C'est entendu : personne n'aime la politique économique du gouvernement. Le président est moins populaire que l'armée Islamique en Irak. Le gouvernement passe son temps à prendre des engagements qui sont violés à peine l'encre sèche. Il faut changer de politique!
Ce mécontentement perpétuel se heurte pourtant à deux écueils. Premièrement, bien qu'en ruine perpétuelle, la France ne se sort pas si mal de la crise. Mais aussi et surtout, parce qu'il est beaucoup plus facile de déplorer dans le vague les politiques du moment que de proposer des alternatives réalisables, à l'efficacité plus certaine.
Imaginons que le gouvernement souhaite éviter la déroute en 2017 élever la croissance et réduire le chômage rapidement. Que devrait-il faire?
Les limites de la politique budgétaire
Croissance faible, chômage élevé; les recommandations des économistes, sont alors d'utiliser les instruments classiques, la politique monétaire ou la politique budgétaire, et à plus long terme des réformes structurelles. La question est alors de savoir à quelle échelle ces politiques sont pertinentes. La monnaie unique empêche de mener une politique monétaire à l'échelle française.
Mais les possibilités sont aussi très limitées pour la politique budgétaire. Et pas seulement en raison des traités européens, qui sont facilement contournables Supposons en effet que le gouvernement français décide de mener un vaste plan de relance en envoyant promener l'austérité germanique. Si cela est fait sans concertation avec les autres pays européens, plusieurs facteurs risqueraient d'en diminuer l'efficacité.
- Une réaction des marchés financiers, redoutant de voir le retour de la zizanie en Europe. Cela ferait augmenter le coût du financement de la dette publique au moment précis ou celle-ci augmente, limitant la capacité du gouvernement à recourir au déficit.
- Une réaction de la Banque Centrale européenne. Si celle-ci s'oppose à la politique budgétaire française, elle a des moyens très efficaces pour la torpiller, qu'elle a utilisés avec succès contre l'Irlande, l'Espagne et l'Italie.
- Si l'on en croit Christopher Sims, l'efficacité de la politique budgétaire dans un pays déjà très endetté est limitée par la réaction des ménages, qui redoutent que la dette publique accrue ne préfigure plus d'austérité à venir. Un très grand nombre de français craignent pour leur retraite à venir (probablement à juste titre); les dirigeants d'entreprises redoutent aussi une pression fiscale future plus élevée, et redouteraient l'incertitude générée par un conflit entre la France et les autres pays européens. L'ampleur exacte de ce phénomène est difficile à mesurer, mais cela viendrait limiter un peu plus l'efficacité de la relance.
- la réaction des autres pays européens : si ceux-ci continuent leurs politiques d'austérité et de réduction des salaires en même temps que la France relance sa demande interne, leur compétitivité accrue fera que la relance française leur bénéficiera plus qu'à l'économie française.
Le mythe des réformes structurelles
L'autre domaine dans lequel le gouvernement français pourrait agir, à en croire les conseilleurs, c'est par des "réformes structurelles" dont le contenu est bien flou. Et pour cause: Il n'y a pas de consensus parmi les économistes sur les réformes réellement efficaces, à l'exception de quelques généralités floues : améliorer le système éducatif, augmenter la concurrence sur les marchés, limiter l'inefficacité du système fiscal, flexibiliser le marché du travail.
Lorsqu'on entre dans le détail, néanmoins, plusieurs problèmes apparaissent. Premièrement, le coût de ces réformes, pour être efficaces, est élevé. Coût politique d'abord : les niches fiscales et les monopoles sont âprement défendus par leurs bénéficiaires. Mais un coût financier également: il faut bien souvent payer cher pour réformer. Face à ces coûts et la capacité d'influence des lobbys professionnels, les réformes initialement ambitieuses sont rapidement vidées de leur substance lorsqu'elles sont converties en lois. Et peuvent au bout du compte laisser la situation pire qu'avant.
