"Le vrai scandale de la fifa, ce n'est pas la corruption, ce n'est pas le film United Passions; ce sont les conditions de travail des ouvriers au Qatar, qui construisent les stades". Les articles sur ce sujet se sont multipliés récemment, accompagnés d'infographies comme celle ci-dessus, et de chiffres chocs : 1200 ouvriers sont morts au Qatar pour construire les stades de la coupe du monde, nombre qui pourrait atteindre 4000 d'ici 2022 si la tendance se poursuit.
conditions de travail terribles
Il est évident que les ouvriers immigrés qui travaillent dans les pays du Golfe Persique vivent dans des conditions éprouvantes. Attirés par la promesse de salaires élevés, ils constatent sur place qu'on leur propose souvent le quart de ce qui était annoncé; leur salaire est versé tard et une grande partie est utilisée pour rembourser les frais de transport, à un taux d'intérêt confiscatoire. Ils sont victimes de mauvais traitements, et ne peuvent pas quitter leur employeur : celui-ci détient leur passeport et ils ne peuvent pas quitter le pays sans sa signature. Les ouvriers du bâtiment doivent travailler sous une chaleur accablante atteignant 50 degrés pendant d'interminables journées, sans boire ni manger suffisamment; ils sont entassés dans des baraquements rudimentaires; il n'est pas étonnant que de telles conditions conduisent nombre d'entre eux à être victimes d'accidents, voire de décès. Les journalistes qui cherchent à enquêter sur le sujet subissent dans le pays des pressions policières.
Mais combien? Le chiffre de 1200 morts depuis le début des travaux de la coupe du monde, repris régulièrement dans la presse, provient de la confédération syndicale internationale. Il n'y a pas de suivi des décès de migrants au Qatar, ils se sont donc référés aux décès enregistrés auprès des ambassades d'Inde et du Népal (d'où proviennent 60% des migrants travaillant au Qatar) pour obtenir ce résultat.
Chiffre invérifiable
Hélas, ce chiffre choc ne prouve pas grand chose, comme l'a constaté la BBC. Premièrement, il y a d'autres nationalités qui travaillent dans le pays (en particulier en provenance du Bangla Desh) ce qui veut dire que le vrai nombre de décès de migrants dans le pays pourrait être plus élevé.
Mais il est surtout très exagéré de lier ce nombre de décès total à la préparation de la coupe du monde au Qatar. Car rappelons-le : il s'agit de l'ensemble des décès de migrants indiens et népalais depuis le début du chantier de la coupe du monde. Or :
- tous les migrants ne travaillent pas dans le bâtiment; Il est absurde d'affecter à la coupe du monde le décès d'un employé de maison dans un accident domestique par exemple.
- Tous les migrants qui travaillent dans le bâtiment ne travaillent pas pour la coupe du monde. Certes, tous les chantiers sont subordonnés au planning de l’événement sportif; mais sans la coupe du monde, il est certain qu'on construirait beaucoup de gratte-ciels au Qatar de toute façon.
- Surtout, étant donné le nombre de migrants d'origine indienne ou népalaise qui résident au Qatar, Il est naturel qu'un certain nombre d'entre eux décèdent de mort naturelle, indépendamment de leurs conditions de travail. Pour savoir l'ampleur du problème, il faudrait observer une mortalité supérieure à la normale. Et ici, la "normale" est pour ces migrants la comparaison avec leur pays d'origine. Il y a environ 500 000 migrants indiens au Qatar; en Inde, en moyenne, sur 500 000 hommes d'âge compris entre 25 et 30 ans, on compte 1000 décès par an; la mortalité au Qatar (250 migrants indiens par an) est donc 4 fois plus faible que celle qui prévaut en Inde.
Dit autrement, un Indien exploité sur un chantier Qatari a 4 fois moins de chances de mourir que s'il était resté dans son pays.
Ne pas se tromper de combat
Les conditions de travail des migrants au Qatar sont indignes, et il est bon que les scandales de la fifa, et la future coupe du monde, mettent cela sous les projecteurs. Mais à trop vouloir sortir des chiffres chocs, on s'éloigne de la réalité. Comme dans le cas du Rana Plaza, le scandale peut être utile ou nuisible. Il est confortable de s'indigner contre les exploiteurs qataris; on pourrait rappeler que la seule perspective alternative offerte par l'Europe à ces migrants est la misère dans leur pays, ou la noyade en Méditerranée.