte coincé dans la gorge.
Suite à l’introduction de la loi dans le code de la consommation, les parlementaires ont déposé de multiples amendements dont l’objet est de compléter cette notion du fait maison. “Comme souvent, insiste-t-il, quand il y a du “grain à moudre”, le monde politique s’est engouffré dans la brèche. Devant pareil fatras, le juriste gastronome n’a rien à dire. Seulement prendre acte et prendre peur.” Prendre peur ? Mais de quoi exactement ? “Le fait maison a besoin d’être précisé, tranche Jean-Paul Branlard, ce sera le rôle d’une règlementation à venir. Au décret de définir juridiquement le fait maison. Mais en cette matière comme en bien d’autres, la France n’avait pas un problème de loi, mais un problème d’application de la loi. Par ailleurs, qui peut croire que les directions départementales seront en état de procéder à tous les contrôles nouveaux instaurés par ce dispositif, tant leurs moyens sont aujourd’hui limités.” C’est tarte, non ?
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