De plus, souvent, ces réformes conduisent à échanger des coûts immédiats et certains contre des gains futurs hypothétiques. Et ces gains dépendent de la conjoncture future. Par exemple, flexibiliser le marché du travail aura pour effet d'augmenter les embauches si l'activité est forte; mais cela provoquera plus de licenciements si l'économie reste déprimée. De la même façon, cela serait peut-être appréciable pour les français d'acheter leur aspirine dans un supermarché ouvert le dimanche; mais le gain que cela générerait serait dérisoire, si tant est qu'il existe.
Enfin, les réformes structurelles nécessitent aussi un degré minimal de concertation en Europe. Les réformes allemandes du début des années 2000 ont indirectement causé la crise de la zone euro, en créant des déséquilibres majeurs avec les pays du Sud.
Coût potentiel élevé, avantages potentiels lointains et aléatoires; Pas étonnant que les reculs soient nombreux. Le rapport Armand-Rueff préconisait de réformer les professions réglementées en 1960; la reculade du gouvernement n'est ni la première ni la dernière.
Desserrer la contrainte européenne, ou faire le bon élève?
Si réellement la contrainte européenne est si forte, pourquoi ne pas la réduire? Une première stratégie pourrait être de menacer de quitter la zone euro pour obtenir des changements de politiques; voire carrément, de quitter celle-ci. Ce genre de choix pourrait apporter quelques avantages (mais assez limités - on ne peut pas dire que la politique économique française était menée de manière mirobolante avant la contrainte de l'euro, et les dirigeants français ne deviendraient pas magiquement meilleurs) ou un effondrement majeur. En tous les cas, cela ouvrirait une période de très forte incertitude. Ce genre de situation, même lorsqu'elle ne se passe pas trop mal au bout du compte, comme lors de la séparation tchécoslovaque, est très volatile et peut facilement basculer.
Il est très peu probable que les français aient envie de ce genre de saut dans l'inconnu; L'électeur moyen a plus de 50 ans, pas un âge ou l'on fait un saut dans l'inconnu. Même la Grèce, dans une situation bien pire, n'a pas fait le pas de sortir de l'euro ou de menacer d'en sortir. On voit mal la France le faire - et les perspectives dans ce cas seraient extrêmement aléatoires, avec beaucoup plus de possibilités négatives que positives.
Dès lors qu'on a rejeté la possibilité d'une sortie, reste la solution d'essayer d'orienter les politiques européennes dans le sens le plus favorable possible. Pour cela, le mieux est de faire le bon élève, laissant les coudées franches à la BCE. Son président a esquissé ce qui constitue une politique qui soutient l'activité, en coordination avec son action.
Peut mieux faire
Et c'est à cela que ressemble la politique du gouvernement. Vis à vis de l'extérieur, en faire juste assez pour espérer qu'en échange, les politiques européennes deviennent plus favorables à la croissance. Vis à vis de l'intérieur, ne pas en faire trop, pour éviter les mécontentements et d'avoir un effet négatif sur l'activité économique. Cela n'a rien de très enthousiasmant et ne satisfait vraiment personne : mais c'est la solution logique dès lors qu'on perçoit les contraintes que l'on rencontre. Et cela est fait parfois de manière adroite, comme lorsqu'on lie l'amélioration des finances publiques à l'évolution de l'inflation.
Mais trop souvent, l'action du gouvernement apparaît comme purement réactive et brouillonne. Il y aurait certainement possibilité de diminuer les dépenses publiques et les impôts d'un montant plus important. Cela soutiendrait l'activité et l'effet sur le déficit public serait acceptable, dans un contexte ou la dépense publique française est jugée (à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet) trop élevée par les autres dirigeants européens.
Au lieu d'aller clairement dans cette direction, on assiste plutôt à un bricolage improvisé dans lequel on accumule des décisions de dépenses et d'impôts au gré des circonstances, dans le flou le plus total. Bien malin qui sait s'il paiera, l'an prochain, plus ou moins d'impôts que l'an dernier, entre les fluctuations de la TVA, des taxes sur les carburants, et de l'impôt sur le revenu (entre autres). Tout cela amoindrit l'effet de ces mesures.
Mais il ne faut pas se leurrer : étant données les circonstances, le gouvernement n'a pas beaucoup d'opportunités pour faire mieux.