Ce n'est peut-être pas volontaire, mais les pistes annoncées aujourd'hui par Manuel Valls pour atteindre l'objectif de réduction de 50 milliards d'euros de dépenses publiques sont politiquement très astucieuses.
L'impact du gel du point d'indice et des minima sociaux
Geler les minima sociaux, les retraites et le point d'indice de la rémunération des fonctionnaires, en soi, ne réduit pas la dépense publique; cela va la maintenir au même montant; Si le nombre de retraités, de bénéficiaires des minimas sociaux, de fonctionnaires, augmente (et si ces derniers bénéficient d'un avancement) les dépenses vont même augmenter automatiquement. Cela ne peut contribuer à réduire le déficit public que sous une condition : il y a suffisamment d'inflation.
En effet, s'il y a de l'inflation, les prix et les revenus nominaux augmentent, ce qui augmentera mécaniquement les recettes de l'Etat; la hausse des prix augmente le montant des recettes de TVA, celle des revenus nominaux les recettes de l'impôt sur le revenu et les rentrées de cotisations sociales. Avec suffisamment d'inflation, les recettes vont donc augmenter plus vite que les dépenses, ce qui réduira les déficits.
C'est la première astuce politique de ce plan : faire passer une hausse de prélèvements pour une baisse des dépenses publiques. C'est un coup classique; Dans un contexte idéologique ou les hausses d'impôt sont perçues comme mauvaises, et les baisses de dépenses comme vertueuses, faire passer les premières pour les secondes est un excellent procédé pour bénéficier de commentaires élogieux.
La seconde astuce, c'est de reposer sur l'illusion monétaire. Les gens détestent les réductions de budgets, et en particulier, de leurs rémunérations. un revenu inchangé avec 1% d'inflation est bien plus facile à accepter qu'un revenu qui baisse de 1% avec inflation zéro. Les fonctionnaires le savent bien, qui ont vu le point d'indice rester inchangé depuis 2010 sans protester.
Le risque de déflation
Mais il y a encore mieux. Le problème actuel de la zone euro est actuellement la trop faible inflation qui y règne, et la répugnance de la BCE à agir contre celle-ci autrement que sous forme de discours annonçant que peut-être, éventuellement, elle pourra faire quelque chose. Ce blocage est explicable : la BCE ne veut, ni ne peut, relâcher la pression sur les gouvernements européens, craignant que ceux-ci ne cessent leurs efforts pour agir dans le sens qu'elle a décidé.
La BCE ne peut donc pas faire de politique plus expansionniste tant que les gouvernements européens ne font pas assez d'efforts à son goût pour réduire leurs déficits publics; et les efforts des gouvernements européens sont voués à l'échec tant que la BCE ne fait pas une politique suffisamment expansionniste. Ce jeu stupide peut durer longtemps.
Et c'est ici que réside la troisième astuce du plan annoncé par Manuel Valls : renvoyer la balle dans le camp de la BCE. Si l'inflation est faible au cours des prochaines années, le déficit public français ne sera que peu réduit, mais ce sera facile à justifier auprès de la commission européenne : c'est parce que la BCE n'a pas fait la bonne politique. Et si la BCE ramène l'inflation vers un niveau plus élevé, la réduction du déficit issue de ces mesures sera d'autant plus forte.
L'avantage de se lier les mains
Il est bien plus judicieux d'appréhender la crise de la zone euro sous l'angle du jeu stratégique entre la BCE et les gouvernements que sous la question plus étroite de la "bonne politique macroéconomique" à mener. Depuis des années, la BCE laisse la zone euro au bord de la crise pour pousser les gouvernements à agir dans le sens qui lui convient et qui est susceptible de permettre la survie de la zone euro. Dans ces conditions, il peut être avantageux de se lier les mains - de s'imposer des contraintes de comportement pour obliger l'autre à agir dans le sens qu'on souhaite. Si je suis manifestant et que je veux bloquer le passage du train, je suis plus crédible en m'enchaînant à la voie et en jetant la clé qu'en restant simplement sur celle-ci : je risque toujours d'être tenté de partir au dernier moment.
Avec son plan, le gouvernement français a peut-être réussi à se lier les mains juste assez pour contraindre la BCE à agir; on verra s'il y réussit.