La petite tuerie du dernier dimanche de l’année: le bouillon de légumes des cinq vertus

Les légumes du potager, pour un bouillon des cinq vertus.

Le réveillon de Noël ne nous a pas fait de cadeaux ! Soyons honnêtes, s’il nous restait un dernier vœu à formuler en cette fin d’année, ne serait-ce pas de retrouver un système hépatique intact ? Vierge comme au premier jour ? Il reste une solution pour attaquer 2014 le foie vaillant et conquérant : le bouillon de légumes des cinq vertus…
Ne tordez pas le nez, rappelez-vous qu’Alexandre Dumas dans son “Grand dictionnaire de cuisine” énonçait à raison “Qu’il n’y a pas de bonne cuisine sans bon bouillon”. Le bouillon, c’est la soupe primitive ! Si je puis dire… C’est de-là que tout procède, ou presque. Et si le grand Alexandre y voyait l’origine de la suprématie de la cuisine française sur toutes les autres, il ajouterait aujourd’hui une exception japonaise, avec le dashi, ce bouillon clair d’algues kombu et de copeaux de bonite séchée, simplissime et opérant comme un mythe fondateur sur une gastronomie.
Le bouillon est un cas limite. Est-ce toujours de la cuisine ? N’entre-t’on pas déjà dans une sorte de pharmacopée ? La recette tient de la posologie phytothérapique : des légumes, des légumes, des légumes et quelques plantes… D’ailleurs, on le sert à la table des meilleurs hôpitaux. Le bouillon est une spécialité médicale à lui tout seul, et l’inventeur du minestrone, s’il y en eût un, aurait dû recevoir le Nobel de médecine.
Pourtant les vertus de notre “bouillon des cinq vertus” n’appartiennent pas uniquement à celles mises en avant par la Faculté. Elles demeurent, cependant, indispensables à sa confection. Alors, quelles sont-elles, me direz-vous ?
La première est bien évidemment un sens certain de l’économie. Difficile en effet de trouver recette moins onéreuse. Comme la seule chose qui n’a pas grossi pendant cette période de fêtes est notre porte-monnaie, ce bouillon lui permettra également de se refaire une santé.
La deuxième est la persévérance. Pour bénéficier de façon optimum des bienfaits de notre entrée, il est indispensable de procéder à une découpe rigoureuse de tous les légumes. Chaque carotte, chaque poireau, chaque panais devront être finement émincés, les rondelles de poireaux seront épaisses de quelques millimètres, puis recoupées en deux par leur diamètre afin de constituer une sorte de vermicelle. Pour les légumes racines, il conviendra de les couper en deux dans le sens de la longueur, puis en quatre, et ensuite de débiter nos quatre parts en tronçons de cinq millimètres de long et d’une épaisseur égale ou plus fine encore. Il s’agit de réaliser une micro mirepoix. Cela prend du temps, indéniablement. Persévérez, la rédemption hépatique est à ce prix. “Ad augusta per angusta”, n’oubliez pas… Le but de cet effort est double : plus les légumes seront coupés finement et plus ils libéreront leurs saveurs, et plus la cuisson sera rapide, préservant ainsi tous leurs qualités.
La troisième vertu est la patience. Il en faudra tout au long de la préparation, comme pendant la cuisson, qui pourtant ne dépassera pas le quart d’heure. En fait, il s’agira surtout de maîtriser l’impatience, car dès que vous aurez sous les yeux l’ensemble des légumes nécessaires, qu’ils s’exposeront sous vos yeux légèrement jaunis par l’excès lipidique, tout votre corps réclamera son bol de jouvence.
Quatrième vertu : le courage ! Il se manifestera au moment de boire le bouillon. Non pas que le goût en soit terrifiant, tout au contraire, nous allons le voir de ce pas, mais tout simplement pour la bonne raison qu’il est recommandé de l’ingérer à la plus haute température supportable. Il agit alors comme une sorte de hammam… Votre température intérieure s’élève et le processus de sudation se déclenche. Vous commencez à éliminer ! Vous êtes sur la voie de la résurrection hépatique !
Notre cinquième vertu sera la gourmandise. Ah, oui, je sais, tout le monde ne sera pas d’accord. Je suis prêt à adresser une pétition au Vatican afin que la gourmandise soit retirée de la lite des dix péchés capitaux, et je m’associe pleinement à la supplique qu’avait adressé, dans ce sens, Lionel Poilâne au Pape Jean-Paul II. Comment justifier, que ce bouillon si vertueux, j’espère vous en avoir convaincus, puisse dans le même temps être source de perdition. Soyez logique, très Saint Père !
A chacune de ces vertus spirituelles seront associées des vertus médicinales. Pour parfumer ce bouillon et le faire accéder au rang de “Petite tuerie du dimanche”, nous lui associons quatre ingrédients qui ont aussi une action sur nos capacités digestives : les graines de fenouil, le romarin, la badiane et le gingembre. Le dernier ingrédient, le poivre de Sichuan vert, n’est là que pour le plaisir. Sans doute est-ce là le seul écart à la rigueur gourmande de ce bouillon, une saveur gratuite, une variable d’ajustement gustative, ce sera sa seule… vertu !

La recette

Ingrédients pour deux personnes
Quatre carottes fanes
Un panais
Deux petits poireaux
Quatre navets fanes
Deux navets boule d’or
Dix centimètres d’une branche de cœur de céleri
Deux cuillères à café de graines de fenouil
Une branche de romarin frais de cinq centimètres
La valeur d’un pouce de gingembre frais
Cinq à huit grains de poivre de Sichuan vert (selon les goûts)
Deux étoiles de badiane
Sel

Réalisation
Découper les légumes en micro mirepoix, comme indiqué plus haut dans l’article. Les plonger dans un litre et demi d’eau que vous amenez à frémissement à feu vif. Une fois le frémissement atteint, ajouter tous les ingrédients de saveurs (gingembre pelé et coupé en quatre morceaux, grains de fenouil enfermés dans une gaze, idem pour les grains de poivre Sichuan, la branche de romarin et la badiane). Au bout d’une minute, retirez la branche de romarin, sans quoi elle diffusera trop de saveur. Laissez un petit frisson courir à la surface du liquide. Comptez un quart d’heure et servez.