L'élection présidentielle américaine a lieu mardi. Peut-on prévoir dès maintenant qui va gagner? petit passage en revue de méthodes, plus ou moins scientifiques, de prévision de l'issue de l'élection.
Les modèles économétriques
L'idée de ce genre de modèle est d'identifier les facteurs qui déterminent les choix des électeurs en se basant sur les élections passées; puis d'appliquer ces facteurs à l'élection qui arrive. Cette méthode pose ce qu'on appelle en philosophie des sciences "le problème de l'induction" : si les choses se sont passées d'une certaine façon dans le passé (par exemple, si les électeurs ont toujours sanctionné dans les urnes un chômage élevé) quelle certitude peut-on avoir que leur réaction sera toujours la même?
Cette réserve posée, chacun sait que l'économie américaine ne se porte pas bien, ce qui tend à pénaliser le président ou le parti sortant, mais que la situation s'améliore un peu ces derniers temps, ce qui lui bénéficie. Au total, les modèles économétriques de prévision électorale sont, cette année, contradictoires. Une revue américaine a ainsi publié les résultats de 13 modèles différents; certains s'appuient sur des données économiques locales (ce qui est important dans une élection qui dépend de résultats Etat par Etat), d'autres sur les données nationales. Sur les 13 méthodes, 5 prévoient une victoire d'Obama; 5 une victoire de Romney; et trois considèrent que l'élection est tellement serrée que les modèles ne peuvent pas donner de prévision significative.
En France, le site Electionscope, dont le modèle s'appuie sur les résultats économiques et la popularité du président sortant, donne deux chances sur trois de victoire à Obama.
Les sondages
Durant l'élection américaine, les instituts de sondage sont pris d'une véritable frénésie; il ne se passe guère de jour sans sa volée de sondages. Les sondages sont toujours affligés de divers biais (par exemple, certains utilisent l'annuaire téléphonique pour interroger des électeurs, or ceux-ci, les jeunes en particulier, ont de plus en plus souvent uniquement un numéro de téléphone portable) et la correction de ces biais par les instituts de sondage n'est pas facile. Au niveau national, les sondages semblent indiquer une élection très serrée; tout dépend de quelques états très disputés, en particulier l'Ohio.
L'élection est-elle aussi serrée que cela? Pas vraiment, selon le statisticien Nate Silver, qui publie ses prévisions sur le site du New York Times, dans le blog five-thirty eight. Son modèle s'appuie sur tous les sondages en cours, et utilise des données démographiques pour compléter les données d'Etats lorsque l'on ne dispose pas de sondage récent. Par exemple, supposons qu'il y ait une forte corrélation entre le vote dans le Dakota du Nord et du Sud; dans ce cas, un sondage dans l'un des Etats permet d'imaginer (avec une marge d'erreur) ce qui se passe dans l'autre.
Le modèle de Nate Silver donne un très net avantage à Obama: plus de 80% de chances de succès. Cette prévision, qui contredit les commentateurs politiques qui prévoient une élection très serrée, a conduit nombre d'entre eux à critiquer le modèle et la méthodologie de Silver, le considérant comme partisan (pro-Obama), voire qualifiant ses techniques de "sorcellerie". La réalité brutale est que si aucune méthode statistique ne permet de prédire l'avenir avec certitude, les "experts" racontant des histoires à base de "mouvement" ou disséquant les petites phrases sont particulièrement peu performants. Philip Tetlock, à partir d'une évaluation sur deux décennies, a constaté que le "jugement politique des experts" est moins bon que des techniques statistiques, même rudimentaires.
La sagesse des foules
Plutôt que les experts ou les modèles, certaines techniques font appel à la "sagesse des foules" : il s'agit alors d'agréger les prévisions du plus de gens possibles en considérant qu'elles sont meilleures que celles d'un expert isolé. C'est ce que font par exemple les bookmakers, qui ajustent les cotes en fonction des paris effectués par leurs clients. Le site Oddschecker rassemble l'essentiel des cotes des sites de paris, qui donnent un avantage assez net à Obama.
Les marchés de prévision, comme Intrade ou le marché de l'Iowa, donnent eux aussi Obama gagnant, avec une probabilité d'environ 7 chances sur 10. On peut noter que ces marchés, sur lesquels la cote est déterminée par les achats et les ventes des parieurs, peuvent donner lieu à des manipulations. Un parieur fortuné pourrait décider "d'acheter" massivement son candidat, pour faire monter la cote et lui donner une aura de victoire. Il semble qu'une telle manipulation ait été tentée sur Intrade pour cette élection, sans succès : constatant que la cote était anormalement élevée, les parieurs l'ont rapidement ramenée à sa tendance.
Enfin, récemment, les économistes Justin Wolfers et David Rothshild ont constaté que demander par sondage aux électeurs leur prévision de vote (qui, selon eux, va être élu) est bien plus efficace pour prédire le résultat final que leur demander leur intention de vote. Et ces sondages donnent là encore, un très net avantage à Obama.